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[COOKIE TIME] : #5. Thelma Et Louise, un film féministe ?


C'est le Cookie Time. Un moment de détente pour parler cinéma. Alors installez vous dans votre canapé, prenez un thé et un cookie. Et c'est parti !





Ridley Scott est un grand nom du cinéma américain, qu'on le veuille ou non. Certains de ces films sont considérés comme des chef d'oeuvres, à raison. Blade Runner, Alien, Gladiator, etc... On peut évidemment ne pas aimer, mais nous ne pouvons pas nier la qualité de ces films. En 1991, à la surprise générale, il accepte de tourner un film scénarisé par une inconnue Callie Khouri qui raconte un road trip qui tourne mal, avec deux femmes jouées par Susan Surandon et Geena Davis. Et depuis sa sortie (et son succès), une question fait débat : Thelma et Louise est-il un film féministe ?Question très intéressante, qui mérite amplement un article. Ce film est un de mes films préférés depuis que je l'ai découvert au collège et je l'ai toujours considéré comme un film féministe car possédant des femmes en lead, qui prennent le dessus sur les hommes dans l'histoire. Mais en grandissant, je m'aperçois que cela n'est pas forcément vrai et beaucoup plus complexe que ça. 

On en parle ensemble ? C'est parti.

Pour bien comprendre de Thelma et Louise, il semble primordial de parler de son contexte. Nous sommes dans les années 90 et les femmes ne sont pas très bien représentées au cinéma. Des rôles passifs, des love interest, des femmes badass mais sexualisées à outrance, … La misogynie englobe Hollywood et le cinéma en général. La scénariste Callie Khouri commence à en avoir marre. Elle écrit donc un buddy movie, qui est un genre presque exclusivement masculin. Elle estime que les femmes méritent de bons rôles au cinéma, en premier plan, elles méritent de prendre leur propre décision et de se libérer, de ne plus être dans l'ombre des hommes. D'après elle, dans les road trip movie, celui qui conduit la voiture, conduit l'histoire. Et les femmes ne conduisent généralement jamais dans ce genre de films. Callie Khouri a pensé à réaliser le film elle-même, mais a essuyé plusieurs refus. Le fait d'avoir deux femmes en personnages principaux refroidissaient les producteurs, ainsi que la fin, qui est loin d'être un happy end. La productrice Mimi Polk Gitlin tombe amoureuse du projet et propose à son ami Ridley Scott de le produire. Il finit par le réaliser également. Mais Callie Khouri a participé à la préparation du film et à la réalisation. Elle a collaboré aux choix des actrices, était présente sur le tournage et a pu peser sur les décisions scénaristiques. Elle a d'ailleurs été récompensé par l'Oscar du meilleur scénario. Le film sort le 24 mai 1991 aux États-Unis et malgré le succès global le film fait parler de lui grâce au désaccord des spectateurs : les uns voient Thelma et Louise comme une ode à la liberté de la femme, les autres le voient comme un film trop violent et caricaturale, limite misandre, d'autres le voient comme un film faussement féministe. Qui a raison, qui a tord ? Impossible de le dire. Depuis plus de 20 ans, des analyses voient le jour sur internet et chacune a son avis et interprétation. J'ai un avis beaucoup plus mitigé pour ma part, car je trouve le film trop complexe pour être aussi catégorique.

Thelma et Louise a su montrer lors de sa sortie qu'un film pouvait avoir du succès qu'avec des femmes (chose qui refroidissait presque tous les producteurs). Il est intéressant de remarquer que le film a fait parler de lui à cause de ça et pas seulement de son histoire. Je ne peux m'empêcher de penser que le même film, mais avec un homme à la place du personnage de Louise n'aurait pas eu le même débat, peut-être même aucun débat du tout. Je préfère commencer par une controverse avec laquelle je ne suis pas d'accord et qui m'énerve beaucoup : le côté misandre et violent du film.
Beaucoup ont réagi assez violemment car jugeant le film « anti-homme ». Le film glorifierait le fait que les héroïnes soient violentes envers eux, en les rendant sympathiques aux yeux du spectateur. On a qualifié le film de violent car elles n'hésitaient pas à prendre des armes pour se protéger, allant jusqu'à avoir un « comportement sadique » avec comme exemple la scène avec le camionneur. Nous sommes d'accord pour considérer cette thèse comme extrêmement douteuse ? À l'époque, l'équipe du film avait fait barrière contre ses avis et se défendait (surtout Callie Khouri et les deux actrices, qui mettaient le doigt sur le fait que le film n'est pas plus violent que d'autres films d'action sortis la même année). Beaucoup de critique se basait sur le fait que cela déservait la cause féministe, que le film était misandre à cause de la représentation masculine. Ces réactions me font penser aux avis du remake de Ghostbuster sorti en 2016, avec un casting exclusivement féminin. J'avais lu beaucoup de critiques qui ne reposait pas sur le film lui-même, mais bien sur le fait que les hommes étaient mal représentés et que les femmes du film n'hésitaient à humilier les hommes en prenant en exemple le personnage de Kevin (joué par Chris Hemsworth). Si on s'amuse à lire les critiques de l'époque du film de Ridley Scott et celles datant d'il y a 2 ans de celui de Paul Feig, beaucoup de similitudes ressortent. Un bon moyen de se rappeler que le sexisme est toujours présent. 


J'ai longtemps considéré les personnages de Thelma et Louise comme étant en contrôle de leur destin. Pourtant quand on y regarde de plus près, il n'en ai rien. Elles subissent tout ce qui leur arrive. On peut aller même encore plus loin, quand elles décident de s'amuser, le retour du bâton revient violemment. Le personnage de Thelma révèle une dimension punitive du plaisir de la femme : elle veut s'amuser et danser ? Cela se solde par une tentative de viol. Elle veut se laisser aller avec beau jeune auto-stoppeur ? Elle se fait voler son argent. Alors évidemment, Thelma n'est pas fautive de ce qui lui arrive, mais le film n'appuie jamais là-dessus. On peut voir aussi le final comme élément punitif : tout ce processus d'émancipation pour au final se solder par la mort des personnages. Leur action reste passive même si elles agissent, car elles ne font que réagir à ce qui les entourent. Rien que l'idée de partir en weekend est poussé par l'agissement des hommes. Louise se languit de son ex, Thelma veut prendre de la distance par rapport à son mari toxique.

La sensation de violence des personnages vient principalement du fait que Thelma et Louise ont le statut de hors la loi. Les hommes du film détiennent le pouvoir, ils sont en quelque sorte la loi. L'inspecteur et les policiers (tous des hommes), Darryl qui est le mari... Et c'est à cause d'un homme, Harlan que les deux femmes outrepassent cette loi. Cette transgression est la base même du problème de vengeance. Les rôles évoluent vers une masculinisation de Thelma et Louise. L'émancipation du patriarcat passe par des schémas masculin : transgresser les genres et devenir l'homme (style cow boy, boissons, etc...). Au lieu de condamner les comportements très stéréotypés des hommes, elles se l'approprient. Pourtant, on pourrait penser que le film dénonce les comportement masculin. Mais le fait que les personnages féminins basculent vers ce même genre de comportement donne l'impression de renforcer les clichés du patriarcat. Leur statut de hors la loi pose un énorme problème pour la fin : s'émanciper violemment de la domination masculine dans notre société mène à la mort. Elles sont en quelques sorte punies pour leur comportement, malgré tout ce qui a de beau dans ce final.


D'après les écrits de Teresa de Laurentis, Thelma et Louise appartient au women's film. Le film a un aspect libérateur. Même si les deux femmes sont hors la loi, le spectateur est de leur côté tout le long. On peut facilement s'identifier car elles sont entourées par le sexisme et que certaines scènes sont malheureusement très réalistes. L'histoire se focalise sur elles et le point de vue est féminin. Par contre, quand on analyse certaines scènes, on peut vite s'apercevoir que la mise en scène ne suit pas forcément ce point de vue narratif et adopte un regard très masculin sur ce qui se passe (en même temps, ceci est cohérent car réalisé par un homme). La première scène qui vient à l'esprit est celle du viol. Des gros plans des seins et des femmes pendant cette scène s'apparentent presque à du mâle gaze, ce qui rend la scène encore plus malsaine et désagréable à regarder. Nous avons encore ce problème de point du vue à la fin, quand Thelma et Louise vont se jeter dans le vide, on voit les personnages de loin, du point de vue d'un policier qui les vise. Ce changement de point du vue est ambiguë et à tendance à légitimer leur mort : on voit un policier sur le point de tirer sur des hors la loi et qui donc cautionne le geste. La caméra (et donc le point de vue) est à l'opposé des deux femmes. Mon avis sur des micro changement qui ont quand même leur importance vient du fait qu'on ne peut décemment pas être du côté de personne qui tue (même si c'est de la légitime défense). Les spectatrices peuvent s'identifier à des femmes badass, mais restent des bandits dont on ne peut cautionner le geste. Le film véhicule l'idée qu'une femme à la force de s'émanciper et de se battre après avoir vécu un traumatisme. Ce n'était pas le premier film à faire cela, ni le dernier. Longtemps, les héroïnes ont du vivre l'enfer pour trouver une certaine force. Cet arc narratif commence enfin à bouger à notre époque et il était temps.

J'ai toujours trouvé intéressant de revenir sur un film plus ancien et d'analyser sa portée sur notre société actuelle. Pointer du doigt des problématiques ne veut pas forcément dire renier le statut de « bon film ». Thelma et Louise reste un excellent film (et en haut de la liste dans mon cœur). Mais il ne faut pas sacraliser les vieux films. Ils ne sont pas intouchables. Cela devient même intéressant d'y revenir, de critiquer pour voir l'évolution avec le cinéma de maintenant. Thelma et Louise a fait sensation à son époque (pour de bonnes et mauvaises raisons). Considéré comme un film féministe en 1991, en 2018 il n'aurait plus ce statut pour toutes les raisons citées au-dessus. C'est un film important, car il a ouvert des portes et démontrer qu'un film « d'action » (ce n'est pas à proprement parler un film d'action mais vous voyez l'idée) peut fonctionner avec des femmes au premier plan. Pourtant l'écriture et la mise en scène n'en font pas un film féministe car il reste ambiguë pour avoir un plus large public. Cette ambiguïté ne laisse plus de place pour réellement remettre en question le patriarcat. 

 Thelma et Louise reste un film très important pour la suite du cinéma américain et j'invite quiconque à le visionner/revisionner (j'arrive chez vous avec mon blu-ray). 


Laura Enjolvy 


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