[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #20. Clerks
© 1994 - Miramax |
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#20. Clerks de Kevin Smith (1995)
Des petits films fabriqués avec trois bouts de ficelle, il y en a peu qui marquent autant leur époque que Clerks de Kevin Smith.
« L’action » se déroule dans un Quick Stop perdu dans le New Jersey, nous y rencontrons Randal et Dante, deux jeunes adultes laissés sur le bas-côté de la vie.
Le film s’ouvre sur Dante, contraint de venir travailler un jour où il était censé être en repos. Il fait confiance à son patron abusif pour lui rendre sa liberté à temps pour un match de Street Hockey. Mais, il ne faut pas faire confiance aux patrons... Quant à Randal, il est extrêmement cynique, tout à fait satisfait de son travail de loueur de vidéo, lui permettant de torturer ses clients. Quand Dante aspire à plus, Randal est déterminé à profiter de sa vie comme elle est. Randal et Dante sont amis, mais profondément opposés.
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D’autres personnages viennent émailler le film de leur présence, à commencer par Jay et Bob. Deux sympathiques toxicomanes qui traînent dans les parages, sans trop savoir pourquoi. Jay parle à tort et à travers, dévoilant sa passion des otaries, tandis que Bob, interprété par Kevin Smith, ne parle que très peu et toujours à raison.
Mais il y a aussi Véronica, la copine de Dante, essayant de le motiver au quotidien (ce qui n’est pas toujours facile), et Caitlin, l’ex dont la présence plane toujours au dessus de Dante. Tous ces personnages semblent très vrais, sûrement parce que Kevin Smith a écrit sur ce qu’il connaît. Il est effectivement, au moment où il réalise le film, un employé du Quick Stop [il tourne les scènes lorsque le magasin est fermé (le gag du rideau cassé existe afin de ne pas avoir à justifier l’absence de lumière naturelle dans le magasin).]
Ecrire sur ce que l’on connaît est un acte fort. Transcender les vicissitudes de l’existence, les magnifier et en extraire la saveur de la vérité, c’est ce qu’à réussi Kevin Smith dans Clerks.
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Il y parle du rapport compliqué entre hommes et femmes à une époque où la révolution sexuelle a eu lieu, mais où les hommes sont encore convaincus de leur légitimité à contrôler le corps de leurs copines. Caitlin et Veronica sont des personnages bien plus libérés et conscients que ne le sera jamais Dante, et pourtant, c’est Dante qui les juge. A l’origine, Kevin Smith écrivit le rôle de Randal pour lui-même, mais, en réalisant qu’il serait difficile de réaliser le film tout en connaissant ses répliques, il échangea de rôle avec Jeff Anderson. Or, ce personnage le personnage de Randal est extrêmement critique avec Dante lorsqu’il s’agit de ses relations avec les femmes.
Au fil des dialogues, Kevin Smith met en place une critique de la société de consommation américaine, condamnant les choix militaires des rebelles de Star Wars, mais aussi la place des conseillers d’orientation, l’obsession pour les dates de péremption des vieilles dames, les représentants en chewing-gum... Ce regard si personnel est pourtant partagé par toute une génération : en 1994, MTV diffuse pour la première fois le clip Loser de Beck. La contre-culture devient la culture. Loser est un morceau qui se comprend comme n’étant à propos de rien d’autre que du sentiment d’inutilité de cette génération. Une ode au nihilisme. Il s’agit du même esprit que celui qui traverse Clerks. La contre-culture est, à ce moment-là, devenue la culture.
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La Nouvelle Vague n’étant pas une école artistique avec des codes formels mais un état d’esprit. Dans la revue de cinéma, Léo Bonneville en définira les personnages comme suit : « Tout d’abord, d’où viennent-ils ? Ils sont (les personnages de la Nouvelle Vague) des héros de notre temps. En effet, tous les films N.V. se situent après 1956, liquidant ainsi le passé. Le héros N.V. est l’homme du présent qui ignore ses ancêtres. [...] Chaque héros vit sa propre histoire. Et cela au creux de sa vie privée. » puis plus loin : « En fait, les héros de la N.V. ne sont pas des antis. Ils ne cherchent pas à détruire ; ils ne sont pas non plus des révoltés. Ils se contentent d’être indifférents à tout ce qui est en place. » (1) cette définition du héros de la Nouvelle Vague colle parfaitement à nos protagonistes. Si l’on ajoute à cela l’intertextualité riche du View Askewniverse (l’univers créé par Kevin Smith, il s’agit d’une contraction entre le nom de la boîte de production du réalisateur, View Askew, et du terme Universe), nous sommes au coeur de ce que Godard aurait fait s’il avait été un gars paumé du New-Jersey. Car le film est aussi un film de son époque: nous sommes en 1994, Tarantino cartonne, MTV est au top, Kurt Cobain vient de mourir... Le grunge atteint son apogée avant de disparaître. La culture du loser est omniprésente. La génération des jeunes adultes des années 90 est traversée de contradictions, de paradoxes, et sait qu’il y a quelque chose de pourri au royaume des cheeseburgers.
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Alors quand Miramax produit le film de Kevin Smith, le film indépendant américain est plein de promesses. Ce sera d’ailleurs un très grand succès en salles, puis en location vidéo, la boucle est bouclée.
Marie-Laure