[CRITIQUE] : Tout peut changer, et si les femmes comptaient à Hollywood ?
Réalisateur : Tom Donahue
Avec : Geena Davis, Meryl Streep, Chloë Grace Moretz, Jessica Chastain, Taraji P. Henson, Shonda Rhimes, Sandra Oh, Natalie Portman,...
Distributeur : Alba Films
Budget : -
Genre : Documentaire
Nationalité : Américain
Durée : 1h35min
Synopsis :
Tout peut changer est un documentaire qui révèle ce qui se cache derrière l'une des aberrations de l'industrie du cinéma américain : la sous-représentation des femmes à Hollywood. Le réalisateur Tom Donahue met en avant des décennies de discrimination à l'égard des femmes derrière et devant la caméra, grâce notamment à une méthode inédite d’étude des données chiffrées, avec, à l’appui, des centaines de témoignages accablants. Plus important encore, le film cherche et propose des solutions qui vont au-delà de l'industrie du cinéma et bien au-delà des frontières américaines, à travers les témoignages de nombreuses voix d'Hollywood, dont Meryl Streep, Cate Blanchett, Natalie Portman, Reese Witherspoon, Sandra Oh, Jessica Chastain, Chloë Grace Moretz, Shonda Rhimes, ou encore, Geena Davis, également productrice exécutive du film ; pour mettre en exergue ce qui peut et doit changer.
Critique :
Dans #ToutPeutChanger de Tom Donahue, les témoignages des femmes qui font Hollywood, celles qui pensent, qui analysent, ainsi que les études effectuées montrent avec force et justesse les rouages d'un système sexiste, qu'il est temps de démonter point par point. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/TLXUQs5TFy— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) February 15, 2020
Quand on parle du mouvement #MeToo et de la libération de parole que l’on peut constater depuis l’affaire Weinstein, la métaphore de la vague revient souvent. La “vague féministe” qui renverse tout sur son passage. Il serait faux de ne voir cela que par ce biais, car cette notion de vague renvoie à l’éphémère, comme si tout ce qui se passe depuis 2017 est amené à disparaître, pour peut-être revenir plus tard. C’est ce qui enclenche souvent le phénomène du “backlash”, qu’à constater la journaliste Susan Faludi dans les années 90. Chaque avancée féministe, chaque combat mené pour les femmes finissaient par tomber à plat et permettaient à la société patriarcale de reprendre ses droits. Il est surtout faux de se dire que les femmes à Hollywood ne se réveillent uniquement après #MeToo et surtout le mouvement Time’s Up, crée par plusieurs femmes du milieu cinématographique. Non, les femmes parlent, combattent depuis des décennies. Mais le système est si oppressif, si prompt à invisibiliser les femmes, qu’ils masquent aussi les combats menés.
C’est pour cela qu’il est important d’aller voir le nouveau documentaire réalisé par Tom Donahue, sur nos écrans à partir du 19 février et produit notamment par Geena Davis. 80% des films distribués à travers le monde sont produits aux Etats-Unis nous dit la productrice et actrice, ce qui donne à ce pays une responsabilité de représentation des minorités … qu’il ne prend pas au sérieux. Des films en majorité produit par des hommes, blancs, ce qui donne un seul regard, promouvant un certain taux de misogynie ancrée, et qui à force paraît tout à fait normal. Si seulement l’hyper-sexualisation des personnages féminins était la seule problématique… Car il est la partie immergée d’un iceberg cachant un système oppressif qu’il est temps de démonter point par point. Et à partir de ce moment-là, tout pourrait changer (ou comme son titre original l’indique This changes everything).
Par ses témoignages, Tout peut changer dénonce un système qui se nourrit lui-même, un engrenage qui engage chaque branche de l’industrie et qui se renvoie la balle. Chaque décision créative, chaque poste décisionnel ont pourtant un pouvoir énorme, mais les mécanismes ferment la porte à tout changement. Les problèmes de budget ou les différents créatifs sont souvent cités pour couvrir ce qui se passe en interne. Cela va plus loin, comme nous le montre les études effectuées par le seul organisme de recherche aux Etats-Unis qui s’intéresse aux questions médiatiques, au divertissement en le croisant avec les inégalités entre homme et femme et qui y cherche une corrélation. Et devinez quoi ? Tout est lié. Le Geena Davis Institute donne les chiffres et les analyses effectuées depuis sa création. Ce que dénonce les femmes depuis des décennies est maintenant prouvé. Quel est la prochaine étape ?
Le documentaire tend à faire comprendre l’importance de la représentation, souvent moquée car on ne se rend pas forcément compte de l’impact des images. Après la sortie coup sur coup du film d’animation Pixar Rebelle et de la saga Hunger Games, les associations de tir à l’arc, sport très masculin, ont vu leur taux de jeunes filles inscrit s'élever à 105%. Les films tels que Thelma et Louise pour le buddy-movie ou Wonder Woman pour le genre super-héroïque sont vus cités en exemple très souvent, dans ce documentaire, mais aussi de manière général, comme des pionniers, car en plus d’être des films rentables au box-office, ils ont ouvert la voie à des genres uniquement perçu pour un regard masculin. L’impact est conséquent. Geena Davis se rappelle encore des nombreux témoignages qu’elle a reçu suite au film, de femmes qui se sont senties le courage de se séparer de leur mari, violent ou toxique suite au visionnage. Le documentaire montre aussi les centaines de petites filles qui se sont déguisées en Wonder Woman, après la sortie du film, car elles se sont senties représentées. L’actrice Jessica Chastain l’avait déjà dit pendant une conférence de presse au Festival de Cannes et le répète ici, la plupart des films ne s’intéressent peu aux femmes, ou très superficiellement. On ne s’intéresse ni à leurs désirs, à leurs besoins ou à leurs peurs. Mais le documentaire ne se préoccupe pas seulement de la représentation, mais aux femmes qui travaillent dans ce milieu, qui réalisent, qui écrivent. Comment sont-elles traitées ? Leur opinion compte-t-il ? La réponse n’étonnera personne.
Les intervenants.es viennent des milieux différents : acteurs/actrices, producteurs/productrices, showrunners/showrunneuses, mais aussi des journalistes, des essayistes, des personnes travaillant pour des syndicats protégeant les discriminations sexistes et raciales, qui nous racontent leurs expériences, leurs expertises et leurs analyses.
Entamé depuis 2015, le projet a pu s’enrichir des événements qui se sont passés à Hollywood et ainsi porter une démarche militante actuelle. Tout peut changer mélange les témoignages des femmes (et parfois des hommes) qui font Hollywood, et des analyses sourcées précises et pertinentes sur l’histoire de Hollywood (notamment, comment l’arrivée du parlant a porté préjudices aux femmes, comment des combats ont été menés en interne par certaines réalisatrices, comment d’autres ont essayés de faire reconnaître la discrimination systémique par la justice et ce qu’apporte le mouvement #MeToo). Le documentaire se termine par une constatation : un changement durable ne verra le jour uniquement au moment où les décisionnaires prendront conscience et agiront véritablement (un exemple concret est pris, avec la chaîne de télévision FX).
Le film tend à faire prendre conscience que le manque de femmes derrière la caméra n’a rien à voir avec un manque de talent ou de mérite (argument répété à longueur de temps), mais provient d’une discrimination effective. Et, comme nous le fait remarquer Melissa Goodman de l’ACLU (Union Américaine pour les Libertés Civiles), la discrimination à l’embauche est punie par la loi.
Laura Enjolvy
Le film tend à faire prendre conscience que le manque de femmes derrière la caméra n’a rien à voir avec un manque de talent ou de mérite (argument répété à longueur de temps), mais provient d’une discrimination effective. Et, comme nous le fait remarquer Melissa Goodman de l’ACLU (Union Américaine pour les Libertés Civiles), la discrimination à l’embauche est punie par la loi.
Laura Enjolvy