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[CRITIQUE] : Effacer l’Historique


Réalisateurs : Gustave Kervern et Benoît Delépine
Acteurs : Blanche Gardin, Denis Podalydès, Corinne Masiero, Vincent Lacoste,...
Distributeur : Ad Vitam
Budget : -
Genre : Comédie, Drame.
Nationalité : Français, Belge.
Durée : 1h46min.

Synopsis :
Dans un lotissement en province, trois voisins sont en prise avec les nouvelles technologies et les réseaux sociaux. Il y a Marie, victime de chantage avec une sextape, Bertrand, dont la fille est harcelée au lycée, et Christine, chauffeur VTC dépitée de voir que les notes de ses clients refusent de décoller. Ensemble, ils décident de partir en guerre contre les géants d’internet. Une bataille foutue d'avance, quoique...




Critique :



Depuis leurs débuts aussi bien chez la sacro sainte émission Groland que sur le grand écran, le tandem Delépine/Kervern s'est évertué à baser aussi bien son regard que son humour, sur une restitution férocement décalé de la réalité, parfois de manière inégale - mais pas inintéressante -, parfois de manière sublime.
Plus proche du second cas de figure, Effacer l'historique leur dernier effort en date, parti avec un Ours d'argent de la dernière réunion Berlinoise, évoque avec acuité et malice les dérives de la société de (sur)consommation contemporaine et son tout connecté, le tout agrémenté d'un humour caustique absolument succulent.
Catapulté au coeur des aléas de trois voisins habitant le nord de la France, et qui ont pour points communs d'être littéralement dépassés, au-delà des drames intimes qui émaillent nos vies, par les nouvelles technologies et le pendant des réseaux sociaux : Marie est victime d'un chantage à la sextape, Bertrand à une fille qui se fait cyberharceler et Christine est chauffeuse de VTC au compteur de satisfaction désespérément au point mort - ou presque.

Copyright Les films du Worso – No Money Productions – France 3 Cinéma – Scope Pictures

Dans une société qui dématérialise tous ses services pour nous " faciliter la vie " et qui réduit au néant toute interaction humaine, les moins doués/habitués sont les plus mal lotis, et à force d'accumuler les galères et les déboires, le trio va tout simplement pousser le coup de gueule ultime, et décider de partir en guerre contre les GAFAM !
Avec leur amour/bienveillance légendaire pour les personnages qu'ils croquent (ils ne rient jamais à leur dépend et les jugent encore moins), et un cadre aussi déshumanisé que déshumanisant - notre quotidien donc -, Delépine et Kervern s'amusent dans cette satire acerbe et piquante des travers d'une société dont on nourrit les imperfections par nos habitudes/attitudes, avec une absurdité volontaire proche de l'hérésie collective; et dont il est aussi impossible de se défaire, que de pleinement lutter contre (comment combattre ce qui est virtuel et invisible - donc impalpable - mais surtout, qui sait tout de nous et nous contrôle ?).
Portrait éclaté d'un trio hétéroclite et follement empathique, engoncé dans une solitude commune et contradictoire (comme beaucoup d'entre-nous, ils préfèrent interagir avec des inconnus sur internet qu'apprendre à connaître ceux qui traversent leur quotidien), traitant d'une vérité/réalité qui nous concernent tous - même les laissés-pour-compte -, tout en ayant un regard politico-social subtil toujours plaqué dans le rétroviseur (le rapport aux combats des gillets jaunes, et plus directement à l'abandon total d'un gouvernement saignant à blanc la France rurale, prônant le tout profit à tout prix); le film trouve l'équilibre génial entre désinvolture et désespérance, absurde (jusque dans son aspect quasi-film à sketches manquant un peu de liant, mais avec une pluie d'interventions d'habitués des cinéastes) et constat doux-amer, chaos foutraque et pertinence cinglante.

Copyright Les films du Worso – No Money Productions – France 3 Cinéma – Scope Pictures

Farce sombre et lumineuse à la fois sur les travers de notre société, façon ode à l'amitié et à la solidarité (ou l'union fait toujours la force même dans une lutte vaine et impossible), mais surtout à une humanité qui ne s'avoue jamais vaincue, Effacer l'historique, qui répond directement à l'intelligence sociologique et aux affres du prosaïsme du quotidien de Louise Michel et I Feel Good (avec la même question essentielle en filigrane : comment en sommes-nous arrivé là ? Comment romperons-nous cette autodestruction programmée ?), est un petit bijou de dramédie qui sait susciter le rire même dans la gravité, la réflexion même dans l'absurdité la plus totale.
Un modèle d'écriture granuleuse et inventive, mené tambour battant et totalement dans l'air du temps, dont la liberté presque mélancolique embaume les coeurs et éveille l'esprit... merci messieurs et, comme d'habitude, vivement le prochain film.


Jonathan Chevrier 




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