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[CRITIQUE] : Brooklyn Affairs


Réalisateur : Edward Norton
Acteurs : Edward Norton, Gugu Mbatha Raw, Alec Baldwin, Willem Defoe, Bruce Willis, Michael K. Williams, Bobby Cannavale,...
Distributeur : Warner Bros. France
Budget : -
Genre : Drame, Policier.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h25min

Synopsis :
New York dans les années 1950. Lionel Essrog, détective privé souffrant du syndrome de Gilles de la Tourette, enquête sur le meurtre de son mentor et unique ami Frank Minna. Grâce aux rares indices en sa possession et à son esprit obsessionnel, il découvre des secrets dont la révélation pourrait avoir des conséquences sur la ville de New York… Des clubs de jazz de Harlem aux taudis de Brooklyn, jusqu'aux quartiers chics de Manhattan, Lionel devra affronter l'homme le plus redoutable de la ville pour sauver l'honneur de son ami disparu. Et peut-être aussi la femme qui lui assurera son salut… 



Critique :


Le talentueux Edward Norton est tellement rare dans nos salles obscures, et encore plus dans un premier rôle, que chacun de ses retours se doit d'incarner rien de moins qu'un put*** d'événement pour tous les cinéphiles un minimum endurci.
Pour Brooklyn Affairs, c'est même littéralement l'entrée, le plat et le dessert qu'il nous offre en revenant avec la triple casquette de scénariste, réalisateur (son second passage derrière la caméra après l'étonnant Au Nom d'Anna), sans que l'une d'entre elles ne vienne vampiriser les deux autres, tant le film incarne tout du long une vraie proposition de cinéma sombre et vaporeuse, qui se paye le luxe de ne pas être totalement une adaptation fidèle - elle s'en démarque même radicalement de sa source - du roman Motherless Brooklyn de Jonathan Lethem, dont elle capture uniquement l'ossature pour mieux en sublimer le propos.
Un travail d'orfèvre à la patience titanesque (19 ans qu'il tente de concrétiser le projet), de la part d'un artiste qui sait réellement à quel point le roman qu'il aborde est fantastique, mais surtout pleinement ce qu'il compte en faire pour le montrer au spectateur.



En déplaçant l'histoire des années 80 aux années 50, Norton accentue avec intelligence l'ancrage de son oeuvre au coeur de la riche tradition du film noir américain, avec son mystère sinueux so Chinatown, articulé autour de Lionel Essrog, un détective atteint du syndrome de Tourette, dont le mentor - et seul ami - est retrouvé assassiné.
On est en terrain connu, vraiment, et ce n'est pourtant décemment pas désagréable de se laisser emporter par un roman policier élégant sur pellicule, et encore plus quand il s'échine à croquer un voyage nostalgique au pays du polar dans les règles de l'art, et d'incarner également un tutoriel pertinent et affuté sur la manière dont le racisme institutionnalisé, la corruption civique et la gentrification se conjuguent avec une harmonie gerbante dans le quotidien du pays de l'Oncle Sam, et encore plus à New York, où le cinéaste insiste pour la montrer telle qu'elle était (et est encore ?) : dirigée par des milliardaires/rois du monde racistes (dont un Alec Baldwin qui a délecte de pouvoir laisser exploser sa folie dans le rôle d'un clone parfait de Donald Trump) qui expulsaient sans remords des familles noires-américaines et latino-américaines, pour laisser la place à des autoroutes ou à des projets immobiliers plus coûteux, histoire de faussement embellir leur ville mais réellement nourrir leur soif insatiable de pouvoir.
Une odyssée sombre sans pour autant être tragique, pour laquelle on ne se retrouvera pas à suivre l'enquête d'un Jack Gittes charismatique et arrogant (incarnation du cool dans le polar noir US), mais bien celle d'une figure totalement opposée, dont l'handicap le prive de toute coolitude possible, mais qui accentue pleinement la singularité du métrage et son envie de renverser les codes.
Anti-Nicholson ne pouvant pas aligner une phrase sans être gêné, le héros démontre pourtant avec une subtilité rare qu'un handicap a beau être un vrai obstacle au quotidien, et encore plus dans la vie professionnel, il n'en est pas moins une personne qui peut être compétente et solide, voire même plus intelligente que toutes celles qui gravitent autour d'elle (une pensée logique mais pas si commune pourtant, qui devrait pousser à la réflexion tous ceux ayant le préjugé facile).



Une figure humaine a bien des égards, - et sans doute plus que son prochain -, portée par de vraies valeurs et que l'on suit avec passion tant on ne se moque jamais de lui - on rit avec lui, pas de lui -, car si sa différence est une faiblesse aux yeux du monde (ou la moindre petite différence peut être stupidement vu comme une menace), elle est une belle force pour lui-même.
Essrog (campé par un Edward Norton tout simplement parfait) est le phare de la raison et du coeur d'une enquête basique - mais pas moins séduisante - prétexte in fine à une lettre d'amour tendre et sensible au quartier de Brooklyn, ou les combats d'hier renvoie de toute urgence à ceux d'aujourd'hui (notre vision de la politique écrasante et de sa manière de favoriser les plus riches et autres autocrates, notre souci de nous battre pour nos idéaux,...).
Prenant sensiblement son temps pour arriver à un final un poil décevant - qui en décontenancera plus d'un -, joliment tourné vers ses personnages, tous cohérents et réalistes, qu'il prend le temps de croquer avec justesse (celui de Mbatha-Raw, femme forte et loin du love interest facile, qui a un lien crédible avec sa communauté), autant que vers une ambiance nébuleuse et soignée (même les scènes les plus insignifiantes, sont empreintes de l'idée impassible que l'on se fait des vieux films noir, bien aidé par la photo formidable de Dick Pope), Brooklyn Affairs, pas dénué d'humour - et pas uniquement dans les explosions verbales prévisibles de son héros.-, est un délice de cinéma certes peut-être un peu trop long pour son bien, mais d'un versant politique étonnant pour une production d'une telle ampleur, tant le scénario associe ses éléments sociopolitiques à la caractérisation et à l'intrigue avec habileté. 


Vrai film d'époque bavard, passionné et intelligent - à défaut d'être un poil plus tordu et concis -, la seconde réalisation d'Edward Norton, peut-être trop écrasé par ses bonnes intentions (est-ce réellement un défaut? Pas pour nous), n'en est pas moins une balade ambitieuse et enivrante imbibée d'empathie pour un homme réfléchi et moralement stable, qui vit entre les bousculades et les secousses d'un esprit qu'il ne contrôle pas totalement, ainsi qu'un vrai beau message d'espoir pour ceux qui ne peuvent pas parler - ou du moins pas totalement - pour eux-mêmes. 


Jonathan Chevrier

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