[COOKIE TIME] : #14. L’évolution de Harley Quinn, de la série animée Batman à Birds of Prey
C'est le Cookie Time. Un moment de détente pour parler cinéma. Alors installez vous dans votre canapé, prenez un thé et un cookie. Et c'est parti !
Alors que les super-héroïnes commencent enfin à émerger au cinéma, Harley Quinn dénote et apparaît comme l’anti-héroïne ultime. Acolyte du Joker depuis ses débuts (c’est d’ailleurs la raison de sa création), le Dr Harleen Quinzel est un mystère, un personnage contradictoire étonnamment attachant. Elle englobe sa situation et sa relation malsaine par un style fun, parfois très féminin tout en étant aussi violente et imprévisible. C’est sûrement parce qu’elle ne rentre dans aucune case, parce qu’elle détient des défauts visibles et une certaine maladresse qu’elle fait partie des personnages de l’écurie DC Comics les plus appréciés. C’est ce qu’à compris également l’actrice et productrice Margot Robbie, qui l’a incarnée pour la première fois en 2016 dans Suicide Squad de David Ayer. Elle confie aux caméras behind the scene du film : “She’s like a bottomless pit of issues and fun”.
Son hystérie, son caractère explosif et impulsif, son cynisme et son humour noir la rapprochent du personnage Marvel, Deadpool, auquel Harley Quinn est souvent comparée. Heureusement, elle s’en détache grâce à son background, ses intentions et son évolution au fil du temps. Elle est passée du sidekick du Joker, victime de violence conjugale dans la série animée Batman en 1992 (sa première apparition) à un personnage à part entière qui détient sa propre histoire dans le film Birds of Prey and the fantabulous emancipation of one Harley Quinn de Cathy Yan, sortie cette année en salle. Après Suicide Squad, où elle a volé la vedette aux autres membres de l’équipe, elle s’est vu obtenir sa propre série animée, diffusée pour le première fois en Novembre 2019 (et déjà renouvelée pour une deuxième saison). Elle est aussi le deuxième personnage féminin de la franchise DC à obtenir son propre film à la suite d’un passage dans un autre long-métrage (après Wonder Woman de Patty Jenkins en 2017). Un des dirigeants et créateurs phare de l’éditeur, Jim Lee a confié au magazine Vulture en 2016 : “I refer to her as the fourth pillar in our publishing line, behind Superman, Batman and Wonder Woman”. Rien que ça. Que dit l’évolution de Harley Quinn de notre époque ? N'est-elle pas le fruit des différents regards que l'on pose sur les personnages féminins depuis vingt ans ? Pour cet article, nous allons nous intéresser aux séries animées Batman (1992) et Harley Quinn (2019), ainsi qu’aux films Suicide Squad et Birds Of Prey and the fantabulous emancipation of one Harley Quinn.
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Son hystérie, son caractère explosif et impulsif, son cynisme et son humour noir la rapprochent du personnage Marvel, Deadpool, auquel Harley Quinn est souvent comparée. Heureusement, elle s’en détache grâce à son background, ses intentions et son évolution au fil du temps. Elle est passée du sidekick du Joker, victime de violence conjugale dans la série animée Batman en 1992 (sa première apparition) à un personnage à part entière qui détient sa propre histoire dans le film Birds of Prey and the fantabulous emancipation of one Harley Quinn de Cathy Yan, sortie cette année en salle. Après Suicide Squad, où elle a volé la vedette aux autres membres de l’équipe, elle s’est vu obtenir sa propre série animée, diffusée pour le première fois en Novembre 2019 (et déjà renouvelée pour une deuxième saison). Elle est aussi le deuxième personnage féminin de la franchise DC à obtenir son propre film à la suite d’un passage dans un autre long-métrage (après Wonder Woman de Patty Jenkins en 2017). Un des dirigeants et créateurs phare de l’éditeur, Jim Lee a confié au magazine Vulture en 2016 : “I refer to her as the fourth pillar in our publishing line, behind Superman, Batman and Wonder Woman”. Rien que ça. Que dit l’évolution de Harley Quinn de notre époque ? N'est-elle pas le fruit des différents regards que l'on pose sur les personnages féminins depuis vingt ans ? Pour cet article, nous allons nous intéresser aux séries animées Batman (1992) et Harley Quinn (2019), ainsi qu’aux films Suicide Squad et Birds Of Prey and the fantabulous emancipation of one Harley Quinn.
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Qui est Harley Quinn ?
Harley Quinn est un des rares personnages de DC Comics à ne pas être apparue pour la première fois dans un comic-book. À la place, elle a été introduite dans l’épisode “Chantage à crédit” (Joker’s favorite), le vingt-deuxième épisode de la première saison de Batman, en 1992, sur l’idée de Paul Dini, scénariste de la série. L’idée était d’en faire une femme de main, une acolyte sans importance au chara-design inspiré par le costume de l’actrice Arleen Sorkin, amie de Paul Dini, dans un épisode de la série Des jours et des vies (Days of our live), qui arborait un costume clownesque coloré et un maquillage blanc, rappelant ceux des personnage de la Commedia dell’arte. Arleen Sorkin obtient le rôle, qui ne devait apparaître uniquement dans cet épisode, comme l’a confié Bruce Timm, le co-créateur de la série à The Hollywood Reporter : “She was always intended to be a one-shot character in just one episode. Paul pitched her as a change of pace from all the other henchman that we had for The Joker”. La personnalité de Sorkin et son talent pour donner vie au personnage donne envie à Paul Dini de voir plus de Harley et peut-être d’en faire la petite amie du Joker. Ce que Bruce Timm voit d’un mauvais œil, craignant que cela ne l’humanise un peu trop. Pour la deuxième saison, elle revient dans l’épisode “Heureux comme un poisson dans l’eau” (The Laughing Fish), où le Joker avait besoin d’un gang. À partir de cet épisode, Harley devient un personnage récurrent. Au fil des saisons, nous pouvons voir à quel point Bruce Timm avait tort. Donner une petite-amie au Joker, au lieu de l’humaniser, fait l’effet inverse, car le voir rejeter et traiter aussi mal une personne qui lui donne tout, rend compte de son égoïsme et son manque d’empathie.
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Harley Quinn est un mélange des petites-amies des gangsters des films des années 40’s, de Judy Holliday dans le film Comment l’esprit vient aux femmes de George Cukor et l’actrice Arleen Sorkin elle-même, a confié Paul Dini. Sorkin a même inspiré son nom, un jeu de mot avec le personnage Arlequin, archétype de la Commedia dell’arte, qui inspire également son costume de clown. L’idée était d’en faire une sorte de “Joker au féminin”, un personnage qui apporte le chaos, de l’espièglerie, avec un amour pour la théâtralité. Un personnage au bord de la folie, pour qui le bien et le mal, ne sont qu’une question de point de vue. Un personnage imprévisible, et dont la maladresse amène une touche d’humour. Mais son statut de sidekick lui laisse peu d’espace. Malgré sa popularité, le personnage devient vite l’ombre du Joker, inhérent à sa création même. La copine aveuglément amoureuse, définit seulement par son extrême fidélité, sa dévotion pour son “puddin’”. Cette Harley Quinn montre cependant de l’empathie, de l’affection, ce qui tend à montrer, qu’au fond, elle est plus qu’une “Joker au féminin”, qui lui, ne détient pas ces caractérisations.
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En 1994, Paul Dini et Bruce Timm sortent le comic-book Mad Love, adapté plus tard dans la série Batman, qui introduit son origin story. Nous apprenons donc que Harley s’appelait avant Harleen Quinzel, psychiatre à l’asile d'Arkham, où était enfermé le Joker. Elle essaye de le soigner, avant de tomber follement amoureuse de lui et d’accepter de le suivre. C’est sa conviction qu’il est une victime, un être sensible traumatisé par la vie, sa conviction dans sa capacité à sauver cette âme torturée, qui causent sa perte, la fait basculer dans un état que les codes de la société lui refusaient. Et c’est cette absence de limite dans ses sentiments face au Joker qui lui donne sa caractérisation principale et sa tragédie. Son amour est à sens unique, centré sur un homme incapable de voir autre chose que lui-même, ou son Némésis attitré, Batman. Elle ne pourra jamais avoir ce qu’elle rêve, un foyer heureux, un couple “normal”. C’est comme cela qu’il la fait revenir à lui chaque fois, en lui promettant que son rêve peut se réaliser. Nous sommes sur un système de relation toxique, entre moment de rejet et moment de pardon. C’est ce qui rend l’histoire de Harley Quinn aussi tragique, condamnée à revenir dans une situation douloureuse, en pensant que cette fois-ci, ce sera différent. Dans la série, elle détient tous les symptômes d’une femme victime de violence conjugale, où elle minimise à chaque fois les violences du Joker envers elle et cache au maximum les blessures qu’il peut lui infliger. “It’s my fault, I didn’t get the joke” (Amour Fou, épisode 21, saison 4).
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Harley sur petit et grand écran
Comme dit précédemment, Harley Quinn n’était pas censée devenir un personnage à part entière, démontrer par la façon dont elle a été créée (une acolyte dans un gang, qui ne devait jamais réapparaître) et même dans sa propre histoire de personnage, totalement dévouée à une seule personne, jusqu’à s’oublier elle-même. Les comics et séries super-héroïques comportent de nombreux acolytes du méchant, dont certains ne possèdent même pas de noms. Ils sont interchangeables et nous aimons particulièrement les voir dégommer par le gentil de l’histoire. C’est pour cela que le destin de Harley Quinn nous paraît aussi extraordinaire. Mais c’est grâce à sa dynamique avec le Joker, une relation qui s’éloigne des couples de braqueurs amoureux à la “Bonnie & Clyde” que paradoxalement, elle a fini par s’en détacher. Mais pour cela, il a fallu qu’elle en voit de toutes les couleurs malheureusement.
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Avec sa voix caractéristique et son costume coloré, Harley Quinn détonnait parmi tous les hommes de main du Joker dans la série animée Batman. Elle nous apparaît comme difficilement interchangeable, que ce soit à sa toute première apparition dans “Chantage à crédit” ou sa deuxième dans la saison 2 “Heureux comme un poisson dans l’eau”, malgré le fait qu’elle agit simplement comme une membre du gang, sans libre-arbitre et totalement dévouée à son “puddin”. Déjà, le scénariste Paul Dini distillait la relation malsaine qu’ils entretiennent, et qui sera développée par la suite. “Come on, he was a demented, abusive, psychotic maniac, [Harley] Yeah, I’m really going to miss him !” (Heureux comme un poisson dans l’eau, épisode 6, saison 2). Au fil de cette saison, Harley Quinn commence à obtenir plus de temps à l’écran, pour devenir un personnage attendu de la part des fans. Le dernier épisode de la saison lui est même consacré, “Harley et Ivy”, qui établit sa seconde relation devenue iconique, avec un autre vilain de Gotham, Poison Ivy. Après un hold-up raté, le Joker passe sa colère sur Harley et la jette dehors. Pour récupérer son attention, elle décide de dérober l’un des plus gros diamants exposés dans un musée. Se faisant, elle tombe par hasard sur Poison Ivy et elles se mettent à bosser ensemble pour s’en sortir. Leur dynamique se met rapidement en place.
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Nous découvrons une Harley totalement perdue sans son “puddin”, mais qui retombe très vite sur ses pieds. Nous voyons pour la première fois la violence et le rejet du Joker envers elle, tandis que de son côté, elle fait tout pour revenir à lui. Mais Harley est capable de donner son affection à une autre personne que lui, une femme indépendante, qui est elle-même capable de la lui rendre et faire preuve de compassion. Les pires travers du Joker nous sautent aux yeux, alors qu’ils ne supportent pas que deux femmes lui volent la vedette, auprès des médias et surtout auprès de Batman. Sa cruauté est mise en lumière, la violence physique qu’il est capable d’administrer, ainsi que la manipulation mise en place autour de Harley. L’autre face de leur relation est mise à nue et Harley Quinn nous est montrée non pas comme une vilaine mais comme une victime de violence conjugale. Malgré ce qu’il lui fait subir, elle continue de se voiler la face et de minimiser le comportement du Joker envers elle. “You’d think that after living with Mr. J, I’d be used to a little pain [...] My Puddin is a little rough sometimes, but he loves me… really” (Harley et Ivy, épisode 28, saison 2). Le schéma de Harley le long de la série animée est alors établi : être rejetée, trahie par le Joker, mais vouée à retomber dans ses bras à la moindre occasion, la moindre “excuse” de sa part.
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Pourtant, Harley n’est pas seulement caractérisée par son statut de victime. Durant la saison 3, plusieurs épisodes lui sont consacrés, montrant son penchant comique et ses brillantes idées. “Harlequinade” introduit ses talents de psychiatre et surtout l’étendu de son charisme, en tant que vilaine à part entière. Batman et Robin sont obligés de lui reconnaître une intelligence, qu’elle cache derrière tout un trope de la blonde ingénue, rôle qu’elle doit jouer devant le Joker, pour éviter qu’il se sente menacé. Menace déployée dans l’adaptation du comic-book où son origin story est dévoilée, “Amour fou” (Mad Love en VO). Nous avons ici l’essence de la relation Joker/Harley Quinn, où elle se montre plus ingénieuse et intuitive que lui, à son grand dam. En se remémorant sa rencontre avec le Joker (où on s’aperçoit l’étendu de la manipulation du Joker, depuis leur début), elle en vient à la conclusion que Batman est la raison de tous ses maux et montre son refus de voir la vérité, alors que le Joker vient de la rejeter, une fois de plus. “Why don’t you just shoot him ?” lui dit-elle innocemment, mettant alors en exergue la puérilité des plans du Joker et leur inutilité, qui échouent depuis quatre saisons. Harley Quinn dévoile ses dons de super-vilain, en capturant Batman avec un plan simple, jouant sur son empathie envers les victimes. Son plan finit par échouer, car Batman connaît aussi son point faible : le Joker. En la voyant réussir, là où il échoue depuis tant de temps, se sentant inférieur à elle, il va la jeter... d’une fenêtre cette fois, mettant la violence physique à un niveau inouïe pour une série destinée aux enfants. Le Joker perd les pédales, quand Batman lui dira que c’était la première qu’il s’est senti véritablement en danger. Sans lui, Harley Quinn est donc capable de réussir une mission seule, et de mettre ses talents de psychiatre au profit du mal. Mais la série n’est pas prête à libérer Harley du poids de son amour et finit sans espoir de guérison, avec une Harley blessée, enfermée à l’asile d'Arkham, prête à reconnaître enfin la toxicité du Joker, avant de voir un petit mot de sa part. Et tout est oublié.
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En 2016, le personnage fait ses débuts sur grand écran, dans le film Suicide Squad de David Ayer, adapté des comics du même nom. Alors que Harley Quinn se détache du Joker petit à petit dans les comics, jusqu’à avoir une véritable trame narrative solo, elle intervient également dans ce qu’on pourrait appeler “l’anti-Justice League”. Cette franchise est marquée par un visuel edgy, avec beaucoup de scènes gores, de sang et le sens du too much. Si les personnages de Suicide Squad sont des super-vilains, le récit les rend cool, fun et anticonformistes. La version amusante et légère de Harley Quinn, conduite par son empathie, ne fonctionne pas dans cet univers. Pourtant, la Warner et le réalisateur, David Ayer, n’ont pas voulu explorer une version plus sombre du personnage et ont préféré mélanger son côté “blonde ingénue”, que nous connaissons, dévouée au Joker et l’érotisme (un poil malsain) que les comics Suicide Squad dégagent, particulièrement sur Harley. Le choix du costume est alors d’une importance capitale, pour comprendre l'intention et le pourquoi de son hyper-sexualisation.
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Depuis ses débuts dans l’univers des comics, Harley Quinn a fini par se moderniser et quitter petit à petit l’habit de clown, pour des habits plus féminins et plus sexy. Veste en cuir, corset, short, Harley gardait l’esprit coloré, mais pouvait prétendre à une certaine émancipation via les vêtements. Enlever son habit de Arlequin revenait à quitter l’univers de clown et donc du Joker (même s’il continue à avoir une place de choix dans sa caractérisation). Dans Suicide Squad, l’absence du costume original vient du ton que veut se donner les comics, Harley penche plus du côté du super-vilain psychotique que d’un sidekick amusant. Le film veut donc garder l’essence de Harley Quinn, la couleur, son empathie, son côté fun, tout en y adhérant une dangerosité nouvelle. Elle est imprévisible, elle entend des voix et n’a pas l’air d’être ancré dans la réalité. C’est Margot Robbie qui l’incarne ici, prêtant sa voix, mais aussi son corps. Pour le besoin du rôle, elle a dû s'entraîner durement pour exécuter le plus de cascade possible et la production lui a également demandé de perdre du poids. Une information toute sauf anodine, car le corps de l’actrice prend une (trop) grande proportion dans le film, grâce ou plutôt, à cause de son costume.
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Malgré le nombre de plan loin du Joker, Harley Quinn lui appartient corps et âme. Si le personnage de la série animée aimait montrer son appartenance par son costume “arlequinesque”, dans le film, Harley est beaucoup moins subtil. T-shirt “Daddy’s lil monster”, collier “puddin”, tatouages à son effigie, Harley est la copine du Joker, sans aucun doute. Elle s’habille pour son regard, c’est pour cela qu’il existe un côté plus sexuel, une appartenance marquée. Harley est sa “chose”, une femme belle et sexy, “dérangée” à son image. Il l’a crée, en lui demandant de plonger dans une bassine d’acide. Harley est constamment sexualisée et filmée comme l’objet qu’elle est aux yeux du Joker. C’est ici que le bât blesse. Pourquoi continuer de la filmer de cette façon, où le male-gaze prend le pas sur la totalité du film ? Car si Harley Quinn est toujours une “Joker au féminin”, son caractère, son charisme et surtout son individualité sont mis en avant par le scénario. Comme dans la série Batman, elle est capable de s’intégrer dans un groupe, capable de terrasser des méchants seule, faisant preuve d’une certaine présence d’esprit. Il ressort de cette vision du personnage une sexualité exacerbée, devant se balader en culotte face à un groupe exclusivement masculin. Harley est prisonnière du Joker, des membres du squad, qui ont tendance à l’infantiliser, mais aussi du regard du spectateur, qui est obligé de la voir comme la folle de service, érotique par son corps dénudé (découpé clairement par la caméra), sans possibilité de se détacher de ce statut, à cause d’un réalisateur-voyeur.
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Le film pose un autre problème majeur, lié à son récit et non pas au visuel cette fois. La dynamique du couple Joker/Harley semble différente ici, parce que l’origin story de Harley Quinn est différente. Comme nous l’avons vu, la série montrait la lente manipulation du Joker, sur une Harleen Quinzel déjà intéressée par des figures névrotiques fortes. Dans Suicide Squad, le Joker ne la manipule pas uniquement par des mots, mais aussi par l’utilisation de machine, des électrochocs qui vont forcer son cerveau à partir en vrille. Il la façonne lui-même, là où Harleen devenait Harley Quinn d’elle-même. La suite de la relation montrée dans le film est à cette image, le Joker devenant totalement accro au personnage. Il a parfois l’air d’un amoureux transi, qui a perdu l’amour de sa vie et fait tout pour le retrouver, avec un côté chevaleresque plutôt grotesque. David Ayer n’a pas enlevé le côté toxique de la relation, mais n’a pas voulu la rendre violente (physiquement ou mentalement) non plus, ce qui pose la base du problème. Changer l’origin story n’est pas grave en soit, sachant à quel point l’univers des comics adore se réinventer, ce qui l’est en revanche, c’est l’envie d’édulcorer la relation et la rendre donc ambiguë. Cette ambiguïté ne donne pas à voir l’enjeu de ce couple distinctement. Enlever toute subtilité, toute complexité ne rend pas l’histoire plus simple, mais tend à éliminer tout propos politique. Margot Robbie a été saluée par la critique pour son interprétation, avec un engouement palpable. Cette frénésie rend la célébrité du personnage manifeste, ce qui a donné envie à l’actrice et productrice de reprendre les traits de Harley Quinn. Pas question du Joker, de culotte-short et d’être de nouveau un objet désirable. Margot Robbie veut lui donner de l'ampleur et l’entourer de femmes.
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Émancipation ? BOP et série animée
Entre Suicide Squad et Birds of Prey and the fantabulous emancipation of one Harley Quinn, DC lance sa plateforme de streaming DC Universe en septembre 2018. Avec la sortie du premier film mentionné, le personnage connaît un regain de popularité fulgurant. C’est donc tout naturel, qu’en plus du projet d’un film solo (transformé en gang avec l’arrivée des personnages des Birds of Prey), qu’une série animée soit développée. Produite par Justin Halpern, Patrick Schumacker et Dean Lorey, la série fait ses débuts sur la plateforme le 29 novembre 2019 pour une saison aux accents cartoonesque et pop. S’adressant à un public averti, cette nouvelle version de Harley Quinn quitte le Joker et fonde sa propre équipe de méchant. Nous suivons son chemin vers l’émancipation, qui n’est pas une voie facile, car elle va devoir affronter ses traumatismes, reprendre confiance en elle et s’opposer au Joker, qui ne supporte pas de la voir réussir. La série se veut résolument féministe et s’intéresse à l’après. Comment se reconstruire ? Peut-on oublier ? Elle aborde ces thèmes avec humour, sans toutefois les édulcorer. Harley, qui n’a jamais connu de relation saine, doit réapprendre la confiance, avec l’aide de Poison Ivy. Certains fans seront déçus, il ne s’agit purement et simplement que d’amitié entre Harley et Ivy (cette dernière étant même engagée dans une relation hétérosexuelle). Mais une saison 2 est diffusée depuis le 3 avril de cette année. Peut-être que leur relation prendra un jour nouveau, ou peut-être pas, les médias audiovisuels étant encore très frileux de montrer des couples LGBTQ+ à l’écran.
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La série se veut comme une suite de Batman, reprend la caractérisation d’origine et même son costume dans le premier épisode. Nous quittions Harley Quinn, dans l’épisode “Amour Fou”, où elle s’était rendue compte brièvement du comportement du Joker envers elle, avant de retomber dans ses bras. Dans le premier épisode de Harley Quinn, la série animée, le personnage se bat au côté de son “puddin” avant qu’il ne l’abandonne lâchement pour sauver sa peau, de nouveau. Harley se retrouve en prison, pensant que le Joker finira par venir la chercher. Il ne viendra jamais. À force de discussion avec Poison Ivy et les autres détenus, elle se rend compte petit à petit qu’il ne l’aime pas, et rompt avec lui. Elle se détache elle-même de lui, pour tracer sa propre route, action qui sera bien sûr difficile. Le Joker viendra lui mettre des bâtons dans les roues, mais n'apparaît curieusement très peu pendant la première saison, laissant enfin la place à sa victime de déployer son potentiel. Parce que se défaire des mensonges, d’une obsession qui a façonné une bonne partie de son existence n’est pas aussi aisé, Harley s’en sort difficilement, rechutera, pour mieux s’en détacher. Plus qu’un récit d’émancipation, Harley Quinn est un récit de reconstruction. Elle met également l’accent sur une autre facette de sa personnalité, exploitée dans les comics mais peu dans l’audiovisuel : sa violence. En créant un ton plus adulte, la série arrive à allier toute la complexité du personnage, à la fois aimante et redoutable. Harley n’a plus aucune retenue : elle jure, tue, dans une animation très graphique et crue, âme sensible s’abstenir. Harley Quinn creuse plus loin son origin story, en développant sa famille et sa relation avec ses parents, donnant beaucoup plus d’ampleur au personnage, que le comic-book Mad Love. Ce qui permet d’avancer l’idée, que même si le Joker a poussé les portes de sa vie de criminelle, elle y aurait pris part d’une manière ou d’une autre.
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Ceci nous mène à l’épisode cinq, qui réécrit totalement l’histoire de Harley, lui laissant l’occasion de s’approprier son récit. Dans cette épisode, elle est submergée par une crise identitaire, incapable de savoir qui elle est et quelle super-vilaine elle voudrait être. Elle se fige, littéralement, coincée dans son esprit. Avec l’aide de ses acolytes, dont l’un est doté de pouvoirs psychiques, Poison Ivy et le crew se transportent dans son cerveau pour l’en sortir. Ils la découvrent devant un de ses souvenirs les plus marquants. Cependant, le souvenir contient un bug. Elle s’est convaincue que c’est le Joker qui l’a poussé dans l’acide, entraînant la naissance de Harley Quinn comme nous le montre le film Suicide Squad. Pour elle, ce n’était aucunement son choix, en conséquent tout ce qui lui arrive est de la faute du Joker. Mais en explorant profondément sa mémoire, pour réparer le bug, elle se rend compte que tout ceci est faux. Elle a sauté d’elle-même. Pour la protéger de son traumatisme, son esprit a changé son souvenir. Elle cesse de se définir comme la copine du Joker, façonnée à son image, et réécrit à sa manière son origin story. Elle rejette le Joker de sa tête et se débarrasse de son influence. C’est une nouvelle façon d'appréhender le personnage qui se déroule devant nos yeux. Le fait qu’elle devienne Harley Quinn n’est plus le fruit d’une manipulation, d’un traumatisme, mais d’un choix conscient de suivre une trajectoire de super-vilain. Ainsi, la série donne naissance à une vraie mythologie autour du personnage, qui n’est plus créée pour une autre personne, mais uniquement pour et par elle-même. Évidemment, on peut ne pas être d’accord et même rejeter cette ré-interprétation du personnage, qui s’éloigne de sa création. Mais Harley Quinn peut se réinventer à sa guise et peut aussi atteindre une autre forme d’émancipation, tout en suivant l’histoire originelle.
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Depuis le succès de Wonder Woman en 2017, réalisé par Patty Jenkins, les héroïnes ont enfin droit à une petite place au sein des catalogues des grandes firmes. À sa suite, le film Captain Marvel de Anna Boden et Ryan Fleck, chez les concurrents direct de DC est sorti en salles. Black Widow va bientôt suivre d’ici l’automne prochain (reporté à cause du Covid-19). Au vu du succès couronnant le personnage de Harley Quinn interprétée par Margot Robbie dans Suicide Squad, quand celle-ci émet l’idée d’un film solo, la production dit “banco !”. Birds of Prey and the fantabulous emancipation of one Harley Quinn (qui devient la fantabuleuse histoire et non émancipation en version française) est sur les rails. Pour contrebalancer la dynamique très masculine de Suicide Squad, Harley sera cette fois entourée uniquement de femmes, les hommes n’étant que les adversaires. Gotham se retrouve donc être le terrain du patriarcat, où les femmes subissent pendant que les hommes triomphent.
Pour ce faire, Margot Robbie, aussi productrice sur le projet (sur lequel elle confie s’être beaucoup investie), s’est entourée d’une réalisatrice, Cathy Yan et d’une scénariste, Christina Hodson. C’est après l’apparition du casting du film de David Ayer à la Comic Con de San-Diego que l’actrice et productrice s’aperçoit de la popularité du personnage. Elle confie au micro de la BBC Radio 1 en février dernier : “If there’s this kind of response then the studio might want me to play her again. And if that the case then, I’d like it to be on my terms. I don’t want her to be in a situation that doesn’t really behoove her”. Harley ne sera plus “l’atout charme” mais le personnage vecteur du récit. Le film porte sa marque de fabrique, son excentricité, sa complexité sont retranscrites à l’écran. Elle est la narratrice du film, s’amuse avec le spectateur, donnant lieu à un montage biaisé par son point de vue et très dynamique. L’occasion de voir la ville de Gotham des yeux de Harley, après le Gotham de Batman et celle du Joker. Le film prend l’aspect cartoon de la série Harley Quinn, ainsi que sa violence (bien moins visuelle cependant), permettant des scènes d’actions rythmées et de montrer son côté imprévisible.
Bien entendu, depuis l'émergence du mouvement #MeToo, nous pouvons nous interroger sur le féminisme de certains produit mainstream, qui l’utilise dans le seul but d’en faire du militantisme marketing. Les questionnements sont très superficiels et ne remettent jamais en cause le système, proposant une idéalisation du “girl power”, très plaisante, je le concède. Pourtant ici, malgré son côté blockbuster fun, le propos féministe ne se veut pas uniquement comme argument de vente. Il est la prémisse de l’histoire et dissémine ça et là, entre deux bastons, des idées pour remettre en question le male gaze et le statut des héroïnes, encore trop sexualisées, enfermées dans des tropes sexistes. Birds of Prey se sert de son rôle de divertissement pour faire passer son message : il existe plusieurs facettes du personnage, qu’il faudrait enfin mettre en avant. L’équipe du film s’amuse à défaire ce qu’a pu amener le film de David Ayer. Celui de Cathy Yan accentue donc les autres aspects de sa personnalité, laissant de côté son hyper-sexualisation. Cette Harley est sexy, mais ce n’est pas ce qui l’a défini en premier lieu. Elle est aussi drôle, déterminée, lâche, obsessionnelle. Le film prend aussi en compte son empathie, qui comme on l’a vu, peut se centrer sur une autre personne que le Joker. Cette réappropriation passe également par les costumes. Harley laisse place à des vêtements qui reflètent sa personnalité : haut rose flashy, collants résilles troués, veste à frange multicolore. Elle ne porte plus ses vêtements de Suicide Squad, bien qu’elle les garde en “valeur sentimentale”, pour arborer un t-shirt à son nom. On ne peut pas faire plus clair, Harley Quinn n’appartient plus à personne. Le Joker la jette au début du film et elle est dans le déni le plus total. Elle décide sur un coup de tête de faire une annonce publique de leur rupture, en faisant exploser l’usine d’acide où il l’a conçu. Il n’y a plus de retour en arrière. Elle se détache de lui totalement, tout en se mettant en danger. Sans sa protection, Harley est poursuivie, détenant plusieurs ennemis dans Gotham. Alors qu’elle portait son appartenance, elle porte maintenant son émancipation. Le t-shirt à son effigie prend alors tout son sens. Par ce fait, malgré les différences entre les deux films, Birds of Prey poursuit certaines caractéristiques instaurées par David Ayer. Une façon de nous montrer qu’il n’est pas question de détruire tout regard et/ou choix masculin, mais plutôt de montrer que d’autres regards sont possibles et tout aussi pertinents.
À l’instar de la série animée, Birds of Prey nous montre un monde du crime à la merci d’une domination masculine : les femmes sont soit des trophées, soit des êtres à réduire dans la pyramide du pouvoir. En plus de présenter le méchant classique dans ce genre d'histoire, Black Mask est caractérisé par sa misogynie. Son besoin de pouvoir va au-delà de son amour de l’argent et est emprunt d’un besoin d’assouvir sa puissance sur les femmes. Ses hommes de main sont le miroir de ses idées, chacune de leur initiative est imprégnée de violence et de culture de viol. Être une femme dans ce Gotham revient à être en danger. C’est pourquoi Margot Robbie et sa scénariste ont fait le choix de former un groupe autour du personnage. Non pas Poison Ivy et Catwoman, qui forment les Gotham Sirens, mais les Birds of Prey, peu connues du grand public. Très différentes les unes des autres, elles ont chacune un motif distinct, un enjeu différent, et se voient dans l’obligation de travailler ensemble pour survivre. La violence contre les hommes est alors loin d’être misandre, mais vise à se protéger, c’est là où le film déploie son intelligence : malgré les ressentiments qu’elles peuvent avoir contre Black Mask et ses sbires, elles ne rentrent jamais dans le jeu de la vengeance (à part pour le personnage de Huntress, qui finit par se ranger à leur avis). Harley et ses comparses déjouent le trope de la femme vengeresse. Elles n’agissent pas par gratuité mais pour protéger une des leur et ainsi s’ériger contre l’injustice que produit les comportements réducteurs envers les femmes. “Psychologically speaking, vengeance rarely brings the catharsis we hope for” nous dit Harley. Si la colère est un moteur puissant pour combattre le patriarcat, le cinéma a tendance à simplifier ses personnages, enlevant une complexité qui fait pourtant partie intégrante des questionnements. La sororité en soi est à exploiter, mais comment la montrer, la filmer ? Qu’est-ce qu’elle amène, est-elle si nécessaire ? Des films comme Ocean’s 8 ou Ghostbuster version 2016 se voulaient cathartique, tout en refusant ces questions, pour ne pas heurter un public déjà très agacé par leur existence (même si le film de Paul Feig expose quelques éléments sans l’exploiter). Christina Hodson explore ces questions dans son récit, qui de ce fait, évite l’écueil du manichéisme.
Cependant, une question subsiste. Si les deux œuvres, la série animée et le film de Cathy Yan, nous proposent une Harley Quinn émancipée, l’est-elle vraiment ? Harley Quinn comme Birds of Prey sont obligés d’obéir à certains codes, certaines décisions prises par un système, qui comme nous l’ont montré #MeToo et Time’s Up, est loin d’être paritaire. Si l’effort est louable, d’essayer de donner une voix à Harley Quinn, les deux œuvres ne mettent jamais en cause le système, mais naviguent dedans, tant bien que mal. L’émancipation du personnage est alors étroitement liée aux opportunités que donnent difficilement Hollywood aux héroïnes. Et tant que le système restera aux mains du patriarcat, l’émancipation voulue ne restera que purement fictive, sans être totale.
En conclusion, le personnage de Harley Quinn était en premier lieu, un accident. Par une combinaison de hasard, cet “homme de main” au féminin, qui n’avait pour but que d’apporter un peu de piment dans le gang du vilain le plus célèbre des comics, a réussi à s’intégrer parfaitement dans un récit qui n’était pas le sien. Sa relation aussi tragique que toxique avec le Némésis du Batman, qui ne pouvait exister qu’en sous-texte dans une série destinée aux enfants, a fini par exposer avec pertinence et subtilité ce que beaucoup de personnes vivent au quotidien. Malgré un récit aussi fermé, elle a réussi à devenir une icône, une anti-héroïne attachante, qui mérite mieux que son destin de victime. Harley Quinn est un personnage fascinant parce qu’il se réinvente totalement à chaque fois : une victime et un sidekick dans Batman, la série animée, une super-vilaine dans Harley Quinn, une héroïne dans Birds of Prey, elle est même une amie drôle et énergique pour Barbara Gordon dans la série animée DC Super Hero Girls de Lauren Frost. Sa complexité, son humour, et surtout son histoire, lui donnent un statut à part. Si certaines versions ont essayé de l’enfermer dans un carcan, elle est arrivée à déjouer les clichés : elle n’est pas uniquement vulnérable, pas uniquement dangereuse ou folle.
Questionner le regard que nous pouvons poser sur Harley Quinn, c’est questionner les clichés que nous retrouvons souvent chez les héroïnes dans l’univers du super-héros. Hyper-sexualisée, avec un seul trait de caractère, elles sont malmenées et amenées à demeurer un objet désirable pour les amoureux du genre. Le regard que l’on pose sur Harley Quinn est politique, son évolution selon les époques le prouve. Contrairement à ses semblables, Harley Quinn a connu une évolution marquante, étroitement liée aux avancées de notre société concernant les femmes. Nous tenons peut-être la raison de sa célébrité.
Laura Enjolvy
Copyright 2020 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved |
Bien entendu, depuis l'émergence du mouvement #MeToo, nous pouvons nous interroger sur le féminisme de certains produit mainstream, qui l’utilise dans le seul but d’en faire du militantisme marketing. Les questionnements sont très superficiels et ne remettent jamais en cause le système, proposant une idéalisation du “girl power”, très plaisante, je le concède. Pourtant ici, malgré son côté blockbuster fun, le propos féministe ne se veut pas uniquement comme argument de vente. Il est la prémisse de l’histoire et dissémine ça et là, entre deux bastons, des idées pour remettre en question le male gaze et le statut des héroïnes, encore trop sexualisées, enfermées dans des tropes sexistes. Birds of Prey se sert de son rôle de divertissement pour faire passer son message : il existe plusieurs facettes du personnage, qu’il faudrait enfin mettre en avant. L’équipe du film s’amuse à défaire ce qu’a pu amener le film de David Ayer. Celui de Cathy Yan accentue donc les autres aspects de sa personnalité, laissant de côté son hyper-sexualisation. Cette Harley est sexy, mais ce n’est pas ce qui l’a défini en premier lieu. Elle est aussi drôle, déterminée, lâche, obsessionnelle. Le film prend aussi en compte son empathie, qui comme on l’a vu, peut se centrer sur une autre personne que le Joker. Cette réappropriation passe également par les costumes. Harley laisse place à des vêtements qui reflètent sa personnalité : haut rose flashy, collants résilles troués, veste à frange multicolore. Elle ne porte plus ses vêtements de Suicide Squad, bien qu’elle les garde en “valeur sentimentale”, pour arborer un t-shirt à son nom. On ne peut pas faire plus clair, Harley Quinn n’appartient plus à personne. Le Joker la jette au début du film et elle est dans le déni le plus total. Elle décide sur un coup de tête de faire une annonce publique de leur rupture, en faisant exploser l’usine d’acide où il l’a conçu. Il n’y a plus de retour en arrière. Elle se détache de lui totalement, tout en se mettant en danger. Sans sa protection, Harley est poursuivie, détenant plusieurs ennemis dans Gotham. Alors qu’elle portait son appartenance, elle porte maintenant son émancipation. Le t-shirt à son effigie prend alors tout son sens. Par ce fait, malgré les différences entre les deux films, Birds of Prey poursuit certaines caractéristiques instaurées par David Ayer. Une façon de nous montrer qu’il n’est pas question de détruire tout regard et/ou choix masculin, mais plutôt de montrer que d’autres regards sont possibles et tout aussi pertinents.
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À l’instar de la série animée, Birds of Prey nous montre un monde du crime à la merci d’une domination masculine : les femmes sont soit des trophées, soit des êtres à réduire dans la pyramide du pouvoir. En plus de présenter le méchant classique dans ce genre d'histoire, Black Mask est caractérisé par sa misogynie. Son besoin de pouvoir va au-delà de son amour de l’argent et est emprunt d’un besoin d’assouvir sa puissance sur les femmes. Ses hommes de main sont le miroir de ses idées, chacune de leur initiative est imprégnée de violence et de culture de viol. Être une femme dans ce Gotham revient à être en danger. C’est pourquoi Margot Robbie et sa scénariste ont fait le choix de former un groupe autour du personnage. Non pas Poison Ivy et Catwoman, qui forment les Gotham Sirens, mais les Birds of Prey, peu connues du grand public. Très différentes les unes des autres, elles ont chacune un motif distinct, un enjeu différent, et se voient dans l’obligation de travailler ensemble pour survivre. La violence contre les hommes est alors loin d’être misandre, mais vise à se protéger, c’est là où le film déploie son intelligence : malgré les ressentiments qu’elles peuvent avoir contre Black Mask et ses sbires, elles ne rentrent jamais dans le jeu de la vengeance (à part pour le personnage de Huntress, qui finit par se ranger à leur avis). Harley et ses comparses déjouent le trope de la femme vengeresse. Elles n’agissent pas par gratuité mais pour protéger une des leur et ainsi s’ériger contre l’injustice que produit les comportements réducteurs envers les femmes. “Psychologically speaking, vengeance rarely brings the catharsis we hope for” nous dit Harley. Si la colère est un moteur puissant pour combattre le patriarcat, le cinéma a tendance à simplifier ses personnages, enlevant une complexité qui fait pourtant partie intégrante des questionnements. La sororité en soi est à exploiter, mais comment la montrer, la filmer ? Qu’est-ce qu’elle amène, est-elle si nécessaire ? Des films comme Ocean’s 8 ou Ghostbuster version 2016 se voulaient cathartique, tout en refusant ces questions, pour ne pas heurter un public déjà très agacé par leur existence (même si le film de Paul Feig expose quelques éléments sans l’exploiter). Christina Hodson explore ces questions dans son récit, qui de ce fait, évite l’écueil du manichéisme.
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Cependant, une question subsiste. Si les deux œuvres, la série animée et le film de Cathy Yan, nous proposent une Harley Quinn émancipée, l’est-elle vraiment ? Harley Quinn comme Birds of Prey sont obligés d’obéir à certains codes, certaines décisions prises par un système, qui comme nous l’ont montré #MeToo et Time’s Up, est loin d’être paritaire. Si l’effort est louable, d’essayer de donner une voix à Harley Quinn, les deux œuvres ne mettent jamais en cause le système, mais naviguent dedans, tant bien que mal. L’émancipation du personnage est alors étroitement liée aux opportunités que donnent difficilement Hollywood aux héroïnes. Et tant que le système restera aux mains du patriarcat, l’émancipation voulue ne restera que purement fictive, sans être totale.
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En conclusion, le personnage de Harley Quinn était en premier lieu, un accident. Par une combinaison de hasard, cet “homme de main” au féminin, qui n’avait pour but que d’apporter un peu de piment dans le gang du vilain le plus célèbre des comics, a réussi à s’intégrer parfaitement dans un récit qui n’était pas le sien. Sa relation aussi tragique que toxique avec le Némésis du Batman, qui ne pouvait exister qu’en sous-texte dans une série destinée aux enfants, a fini par exposer avec pertinence et subtilité ce que beaucoup de personnes vivent au quotidien. Malgré un récit aussi fermé, elle a réussi à devenir une icône, une anti-héroïne attachante, qui mérite mieux que son destin de victime. Harley Quinn est un personnage fascinant parce qu’il se réinvente totalement à chaque fois : une victime et un sidekick dans Batman, la série animée, une super-vilaine dans Harley Quinn, une héroïne dans Birds of Prey, elle est même une amie drôle et énergique pour Barbara Gordon dans la série animée DC Super Hero Girls de Lauren Frost. Sa complexité, son humour, et surtout son histoire, lui donnent un statut à part. Si certaines versions ont essayé de l’enfermer dans un carcan, elle est arrivée à déjouer les clichés : elle n’est pas uniquement vulnérable, pas uniquement dangereuse ou folle.
Questionner le regard que nous pouvons poser sur Harley Quinn, c’est questionner les clichés que nous retrouvons souvent chez les héroïnes dans l’univers du super-héros. Hyper-sexualisée, avec un seul trait de caractère, elles sont malmenées et amenées à demeurer un objet désirable pour les amoureux du genre. Le regard que l’on pose sur Harley Quinn est politique, son évolution selon les époques le prouve. Contrairement à ses semblables, Harley Quinn a connu une évolution marquante, étroitement liée aux avancées de notre société concernant les femmes. Nous tenons peut-être la raison de sa célébrité.
Laura Enjolvy