[CRITIQUE] : Quand Vient la Nuit
Réalisateur : Michaël Roskam
Acteurs : Tom Hardy, Noomi Rapace, Matthias Schoenaerts, James Gandolfini,...
Distributeur : Twentieth Century Fox France
Budget : -
Genre : Thriller, Drame, Policier.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h47min.
Synopsis :
Bob Saginowski, barman solitaire, suit d’un regard désabusé le système de blanchiment d’argent basé sur des bars-dépôts – appelés « Drop bars » - qui sévit dans les bas-fonds de Brooklyn. Avec son cousin et employeur Marv, Bob se retrouve au centre d’un braquage qui tourne mal. Il est bientôt mêlé à une enquête qui va réveiller des drames enfouis du passé...
Critique :
#QuandVientlaNuit ou une plongée tragique et intense dans la violence des bas fonds New-Yorkais,porté par un casting renversant @20thCFox_FR
— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) November 10, 2014
Difficile de ne pas admettre que pour tous les cinéphiles un minimum endurcis, le nouveau film de Michaël Roskam incarnait plus d'une attente insoutenable.
Voir le papa de l'immense Bullhead s'essayer au polar made in US - et sur le sol ricain - sur un script du roi du genre le génial Denis Lehane tout d'abord, se laisser enivrer par l'un des couples de talents les plus excitants du moment, Noomi Rapace et Tom Hardy (qui seront également réunis pour le Child 44 de Daniel Espinosa), mais surtout pour voir une ultime fois en action le regretté James Gandolfini, qui nous a quitté il y a déjà près d'un an et demi.
De retour à un niveau supérieur et toujours avec son acteur vedette le puissant Matthias Schoenaerts - révélation de son Bullhead -, Roskam adapte donc ici une une courte nouvelle de l’écrivain Dennis Lehane parue dans l’anthologie Boston Noir, Animal Rescue - le titre original du projet -, que le bonhomme s'est lui-même empressé de bonifier pour marquer son premier scénario de cinéma (il a déjà trusté le petit écran avec les précieuses The Wire et Boardwalk Empire).
The Drop en v.o., ou l'histoire, à Brooklyn, de Bob Saginowski , un homme solitaire et un brin simplet, qui travaille dans le bar de son cousin Marv.
Celui-ci, un ancien caïd, a dû céder son bar à la mafia tchétchène - et ce, même si il reste toujours aux commandes -, qui est désormais devenu une plaque tournante pour le blanchiment d’argent (ce qu'on surnomme un Drop bar, ou un bar-dépôts).
Mais un soir Bob et Marv sont victimes d’un braquage qui tourne mal.
Les deux cousins sont mis sous pression par la mafia pour retrouver l’argent, tout en étant suspectés d’être les responsables du vol.
Une enquête doublée d'une nouvelle étape dans son existence avec le recueil d'un bébé chiot trouvé dans une poubelle, qui va réveiller des drames enfouis du passé chez l'intriguant Bob...
Si il est évident que beaucoup pourront reprocher au dialoguiste hors pair qu'est Lehane d'avoir miser sur la simplicité côté scénario, en plus de la jouer " all package " sur tous les passages obligés du film de gangsters (le héros passif, le love interest énigmatique, les personnages meurtris, flics dépassés et souvent aveugles, gangsters aux dents longues et déséquilibrés, parrains mégalos, la frontière entre le bien et le mal constamment floue et l'ombre de l’église jamais trop loin), difficile en revanche de ne pas rendre à César ce qui appartient à César, tant l'intrigue finement écrite, rarement prévisible et d'une mélancolie constante et foudroyante, transcende les figures incontournables du genre et captive le spectateur de tout son long.
D'une efficacité narrative prodigieuse (on est en terrain connu et pourtant, on se laisse enivrer comme si c'était la première fois), qui manipule les codes du gangster movie sans pour autant se hasarder à brutalement les renverser, et d'un sens de la dramaturgie renversant, Quand Vient la Nuit est un intense et bouleversant thriller, une plongée aussi tragique que glaciale dans la violence brutale des bas fonds d'un Brooklyn hivernal, ou l'on suit avec passion une poignée d'âmes en peine balafrées par la vie et un passé écrasant, dont le salut ne peut surgir que dans une explosion aussi douloureuse que sanglante.
Contre toute attente, l'élément déclencheur de cette spirale infernale ne prendra pas la forme du dit braquage subit par Bob et son cousin et de l'argent sale qui en a découlé, mais la découverte par celui-ci, d'un petit chiot battu et abandonné dans la poubelle de la belle mais brisée Nadia, dont l'ex-compagnon violent, Eric, était le propriétaire.
Grâce à Rocco, Bob - qui lutte continuellement contre ses fêlures et ses fautes passées - va se rapprocher de Nadia qui acceptera de l'élever avec lui, mais également s'attirer les foudres d'Eric, bien décider à en faire baver au barman qui parait presque sans défense face à lui.
Comme le pitbull qu'il vient de recueillir, l'homme est de nature passive mais à force de trop subir les violences d'autrui et du milieu qui l'entoure , celui-ci peut très vite se transformer en un animal incontrolable...
Via mise en scène maitrisée, captant à merveille autant l'intensité qui émane des actions et des rapports entre les divers personnages que la beauté de plusieurs plans - magnifié par la photographie merveilleuse de Nicolas Karakatsanis -, Michaël Roskam, sincèrement impliqué, prend son temps, aussi bien pour mettre en place une ambiance aussi bien menaçante qu'étouffante frappée par quelques fulgurances émotives et violentes (une violence d'ailleurs rare mais toujours intelligemment introduite), que pour épouser les destinés de personnages tous joliment croqués et à la profondeur salvatrice.
Dit personnages campés avec force et conviction par un casting fabuleux, totalement dévoué à la cause du métrage, et dominé par un Tom Hardy qui crève une fois n'est pas coutume, littéralement l'écran.
Le futur Mad Max, plus caméléon que jamais, il est tout simplement parfait dans la peau aussi mystérieuse que complexe du barman Bob, dont la simplicité, la gentillesse, le regard fuyant et la piété d'existence laisse - sensiblement à tort - l'impression qu'il est un agneau inoffensif, malgré son corps d'animal féroce.
Tout en intériorité, d'une justesse et d'une sobriété implacable, il capte constamment l'attention de son audience et offre aisément l'une de ses plus belles et monstrueuses performances à ce jour.
James Gandolfini lui, est encore une fois (la dernière... snif) merveilleux dans un rôle âpre et à contre-emploi de celui de Tony Soprano, puisqu'il incarne ici un ancien malfrat nostalgique de l'époque ou il était " respecté " de tous, ou il incarnait encore quelque chose dans la chaine alimentaire du crime local, ou il ne faisait pas constamment humilier et rabaisser par des criminelles d'une ville dont le nom ne rime pas (ou plus) avec le mot espoir.
Si Soprano était prêt à tout pour protéger son entourage, Marv lui n'en peut plus de subir sa vie au lieu de la vivre, et n'hésitera pas à commettre l'irréparable pour ne plus avoir à se tenir à sa place...
Touchant comme à son habitude, son dernier rôle nous rappelle douloureusement combien celui-ci va cruellement nous manquer à l'avenir lui qui était, au bas mot, l'un des seconds couteaux les plus importants et imposants - à l'instar du tout aussi regretté Philip Seymour Hoffman - du cinéma ricain.
Tous deux sont accompagnés par la présence délicate et remarquable de la sublime Noomi Rapace, merveilleuse en Nadia, une femme brisée mais bien plus forte qu'elle ne le laisse présager - tout comme Bob d'ailleurs -, mais également par celle plus dangereuse d'un Matthias Schoenaerts, impeccable dans la peau d'un malfrat détestable et violent, suintant de charisme.
Étouffant, renversant, glaçant, beau et en tout point fascinant, Quand Vient la Nuit est un thriller dramatique cohérent et passionnant de bout en bout, un petit classique en puissance mué par une violence sourde mais viscérale dont on ressort aussi conquis que méchamment bouleversé.
Un (gros) coup de cœur qui cache plus d'un trésor, et qui confirme avec panache que le cinéma cinéaste belge est définitivement l'un des plaisant à suivre de ses dernières années.
Vivement la suite.
Jonathan Chevrier