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[SƎANCES FANTASTIQUES] : #3. It Follows

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Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s, sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'oeuvre de la Hammer, que des pépites cinéma bis transalpin en passant par les slashers des 70's/80's; mais surtout montrer un brin, la richesse d'un cinéma fantastique aussi riche qu'il est passionnant à décortiquer.
Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture nos billets !





#3. It Follows de David Robert Mitchell (2015)

It Follows est, pour bien des gens, une des plus grandes claques horrifiques des années 2010. Et cette réputation que s’est taillé le film de David Robert Mitchell n’est pas sans fondement : absolu délice sur le plan formel de par sa réalisation extrêmement esthétisée, très brillamment mis en lumière, on aurait pu s’attendre à se retrouver devant un film d’apparence reposant sur ses rutilants atours, filmé par un cinéaste qui aime se regarder faire de belles images. Ceci dit si David Robert Mitchell semble en effet avoir un œil d’esthète, il met ce dernier au service de la pure terreur existentielle, bardés de ses évidentes influences carpenterienne pour offrir un film d’ors et déjà voué à devenir un classique du genre et dans lequel beauté rime avec effroi.

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Dès sa séquence d’ouverture le film t’annonce qu’il va te broyer les rotules (et pas que les tiennes, si t’as vu le film tu sais) avec une masse d’arme, et que si tu n’es pas prêt pour ça tu vas passer un sale quart d’heure. L’atmosphère vaporeuse, le soin apporté à la lumière et aux mouvement de caméra sont déjà là et le choc est immédiat, cru et d’une beauté macabre qui s’invite sans enlever ses bottes dans cette petite banlieue où sévi déjà une force invisible. Ça va te faire très mal, et en plus ça va y mettre les formes. Si le film fonctionne si bien, c’est avant tout parce qu’il dispose d’un high-concept horrifique d’une implacable simplicité qui fera toute sa puissance. Cette simple idée que, quelque part, une entité informe marche tout doucement vers nous pour nous tuer. Elle s’avance d’un pas lent mais régulier, et surtout d’un pas que rien ne saura entraver. Et on peut fuir aussi loin que l’on veut, ça peut lui prendre des mois, des années, des décennies, elle arrivera à bon port et accomplira son œuvre funeste. Rien que dans cette évidente mais très ingénieuse métaphore de la mort, de la peur panique de son inéluctabilité et de la vaine fuite en avant qu’est finalement la vie, le film est terrifiant. Mais le concept ne s’arrête pas là. On en rajoute une couche puisque, et c’est là le plus intéressant, plutôt que de partir refaire ta vie à l’autre bout du globe et laisser ton inexorable bourreau faire une sacrée randonnée champêtre pour te retrouver, tu as aussi la possibilité de le refiler a quelqu’un par le biais d’une joyeuse partie de jambes en l’air. C’est là qu’est le cœur du film : la zone de flou psychique ou s’affronte, s’entremêle et se confonde finalement la pulsion de vie et la pulsion de mort, Eros et Thanatos comme une seule entité multiforme. La rencontre sexuelle devient une transmission de peine, une condamnation à mort par l’acte d’amour, qui n’en est plus un mais plutôt un acte désespéré d’autoconservation. Aimer l’autre c’est le détruire, ou accepter qu’il nous détruise. Et dans cette destruction programmée de son/sa partenaire, on ne gagne pas la salvation mais un simple sursis face à l’inéluctable puisque la créature remonte la chaine a mesure qu'elle assassine ses victimes et se remettra en marche vers nous tôt où tard. Tout cela constitue la matière première avec laquelle le cinéaste va modeler son cauchemar existentiel dans lequel le sexe et la mort sont indissociables, association qu’on retrouvera à nouveau dans son film suivant Under The Silver Lake

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Une des interprétations du film qui lui aura valu pas mal de critiques est qu’il serait une métaphore pour parler des maladies sexuellement transmissibles et diaboliser l’acte sexuel. Bien que ça paraisse une comparaison assez évidente et plutôt valable, elle est beaucoup trop simpliste et littérale pour être unique puisque c’est un film très ouvert sur les interprétations que l’on peut en faire. It Follows ressemble beaucoup par certains aspects au précédent film du cinéaste : The Myth of American Sleepover en français dans le texte « Le mythe de la soirée pyjama américaine ». Oui c’est moins joli comme ça. Pas de menace de mort par coucherie interposée dans ce dernier, mais la mise en image d’un écosystème adolescent indépendant dans lequel les adultes ne sont pas présents. Et il en est de même dans It Follows. Les rares adultes que l’on peut y voir sont des silhouettes, des silhouettes de docteurs, de policiers, à peine existants, appartenant à leur propre écosystème étranger à celui de nos jeunes protagonistes, et donc à celui du film. Quant aux parents de Jay et Kelly… C’est là que ça devient intéressant. Leur mère est à de nombreuses reprises mentionnée, elle va probablement enragée si elle attrape sa fille en train de fumer, elle se lève à 5h pour aller travailler… Et il ne faut surtout pas lui parler de ce qui est en train d’arriver. On ne la verra jamais qu’en photo, on sait qu’elle existe, mais jamais on ne la verra ou on ne sentira sa présence, à un point tel qu’on pourrait la croire évoluant dans une réalité parallèle. Leur père quant à lui n’est même jamais mentionné. On l’apercevra à la fin du film sur une photo, et dans son visage on reconnaitra la toute dernière itération de la créature. Et on se rappellera des mots de Jay quand ses amis lui ont demandé ce qu’elle voyait : « Je ne veux pas en parler ». La mère est absente, le père est tabou. Les interprétations à partir de là peuvent être légion, aucune certitude, aucune piste, mais il y a quelque chose de l’ordre du non-dit dans cette famille qui crée pour le film un niveau de lecture plus en profondeur. 

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Il y a quelque chose de fascinant dans ces fameuses diverses itérations de la créature. On sait qu’elle peut prendre la forme de personnes connues de la victime, comme lorsqu’elle prend visiblement la forme de la mère de Greg pour l’assassiner dans une scène de viol macabre à forte connotation incestueuse. Mais elle prend également des formes diverses, inconnues de sa cible. Si on y prête attention on peut la voir prendre la forme de l’adolescente qui se fait tuer dans la scène d’ouverture, on peut donc supposer que ses différentes formes inconnues sont autant de victimes passés, avec chacun son histoire de vie et de mort. Même le grand machin et son jumpscare d’anthologie. Jumpscare qui à lui tout seul est une petite masterclass. Il n’apparait pas du dehors du cadre, il n’apparait pas brutalement. Il apparait en plein milieu du cadre et dans un fondu tout tranquille. Et pourtant la première fois j’ai hurlé, et je suis loin d’être le seul. L’effet fonctionne déjà parce que la créature nous apparait sous une forme inédite, en plus d’être complètement disproportionné par sa taille. On n’a pas eu le temps de se préparer à voir débarquer ça, et même si dans les faits c’est juste… un mec très grand quoi, on a pas le temps de s’adapter, c’est une excentricité qu’on ne pouvait pas voir venir, et c’est tout de suite la panique. Deuxième et majeure raison pour laquelle ça fonctionne beaucoup trop bien : le timing. Le film nous maintient sous pression depuis quelques minutes déjà, la créature est dans la maison on en a la confirmation visuelle (absolument crade la confirmation visuelle au passage), on frappe à la porte de la chambre. C’est Yara, une des amies de Jay. On ouvre la porte. Yara apparait, les nerfs se relâchent, la menace n’est pas là. Sauf que ça dure une toute petite seconde, juste assez pour qu’on baisse la garde et qu’on se prenne l’effet en pleine poire. Résultat garanti ou remboursé au premier visionnage si on ne sait rien de cette scène.

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Il y a dans It Follows une source intarissable de fascination, d’interrogation, c’est un film d’une richesse incroyable qui ne cesse de m’impressionner à chaque visionnage. Le cinéma de David Robert Mitchell est indéniablement un cinéma sous influences, on peut y trouver du John Carpenter, du Joe Dante, du David Lynch, mais c’est aussi un cinéaste qui me semble projeter énormément d’intime dans ses films tout en les laissant assez ouvert pour accueillir le monde intime du spectateur et ses propres névroses et angoisses existentielles. « La plus terrible des agonies, ne vient pas des plaies elles-mêmes, mais par la conviction… que dans une heure, puis dans dix minutes, puis dans une demi-minute… maintenant, à cet instant précis, votre âme s’envolera de votre corps, et vous ne serez plus une personne. Cela est certain. Ce qu’il y a de pire… C’est que c’est certain ! » (L’idiot, Dostoïevski, cité dans le film)


Kevin

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