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[FUCKING SERIES] : The Haunting of Bly Manor : Romance gothique dans les 80’s


(Critique - avec spoilers - de la saison)


Il y a tout juste deux ans, Mike Flanagan avait créé la surprise avec sa première série, produite par Netflix, qui adaptait le roman d’horreur de Shirley Jackson La maison hantée, en anglais The Haunting of Hill House, titre que reprenait la série. Ce mélange d’horreur, de fantôme et de tragédie avait conquis le plus grand nombre et redorer le blason de ce genre de récit, la fiction gothique, devenue ringarde au fil du temps. Il est vrai qu’à l’heure des saga Conjuring et Insidious, le public ne trouve plus son compte avec une simple histoire de maison hantée, plus prompte à contenter les fans littéraires que les cinéphiles désireux de frissonner devant un écran. Ces codes éculés, qui ne font plus peur et même presque rire, Mike Flanagan avait décidé d’en jouer, pour créer une véritable histoire familiale émouvante et effrayante, sur le traumatisme de l’enfance et sur le deuil.

Pour sa deuxième saison, qui n’en est pas vraiment une, le showrunner décide de se tourner vers une autre histoire littéraire gothique, écrit par Henry James, Le Tour d’écrou, intitulé ici The Haunting Of Bly Manor. Nous ne jouerons pas le jeu, trop facile, de la comparaison, car les deux saisons ne se ressemblent pas. Malgré le casting similaire et le récit de la maison hantée, Hill House et Bly Manor n’ont pas les mêmes enjeux, ni les mêmes ambitions. Cette nouvelle saison a l’intelligence de ne pas servir aux spectateurs le réchauffé de la première, il n’est pas donc pas pertinent d’en parler plus que nécessaire.

Copyright Eike Schroter/Netflix

La célèbre nouvelle de Henry James n’a pas attendu Mike Flanagan pour recevoir une adaptation audiovisuelle. Les Innocents (1961) de Jack Clayton est d’ailleurs devenu un monument dans le genre film de fantôme, nous offrant une Deborah Kerr exemplaire. Plus récemment, la réalisatrice Floria Sigismondi s’y est essayée avec The Turning, sorti directement en VOD cet été. Aidé cette fois d’une véritable équipe de scénaristes et réalisateur.trice.s, Mike Flanagan adapte une nouvelle fois, librement, la maintenant célèbre histoire de cette gouvernante engagée pour s’occuper de deux enfants dans un large manoir anglais, où il se passe de drôle de chose. Mais la saison va plus loin et se sert de la nouvelle pour adapter l’univers entier de l’écrivain, en neuf épisodes. Chacun porte le titre d’une nouvelle de Henry James et s’y inspire, liant ces différentes histoires pour en créer une seule. The Haunting of Bly Manor restitue les années 80, comme de nombreux films et séries actuellement. La décennie n’est pas très présente visuellement, prétexte aux costumes, styles chevelus (quoique discrets) et quelques références musicales. Victoria Pedretti interprète cette nourrice 2.0, une jeune institutrice américaine, qui fuit quelque chose ou quelqu’un et décide de postuler à la mystérieuse annonce de Lord Wingrave. Son neveu et sa nièce, respectivement dix ans et huit ans, sont orphelins depuis peu et ont besoin d’une jeune fille au pair pour s’occuper de leur éducation dans l’immense manoir familiale de Bly. Cette fameuse gouvernante a un nom, contrairement à la nouvelle initiale, Dani Clayton (un clin d’oeil appuyé au réalisateur ?). D’autres acteurs et actrices de Hill House sont de retour : Henry Thomas en Lord Wingrave, lointain oncle alcoolique, Oliver Jackson-Cohen en effrayant Peter Quint, un majordome-assistant et Carla Gugino, en voix-off, qui nous accompagne au fil des épisodes.

Copyright Eike Schroter/Netflix

Dani fuit à Londres, après un épisode traumatique qui la suit partout, surtout quand elle s’y attend le moins (spectateur, attendez-vous à du jumpscare ! ) devant un miroir ou une vitre. Une présence glaçante aux lunettes incandescentes, qui ne la quitte jamais. Ce job dans la campagne anglaise devient la solution ultime pour ne pas retourner dans son pays natal. Elle arrive donc à Bly, s’occuper de deux orphelins, Miles et Flora. Le manoir n’a que très peu d’habitants : les deux enfants Wingrave, Hannah Grose l’intendante, Owen le cuisinier et Jamie la jardinière. En plus du décès du maître et de la maîtresse de maison, Bly a subi un nouvel événement tragique, le suicide de l’ancienne gouvernante des enfants, Rebecca Jessel, qui s’est noyée dans le lac. Ces événements vont bien entendu avoir un revers fantasmagorique. The Haunting of Bly Manor n’hésite pas à creuser dans de nombreux procédés horrifiques de mise en scène, entre musique qui se coupe, hors-champs et les fameux jumpscare, plus nombreux cette fois. La construction des épisodes peut paraître alambiquée au premier abord, une sorte de va-et-vient entre les différents récits, qui finissent par se rejoindre en fin de compte. La saison va même encore plus loin, en désarticulant le récit dans un seul et même épisode qui s’intéresse à Hannah, l’intendante, interprétée brillamment par T'nia Miller. Le personnage se déplace d'une pièce à l'autre, de souvenirs en souvenirs, construit pas à pas son histoire et celui du manoir par la même occasion, servant de clef pour comprendre les différentes péripéties. Il ne faut pas avoir peur des répétitions, des scènes importantes sans en avoir l’air et du mystère, un puzzle où il faut remettre les pièces au bon endroit pour comprendre l’ensemble. Cet épisode, intitulé L’autel des morts est un tournant de la saison, qui passe d’une histoire de manoir hanté, avec de véritables moments de frissons, à quelque chose de plus flou, diffus, où l’horreur n’est plus seulement visuelle et scénaristique, mais puise dans les angoisses de chaque spectateur.

Copyright Eike Schroter/Netflix

Car la force de The Haunting of Bly Manor est la façon dont l’horreur joue sur notre intimité. Pour cela, la série prend le sujet le plus universel possible : l’amour. Comme le dit un personnage, qui a écouté le récit de Carla Gunino jusqu’au bout : “ce n’est pas une histoire de fantôme, mais une histoire d’amour”. En effet, la saison explore profondément les relations amoureuses à travers son panel de personnage, creusant dans les différentes émotions fortes qu’elles induisent : la jalousie, la culpabilité, le déni, la passion. Plus encore, l’histoire approfondit le sentiment qui instaure la plus belle angoisse reliée à l’amour : la perte. C’est parce que Roméo pense qu’il a perdu Juliette qu’il se suicide à côté de son corps. Au réveil de celle-ci, sa douleur est si terrible qu’elle se suicide à son tour. Comme l’annonce la phrase prononcée par les époux pendant la cérémonie du mariage, il n’y a que la mort qui puisse les séparer. C'est là où se cache le drame de toute histoire d’amour tragique, la mort étant d’autant plus le cœur de la romance gothique. Mais sépare-t-elle vraiment les amants ? Qu’en est-il des morts qui viennent hanter les vivants ? L’imagination est puissante et peut, via les souvenirs, rassembler ceux et celles qui ont été séparé.e.s. Un lieu, un objet, peut ramener, pendant un laps de temps quelqu’un que l’on a perdu. Bly Manor utilise la romance gothique pour diffuser la tristesse, qui à l’opposé de l’effroi, n’est pas éphémère. Son final, loin d’être clinquant, se pare d’un aspect poétique, digne des plus belles histoires d’amour tragique. Les fantômes n’en sont pas moins effrayants, non pas par leur qualité de fantôme, mais par leur souffrance qui est soulignée avec un récit fin et intelligemment structuré.

Copyright Eike Schroter/Netflix

The Haunting of Bly Manor prouve plusieurs choses : le talent de Mike Flanagan pour dénicher des enfants acteurs (Amelie Bea Smith et Benjamin Evan Ainsworth sont aussi flippants que émouvants) et pour adapter des récits d’horreur d’un autre siècle d’une façon moderne. La maison hantée devient alors un lieu de traumatisme, de deuil, où les personnages se vident peu à peu, déchirés par la souffrance de la perte d’un être cher. La saison ne fera peut-être pas autant frissonner (et encore, c’est à prouver), mais elle vous fera sans conteste pleurer toutes les larmes de votre corps. Préparez les mouchoirs.


Laura Enjolvy