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[FUCKING SERIES] : Dans leur Regard saison 1 : Living in America...


(Critique - avec spoilers - de la saison 1)



On avait laissé Ava DuVernay avec le piteux souvenir de son dernier long en date, Un Raccourci dans le Temps, un fascinant ratage, indigeste et ennuyeux, dans la droite lignée du déjà peu reluisant Alice aux Pays des Merveilles de Tim Burton, prônant maladroitement l'acceptation de soi, l'amour, l'entraide et le (bon) vivre ensemble, dans un gloubi-boulga touristique au pays du fond vert et de l'ennui poli.
Une erreur de parcours à nos yeux, dont on espérait qu'elle soit corrigée dès son projet suivant, Dans leur Regard, mini-série concoctée pour Netflix et s'inscrivant bien plus dans les illustres pas de ses deux premiers films coup de poing, I Will Follow et Selma, en s'attachant à compter l'histoire folle mais vraie des " Central Park Five ", cinq mômes de Harlem arrêtés en 1989 dans le fameux parc new-yorkais, accusés et incarcérés à tort pour le viol d’une joggeuse.

 
Un fait divers écoeurant, que la cinéaste épouse avec toute la verve et la rigueur de documentariste génial qui l'habite, pour mieux pointer du doigt les dérives judiciaires d'une Amérique gangrenée par la haine, le racisme, les préjugés et les inégalités sociales, tout en offrant ce qui est - et de loin - son plus beau travail à ce jour.
N'édulcorant jamais les faits, la cinéaste fait monter craduellement la tension des émeutes de Central Park à l'enquête négligente et violente de la police (bien trop désireuse de trouver un coupable rapide, voire facile), en passant par le jugement aveugle et la dureté de la vie carcérale, dans ce qui s'apparente à une fusion furieusement habile et cruelle, de nombreux show et films majeurs de ses dernières années (on pense souvent à The Night Of et The People vs O.J.Simpson, mais aussi et surtout sur certains points, à If Beale Street Could Talk), autant qu'un vrai tour de force télévisuel, sur une jeunesse confrontée à la volonté écrasante d'un monde suprématiste à la violence sourde et brutale, qui n'hésitera pas à leur priver de leur liberté sans le moindre remords, ni même sans la moindre preuve de leur culpabilité.


Ne tombant jamais ni dans le misérabilisme facile et manichéisme qui l'est tout autant, la cinéaste invite le spectateur à faire corps avec ce qu'il voit, à examiner une poignée de personnes (les amis, l'entourage) dans ce qu'ils sont l'un pour l'autre, dans leur regard et leur dignité déchirante, dans leur manière de digérer puis de lutter contre une injustice finalement trop commune au sein du pays de l'oncle Sam.
Rien n'a fondamentalement changé entre la fin des années 80 et aujourd'hui, DuVernay le sait mieux que personne et elle nous le rappelle dans un uppercut sur pellicule ou tout fait mal autant que tout sonne juste, du casting indécent de talent (parfait, des seconds couteaux luxueux aux jeunes héros, parmi lesquels Jharrel Jerome, s'impose à nouveau comme l'une des futurs next big thing d'Hollywood après sa partition dans Moonlight de Barry Jenkins) à la bande originale (le score envoûtant et subtil de Kris " Green Book " Bowers), en passant par la photographie (lumineuse signée Bradford Young) et même la mise en scène (virtuose et au sens du cadre percutant).




Sans tambour ni trompette mais avec une rage poignante et communicative, Ava DuVernay laisse exploser toute la sensibilité et la force qui l'habite et trace avec une puissance, une pureté et une justesse rare, les grandes lignes déstructurées et aux résonances universelles, d'une histoire révoltante mais furieusement humaine et empathique, disséquée avec minutie au sein d'un véritable docu-fiction qui donne judicieusement la parole aux victimes d'un système pourri jusqu'à la moelle.

Plus qu'un must-see bouleversant, Dans leur Regard est un show majeur (l'un des meilleurs de l'histoire de Netflix) dont on ne ressort pas indemne, et qui mérite amplement le peu de temps qu'on lui consacre.


Jonathan Chevrier