[CRITIQUE] : Une Vie Cachée
Réalisateur : Terrence Malick
Acteurs : August Diehl, Valerie Pachner, Maria Simon, Matthias Schoenaerts, Bruno Ganz,...
Distributeur : Orange Studio Cinéma / UGC Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Biopic.
Nationalité : Allemand, Américain.
Durée : 2h53min.
Synopsis :
Inspiré de faits réels.
Franz Jägerstätter, paysan autrichien, refuse de se battre aux côtés des nazis. Reconnu coupable de trahison par le régime hitlérien, il est passible de la peine capitale. Mais porté par sa foi inébranlable et son amour pour sa femme, Fani, et ses enfants, Franz reste un homme libre. Une vie cachée raconte l'histoire de ces héros méconnus.
Critique :
Aussi romanesque qu'il est spirituel et métaphysique, #UneVieCachée est un bijou d'expérience visuelle et sensorielle autant qu'un grand drame posant avec pertinence, des questions difficiles sur ce que signifie être fidèle mais surtout être humain dans un monde qui ne l'est plus pic.twitter.com/gMCmHGOvh7— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) December 6, 2019
Dans la catégorie des cinéastes qui divisent les cinéphiles au gré du temps, force est d'avouer que Terrence Malick y a une place de choix, tant ses films déchainent autant les débats qu'une sortie médiatico-cul de la famille Kardashian.
Plus sérieusement, le bonhomme peut se targuer d'être l'un des seuls faiseurs de rêves à avoir pleinement marqué de son empreinte indélébile l'histoire d'un septième art ricain - et même mondial - qui nous aurait certainement paru moins majestueux et étourdissant sans la présence lumineuse de son oeuvre.
Incroyable conteur auteur de quelques chefs d’œuvres majeurs (La Balade Sauvage, Les Moissons du Ciel, The Tree of Life mais surtout La Ligne Rouge) tout en étant l'un des metteurs en scènes les plus rares à fouler les salles obscures, le Terrence, motivé par la reconnaissance imprévue de The Tree of Life durant la Croisette 2011, défiait toute la logique de sa production en enchaînant la réalisation coup sur coup et en à peine huit ans, de trois longs métrages au casting méchamment alléchant : À la Merveille, Knight of Cups et Song To Song (ex-Lawless).
Si l'on ne retiendra volontairement que le dernier opus de cette trilogie expérimentale profondément bancale (puisque seul Song to Song fut une oeuvre mystique, aérienne et réellement aboutit), en revanche, son nouveau long-métrage, Une Vie Cachée fera lui bien date tant il se hisse sans forcer aux côtés de ses plus beaux poèmes sur pellicule.
Mise en images contemplative et bouleversante de la biographie de Franz Jagerstatter, objecteur de conscience de la Seconde Guerre mondiale, le film suit avec une acidité remarquable le message ouvertement métaphysique et chrétien entreprit par le metteur en scène depuis The Tree of Life, mais surtout sa perpétuelle remise en question de ses certitudes d'homme.
Dans The Tree of Life, il cherchait un sens à l'histoire - la notre et celle de la vie -, dans À la Merveille un sens à la religion, Knight of Cups un sens à la célébrité et aux excès et pour Song To Song, à rien de moins que l'amour.
Ici, il trouve peut-être son substitut parfait en la personne de Jagerstatter, qui lui permet presque de toucher à tous les thèmes qui lui sont chers, en faisant de cet homme une figure du Christ, une personne dont la conviction inébranlable du bien et du mal lui a tout simplement coûté la vie.
Très proche spirituellement et dans le fond, du formidable Silence de Martin Scorsese, qui remettait en question la notion de foi aussi bien devant que derrière la caméra (Malick comme Scorsese, semble opérer une dissection intime sur l’importance de Dieu dans sa propre existence, et sa vision évolutive sur le christianisme), le film est fait pour interpeller son auditoire sur un tout petit peu moins de trois heures (qui défilent à une vitesse folle), mais surtout pour le bousculer par sa sincérité débordante.
De manière totalement surprenante, Une Vie Cachée est un vrai film de guerre mais dont l'imagerie convoque majoritairement la nature (ce qui le rapproche de La Ligne Rouge, grâce au travail titanesque de Jörg Widmer), appuyant l'interrogation fascinante du cinéaste sur les perturbations du monde naturel causées par la cruauté de l'homme.
On y suit l'effroi terrible de Franz Jägerstätter (fantastique August Diehl), fervent chrétien, mari passionné (Malick romance l'amour qui le lie à sa femme Fani, incarnée par la déchirante Valerie Pachner, avec une musique envoûtante et un flot d’images qui hantent nos esprits longtemps après vision) et un patriarche qui travaille dur au coeur d'un petit village autrichien de St. Radegund, paradis qui va peu à peu être rattrapé et souillé par ce qui se passe dans le reste du monde et de la façon dont le mal absolu qui le pervertie, va bientôt empiéter sur le bonheur.
Avec courage, il va commencer à se démener face à l'idéologie nazie qui se répand même sur ses terres éloignées, refusant de prêter un serment de fidélité à Hitler, et de partir se battre pour le Troisième Reich.
Un refus qui peut s'assimiler pour l'époque, autant à un acte de trahison qu'à de l'hérésie pure par l'armée autant que les partisans du nazisme.
Il sait que les nazis vont venir le chercher, et la question sera alors de savoir quand le couperet tombera, mais surtout s'il va céder, souffrir avec noblesse et nier ses propres croyances pour rester en vie.
Infiniment respecteux, somptueux à regarder (comme tous les films du cinéaste en somme, sauf qu'ici il magnifie les Alpes autrichiennes comme personne auparavant, embrassant les paysages verdoyant avec une profondeur de champ à la lisière de la 3D), furieusement romanesque et concret aussi bien qu'il est savoureusement spirituel et expérimental, Une Vie Cachée incarne une merveille d'expérience visuelle et sensorielle, autant qu'un grand et beau drame familial et métaphysique, posant avec pertinence, des questions difficiles sur ce que signifie être fidèle mais surtout être humain dans un monde qui ne l'est plus.
Une oeuvre tellement incroyable et foisonnante, conversant continuellement avec le cinéma de son inégalable auteur, qu'on pourrait presque la prendre pour un film somme.
Jonathan Chevrier