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[CRITIQUE] : Les Misérables


Réalisateur : Ladj Ly
Acteurs : Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga, Issa Parica,...
Distributeur : Le Pacte
Budget : -
Genre : Drame, Policier.
Nationalité : Français.
Durée : 1h42min

Synopsis :
Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, deux "Bacqueux" d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes...



Critique :


Ladj Ly était sans doute l'un des cinéastes les plus légitimes à pouvoir traiter du sujet épineux des banlieues françaises, non seulement parce qu'il en est originaire - comme beaucoup d'entre nous, et c'est un témoignage de connaissance follement nécessaire -, mais surtout parce qu'il laisse traîner ses caméra sur le bitume, filmant la fureur du bitume depuis quelques années maintenant (les documentaires 365 Jours à Clichy Montfermeil, À Voix Haute, le court-métrage Les Misérables, les projets Kourtrajmé,...).
Le fait de le voir passer par la case fiction - et une juste extension du court-métrage éponyme nommé aux César en 2018 -, avec une volonté d'offrir un regard sincère et réaliste du quotidien des banlieues, se devait donc d'attirer le regard du spectateur français moyen, gentiment conditionné par ce que la télévision lui assène chaque jour avec aplomb gerbant et au point de vue totalement à sens unique, et pas uniquement parce qu'il a été adoubé par le dernier festival de Cannes.
Surtout dans une actualité contemporaine fiévreuse ou tout est sujet au débat, voire au combat, sans une réelle connaissance de chaque tenants et aboutissants.



Sans charger ni embellir ce que l'on pourrait aisément retranscrire comme une guerre des tranchées entre le " bien et le mal " selon les points de vues (la population banlieusarde d'un côté, la police de l'autre), le cinéaste croque une introduction progressive au coeur de son sujet, peignant une peinture hétérogène de la vie communautaire au coeur d'un véritable monde dans le monde, voulu par des années d'une politique (volontairement ?) maladroite et démissionnaire, cadenassant les portes du " bon vivre ensemble " au profit du " chacun chez soi ", et creusant avec une frénésie aveuglante le fossé de plus en plus béant des inégalités sociales.
La banlieue française, parisienne ou provinciale, est stigmatisée, c'est un fait irréfutable et une réalité cruelle qui ne sert pourtant pas d'alarme à réaction pour la politique ambiante, mais bien une force de récupération putassière et, fondamentalement, rien de plus.
Loin de pleinement se poser comme une figure politique - même s'il est obligé de l'être, et que son film l'est de bout en bout de sa pellicule -, ni même comme une vision totalement partisane (un entre-deux qu'il arrive subtilement à maintenir jusqu'au dernier tiers du métrage), Les Misérables donne matière à réfléchir avec une maturité incroyable et sans la moindre dichotomie facile, n'idéalisant ni n'assombrissant jamais ce qu'est la vie en banlieue : la police y est montré tel quel est, avec tous ses acteurs potentiels (le natif, le cow-boy, le nouveau venu, le vieux briscard etc...) tout comme les habitants (pluralité générationnelle et religieuse, entre-aide, petits trafics,...).



Le facteur perturbateur ?
Un acte douloureux, malheureux mais diaboliquement commun - un cas d'école, aussi honteux que cela puisse paraître -, qui vient embraser un baril de poudre qui ne demande qu'à exploser et laisser s'échapper une tension qui ne peut qu'être que grandissante et (presque) impossible à canaliser.
Le parallèle avec l'oeuvre phare de Victor Hugo prend alors tout son sens, entre une vérité certaine - la France est un peuple de révolte, justement bâti sur la révolution - et une violence qui gangrène le quotidien à différents degrés (physique, morale, verbale, entre préjugé, discrimination, ressentiment profond, injustice et haine), qui, une fois unis, ne peuvent qu'accoucher que d'une tragédie, au-delà même du fait que la pauvreté, la privation des droits et l'abus de pouvoir des autorités sont des maux universels qui n'ont pas été guéris au fil des siècles.
Cauchemar réaliste construit crescendo, la cité cadre du métrage, baignée dans une innocence à moitié feinte (la paix se cultive), se perd par la suite dans une tension sourde, une loi du talion brutale au suspens qui prend littéralement son spectateur à la gorge pour ne plus jamais le lâcher (et encore plus dans des séquences qui lui est difficile à regarder puis encaisser), ou Ladj Ly justifie chaque acte par la puissance indécente d'une pure leçon de storytelling et de réalisation (plans aériens, steady cam, découpage au couteau,... il n'a pas volé son prix Cannois, c'est une put*** de certitude).



Jamais manichéen, ne tombant nullement dans la facilité des stéréotypes/clichés, de la spectacularisation de la violence ou de l'idolaterie partiale aveugle, Les Misérables montre l'affreuse vacuité de la violence qui se répond toujours à elle-même, mais ne résout jamais les problèmes qu'elle cause, tel un ouroboros qui se mort continuellement la queue, mais qui ne semble pas pourtant pouvoir faire autrement dans un environnement sans réelle autre issue possible.
Épique, authentique et offrant un vrai regard social nécessaire et intimement défendable (un film de banlieue qui parle autant des cités que de la France dans son entièreté, il fallait le faire), Les Misérables est un uppercut dont on ne se relève pas, une oeuvre en colère pour une France " d'oubliés " qui ne l'est pas moins, signée par un cinéaste qui sait de quoi il parle, et qui tente d'offrir des réponses pertinentes et sincères à des préjugés indignes, le tout avec un sang-froid proprement exceptionnel.
Un film qui voit toujours plus loin que ce qu'il montre, plus loin que simple mélange de peur impuissante et d'impulsion animale brute et désespérée.
Si les images parlent plus que les mots, pour son premier film de fiction, Ladj Ly en dit plus que quiconque sur le sujet en à peine 1h40, c'est dire la prouesse incroyable de la chose, et l'envie furieuse de le voir nous revenir dans les salles obscures hexagonales, le plus vite possible.


Jonathan Chevrier



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