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[CRITIQUE] : Les Invisibles


Réalisateur : Louis-Julien Petit
Acteurs : Audrey Lamy, Corinne Masiero, Noémie Lvovsky, Déborah Lukumuena,...
Distributeur : Apollo Films
Budget : -
Genre : Comédie.
Nationalité : Français.
Durée : 1h42min.

Synopsis :
Suite à une décision municipale, l’Envol, centre d’accueil pour femmes SDF, va fermer. Il ne reste plus que trois mois aux travailleuses sociales pour réinsérer coûte que coûte les femmes dont elles s’occupent : falsifications, pistons, mensonges… Désormais, tout est permis !



Critique :


On avait découvert le cinéaste Louis-Julien Petit il y a quelques années maintenant, avec une chronique sociale coup de poing qui envoyait joliment du pâté : Discount, vraie comédie citoyenne comme on en fait que trop peu par chez nous (là ou le cinéma britannique les produit à foison), qui misait sur un manque salvateur de surenchère et d'un humour aussi pimenté qu'une sauce salsa, pour asséner un message autant claire et limpide qu'il était d'une sincérité et d'une vérité sans bornes; et encore plus aujourd'hui, alors que notre pays est profondément ancré dans une crise sociale et ou garder son emploi est devenu une mathématique aussi vitale que complexe.
Passé un second essai bien moins défendable - le manqué Carole Matthieu -, le voilà de retour en ses premières heures de 2019 avec une nouvelle péloche reprenant justement la veine engagée (dans le bon sens) de son premier long-métrage : Les Invisibles, toujours porté par son actrice fétiche, la délirante mais talentueuse Corinne Masiero.
En prenant une nouvelle fois le parti pris de défendre un vrai et important sujet de société, les oubliés du monde contemporain, et plus directement un centre d'accueil de femmes SDF appelé à clore ses portes, le film pose sa caméra au coeur de ses âmes à la dérive et totalement exclus dans leur volonté de se réinsérer, de ne plus être coincé à la périphérie d'une société qui ne s'en préoccupe plus au mieux ou, au pire, ne cherche même plus à les voir.



Des invisibles du quotidien - comme l'annonce la justesse du titre du film -, qui trouve ici par la fiction, une manière d'exister un minimum, de faire valoir leur voix et de pointer du doigt les incohérences du gouvernement du pays dans lequel on vit (et qui n'est décemment pas le seul à blâmer sur le sujet) par la force de leur malheur indescriptible, que le cinéaste capte avec justesse et une finesse déchirante, autant qu'il offre un hommage vibrant à celles et ceux qui choisissent de voir et d'aider les plus démunis, ses bénévoles et travailleurs sociaux ne comptant pas les heures ni le degré d'implication pour aider leur prochain.
À la lisière du documentaire - comme les films de Stéphane Brizé -, intelligent et extrêmement bien documenté justement, Les Invisibles s'échine tout du long à montrer ce qui ne tourne pas rond sans le moindre moralisme ni le moindre pathos putassier, mais avec l'espoir intime de faire bouger au moins les mentalités, à défaut de faire bouger les choses.
Drôle, émouvant, énergique et sincère, le troisième long-métrage de Louis-Julien Petit, plus proposition sociale que vraie proposition de cinéma aux vues de sa mise en scène épurée et franchement rudimentaire (un avantage cependant dans son portrait réaliste et non fictionnel de ses personnages), n'en est pas moins un beau petit bout de film qui mérite d'être vu et soutenu, un beau feel good movie solidement interprété et au coeur gros comme ça, privilégiant l'espoir - certes utopique - à la détresse.
Bonne nouvelle, le cinéma français va toujours bien en ce début d'année 2019.


Jonathan Chevrier




Louis-Julien Petit est un réalisateur engagé. Que ce soit Discount en 2015 ou Carole Matthieu en 2016, le réalisateur s'emploie à mettre en scène des femmes et des hommes se battant contre une société aliénante et injuste. Les Invisibles, son troisième long-métrage suit ce combat.
L'Envol est un centre d'accueil de jour pour les femmes SDF. Il est géré par Manu (Corinne Masiero) et Audrey (Audrey Lamy), aidées de bénévoles. Le film commence sur un groupe de femmes attendant devant un portail. Elles ont d'énormes sacs avec elles, toute leur vie est à l'intérieur. Pendant une journée, elles pourront manger, boire, se laver, avoir un semblant de vie sociale et surtout un abri des dangers de la rue. Audrey gère également leur placement pour un hébergement la nuit, si elles le souhaitent (le centre étant considéré par l'État comme un centre d'accueil de jour, il est formellement interdit d'héberger ces femmes dans le local). Mais l’Envol menace de fermer et Manu, Audrey et les bénévoles ont trois mois pour trouver une solution pour ne pas laisser leurs protégées crever dans la rue.




Ce qui frappe en premier dans Les Invisibles c'est la démarche profondément sincère du réalisateur Louis-Julien Petit. Il s'est inspiré du documentaire de Claire Lajeunie réalisé en 2014 pour France 5, inspiré de son propre livre Sur les traces des Invisibles. C'est l'autrice/réalisatrice elle-même qui a donné l'idée à Petit en lui offrant son livre. Une idée qu'il a pris au sérieux. Il a été lui-même bénévole pendant un an dans des centres pour femmes et a demandé à ses actrices d'en faire autant. Il a aussi décidé de prendre des actrices non-professionnelles qui ont connu la rue, pour interpréter les SDF. Plusieurs versions du scénario ont vu le jour, le réalisateur étant très pointilleux de trouver le ton juste, en mêlant le drame et une légère dose d'humour pour se détacher du côté documentaire social. Et le fait est que cela fonctionne. Le spectateur prend du plaisir à suivre ces femmes qui veulent s'en sortir malgré un manque flagrant de confiance en leur capacité à remonter la pente.



Les Invisibles ne donne pourtant pas une vision toute rose de ce combat pour sauver les femmes SDF. Au contraire, le film montre combien aider une personne en difficulté est complexe, avec un système social totalement à côté de la plaque. Il faut trouver le ton juste pour ne pas paraître condescendant face à ces femmes souvent ignorées, mises de côté et dont l'estime de soi est bafouée. Comment leur donner des conseils, leur permettre de s'en sortir ? Le film ne donne aucune solution miracle, car il s'attache beaucoup plus à la démarche intime, à l'entraide féminine qu'au dénouement. Si le fond est inattaquable tant le sujet est pris au sérieux et traité de manière bienveillante, la forme, elle, pâlit. Le montage est décousu, l'histoire des bénévoles est survolée (on est en droit de se demander si c’ était important en fait de voir autant leur vie privée). Mais est-ce si grave ? Les Invisibles n'est-il pas si important que l'on est en droit de demander de l'indulgence niveau technique ?



Mettre en lumière la sororité, ces femmes invisibles aux yeux des gens sans tomber dans la lourdeur du drame tire-larme c'est le parti pris par Louis-Julien Petit. Un film important, porté par d'excellentes actrices qui sauront vous faire autant rire que pleurer.


Laura Enjolvy