[TOUCHE PAS À MES 80ϟs] : #87. Black Rain
© 1989 Paramount Pictures. All Rights Reserved |
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 80's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios (Cannon ❤) venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 80's c'était bien, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, mettez votre overboard dans le coffre, votre fouet d'Indiana Jones et la carte au trésor de Willy Le Borgne sur le siège arrière : on se replonge illico dans les années 80 !
#87. Black Rain de Ridley Scott (1989)
En 1987 pour le puissant Wall Street d'Oliver Stone (sans doute son meilleur rôle), Michael Douglas campait un magnat de la finance qui salissait son âme mais gardait ses mains propres, là ou dans le moins défendable - mais culte - Liaison Fatale d'Adrian Lyne, il campait un avocat qui goûtait aux joies sauvages de l'adultère, avant que son escapade extra-conjugale ne se retourne contre lui.
À peine deux ans plus tard sous la direction de Ridley Scott, il tentait de préserver son âme, voire même tout simplement de la sauver, en plongeant de tout son être dans la boue, via le rôle du détective badass du NYPD Nick Conklin, dans le fantastique et galvanisant Black Rain; petite pépite de polar noir ou la vision visuellement ébouriffante du Japon, reste à ce jour la plus passionnante du cinéma de genre US avec Yakuza de Sidney Pollack, ou figurait déjà le regretté Ken Takakura.
Triomphe de la matière sur l'esprit, sans pour autant que l'intrigue soit facile et dénué d'un minimum de complexité, le métrage est une véritable explosion de sensations pures, une balade des grands ducs qui vous prend par les balloches pour mieux vous asséner un uppercut qui n'a, même trente ans plus tard, pas prit une ride (sauf peut-être la coupe de Douglas).
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On y suit les aléas du flic Nick Conklin, une tête brûlée grossière mais géniale, dont la passion première est d'enfreindre les règles (et faire des courses illégales avec sa moto aussi...).
Sauf que la désillusion de son quotidien morose, menace de le faire définitivement basculer du côté obscur de la force et de la loi : sa femme l'a quitté et lui casse les reins avec une pension alimentaire coton, son département le soupçonne de recevoir des pots-de-vin (les boeufs-carottes sont sur ses côtes) et sa nouvelle mission, du baby-sitting d'un yakuza japonais ambitieux nommé Sato (Yusaku Matsuda) sur un vol de New York à Osaka, vient d'être royalement bâclée (Sato s'échappe carrément à la sortie de l'avion, en profitant de la barrière de la langue entre les flics et leur terre d'accueil, mais aussi de la montagne de paperasse administrative), et l'oblige à rester avec son partenaire et BFF Charlie Vincent (l'attachant Andy Garcia), sur place histoire de réparer le délire.
Sauf qu'en terre inconnue et étrangère, rien ne se passe comme prévu, et Charlie va douloureusement perdre la vie des mains - ou plutôt du sabre - de Sato.
Seul contre tous, Conklin n'aura que l'inspecteur intègre et respectueux des traditions Masahiro Matsumoto, et d'une femme du monde de la nuit - Joyce -, pour l'aider à mener sa traque à bien, et enfin goûter aux fruits sombres de la vengeance...
Véritable récit infernal d'un poisson hors de l'eau, prenant de plein fouet la notion de " choc des cultures " ou le caractère austère et mystérieux d'une ville devient un caractère aussi oppressant que dominant sur un gaijin - un étranger -, et épousant à pleine bouche tous les standards de son époque; Black Rain, vrai B movie jusqu'au bout de la pellicule, est de ses péloches qui ne brille pas forcément par leur originalité - le script n'a pas inventé la poudre mais la balance avec efficacité -, mais qui en impose par leur brutalité et leur style.
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Un style ici furieusement exotique et dynamique (appuyé par un score absolument dantesque d'Hans Zimmer), tant Scott plonge sa caméra aussi bien dans l'euphorie des allées luxueuses et pop que dans les coins sombres et inconnus d'Osaka (superbe photographie de Jan De Bont), pour dépeindre un Japon est aussi somptueux et hypnotique qu'il est dangereux et étouffant.
Mais dans cette accumulation de plans majestueux, panache de brume sublimant les rues noires et pluvieuses (on ne les admire pas, on s'y perd), et qui rappellerait presque ce que le cinéaste nous avait offert dans Blade Runner (sorte de fusion colorée et désespérée entre l'Est et l'Ouest), Scott ne laisse pas pour autant son propos de côté, même s'il ne quitte jamais le carcan du thriller urbain prévisible, tant il brasse des thèmes importants et rarement abordés à l'époque : que ce soit la paranoïa américaine à propos de la suprématie économique et technologique émergente du Japon (une paranoïa toujours aussi forte, voire même encore plus à l'heure actuelle), la notion de trahisons de ses préceptes (Matsumoto s'affranchit de son statut de flic esclave d'un rituel et d'un code d'honneur dépassé, pour se transformer en guerrier qui agit avec sa raison et son coeur), ou encore comment les traditions d'un job à l'étranger, laisse sa marque sur une psyché occidentale et ses préjugés faciles (voire le changement d'attitude de Conklin avec Matsumoto, passant du connard méprisant à l'ami compréhensif et un poil bienveillant).
Ou quand un actionner pur et dur, n'hésite pas à rompre sa foulée frénétique et violente - aux vrais morceaux de bravoure enthousiasmants -, pour souligner les difficultés de vivre à la hauteur des idées préconçues.
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Calibré à l'image et à la réplique près, le cinéaste laisse pourtant suffisamment d'espace à tous ses acteurs, pour briller (sauf peut-être à Kate Capshaw, et son rôle pas évident de love interest loin d'être pertinent), même si au-delà d'un Michael Douglas charismatique en diable en héros badass et torturé (ce qui n'était pas forcément gagné au départ, même avec un cuir, des lunettes noires et ine confiance en lui à toute épreuve), et d'un Yûkazu Matsuda dans la peau de l'imprévisible Sato, c'est surtout la prestation magnifique de Ken Takakura, en flic intègre et d'une générosité rare, qui marque les rétines.
Face la rage éructante de Conklin et son approche hautement singulière de l'application des lois, il est le seul rempart saint d'esprit (tel un héros d'un ancien temps, sage et réfléchi), constamment sur la retenue, même quand il se laisse gentiment aller à un léger et timide " écart de conduite " (sa petite séquence de karaoké avec Charlie/Andy Garcia sur "What'd I Say" de Ray Charles).
Pas toujours fin (notamment dans son final à la résolution éthique pas forcément cohérente dans sa réflexion), mais d'une efficacité redoutable, Black Rain démontre avec force et maîtrise que les films d'action sont un genre ou les clichés peuvent être transcendés et ou l'exécution peut triompher du contenu, quand un cinéaste en pleine possession de ses moyens est à sa barre.
Scott nous emmène en balade dans un Japon chaud, fantastique et sauvage aux portes de l'enfer, et force est d'avouer que même si l'on connaît par coeur ce voyage, il nous est toujours totalement impossible de refuser cette invitation...
Jonathan Chevrier