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[CRITIQUE] : Asteroid City


Réalisateur : Wes Anderson
Avec : Jason Schwartzman, Scarlett Johansson, Tom Hanks, Jeffrey Wright, Bryan Cranston, 
Matt Dillon, Rupert Friend, Tilda Swinton, Margot Robbie, Edward Norton, Maya Hawke, Steve Carell, Hong Chau, Adrien Brody, Willem Dafoe, Hope Davis, Tony Revolori, Jeff Goldblum, Jake Ryan, Liev Schreiber, Stephen Park,...
Distributeur : Universal Pictures International France
Budget : -
Genre : Comédie dramatique
Nationalité : Américain
Durée : 1h46min

Synopsis :
Ce film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2023.

Asteroid City est une ville minuscule, en plein désert, dans le sud-ouest des États-Unis. Nous sommes en 1955. Le site est surtout célèbre pour son gigantesque cratère de météorite et son observatoire astronomique à proximité. Ce week-end, les militaires et les astronomes accueillent cinq enfants surdoués, distingués pour leurs créations scientifiques, afin qu’ils présentent leurs inventions. À quelques kilomètres de là, par-delà les collines, on aperçoit des champignons atomiques provoqués par des essais nucléaires.



Critique :


Quelques semaines avant la tenue de la 76ème édition du Festival de Cannes, avec Asteroid City en compétition officielle, une nouvelle trend (tendance pour les gens du fond) Tik Tok voyait le jour, où les utilisateurs mimaient le "#WesAndersonStyle” avec des plans symétriques, des couleurs marquées pour y raconter leur quotidien. Une hérésie ou un moyen de mettre en lumière la mise en scène très visuelle et singulière du réalisateur ? On ne tranchera pas ici. Mais on pouvait peut-être y voir les limites d’un cinéma visuellement reconnaissable, dont la recette finit par se désincarner parce que trop usée. Ou pas.

Copyright 2022 Pop. 87 Productions LLC

Asteroid City a tout du film purement andersonien, dans sa formalité du cadre ou dans sa mise en abîme que constitue le récit. Un retour au source après son film à sketch tourné en France, The French Dispatch, bizarrement fragmenté (dans tous les sens du terme) ? Les plus observateurs d’entre nous verront une différence notable nonobstant l'avalanche de preuves stylistiques familières. La fuite en avant, un point commun que partagent nombre de ses films, n’est plus. Wes Anderson s’intéresse ici à l’immobilité et à l’épure. Un décor désertique que viennent habiller (et habiter) la floraison de personnages. Un confinement d’état accentue l’inertie de la ville, l’attente s’imprime dans le film et c’est le ciel (ce ciel bleu pastel qui ne change uniquement quand la nuit s’en vient) qui viendra délivrer tout ce petit monde. 

Wes Anderson embrasse la théâtralité de son style et opère une mise en abîme lui permettant une scénographie “vignette” — qui lui plaît tant — à foison sans y perdre son spectateur. Mis aux antipodes, il conjugue l’imaginaire du désert américain et tout ce qu’on lui associe (mensonge d’état, essai nucléaire, course poursuite, etc…) à la rigidité du théâtre new-yorkais des années 50, en les rejoignant dans un ennemi commun : la télévision. Présentateur, dramaturge, acteurs, actrices et enfin personnages se succèdent et forment un pacte avec le public. On ne lui cache plus rien concernant la structure narrative, concernant les inspirations et la facticité des décors si, de son côté, le public s’emploie à y croire tout de même, à y mettre du sien. Par ce biais, le cinéaste peut alors aborder ses doutes concernant la création, ses peurs et ses remises en question, lui permettant de poser un pied salvateur dans le monde de l’émotion intime. Une mise à nu qu’il partage avec tous ses personnages, de l’actrice coincée dans des rôles sexualisés et dramatiques alors que son talent pour la comédie fait l’unanimité (une Scarlett Johansson/ Marilyn Monroe déchirante) au père accablé après la mort de sa femme mais dont il cache, au début du film, la disparition à ses enfants, en passant par le dramaturge coincé par une scène et demandant conseil à un professeur de théâtre et à ses élèves (sorte de Lee Strasberg et son école Actor Studio).

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L’émotion, si elle vient principalement de cette mise à nu, s’enroule également dans les vides du cadre désertique qui, bien que toujours superbement symétrique, symbolise le vide intérieur des personnages. Asteroid City est traversé de mélancolie sourde, dans un axe vertical où, comme Broadway et l’ouest américain forment un axe horizontal, le ciel et la terre se regardent. Le premier, le rêve, la promesse d’un ailleurs, ne peut être un rêve sans le rappel de la terre, là où on enterre nos proches (la mère dans un tupperware) et où la gravité fait douloureusement son travail (bien qu'un des enfants essaie d'y remédier avec son invention). Il y a toujours la dichotomie du monde adulte et du monde des enfants chez Wes Anderson, qui apporte fantaisie et malice. Ici, il y a un peu de cruauté derrière la fantaisie, la marginalité de ces enfants surdoués venant appuyer l’impossibilité des parents à les comprendre et à les protéger. Le mystère qui entoure l’extraterrestre, figure centrale du film, rend compte d’une chose universelle : nous sommes entourés de secret et il ne tient qu’à nous, scientifiquement, métaphoriquement, de les découvrir.


Laura Enjolvy


Copyright 2022 Pop. 87 Productions LLC

Depuis quelques temps, les réseaux sociaux aiment mettre en avant des montages vidéo faits par des intelligences artificielles censées imaginer Star Wars ou Le Seigneur des Anneaux à la sauce Wes Anderson. La large diffusion de ces images prouve deux choses : d'abord, la façon dont la stylisation du réalisateur a imprégné la culture populaire, ensuite l'incompréhension totale que semble avoir une certaine audience de son esthétique. Car derrière le formalisme quasi outrancier de Wes Anderson, il s'est toujours caché un cœur émotionnel, une approche sentimentale centrale qui se retrouve une nouvelle fois dans Asteroid City.

Le récit se construit en deux parallèles : d'un côté, les coulisses d'une pièce de théâtre, de l'autre sa représentation visuelle, l'histoire même dans la petite ville perdue d'Asteroid City. Si cette mécanique peut effrayer à priori, il en sort un questionnement sur le côté imprévisible de la vie et sa résonnance dans la fiction, notamment dans sa façon de construire ses personnages. Cette mise à distance n'empêche pas en tout cas d'instaurer le rapport à la perte qui traverse la filmographie de Wes Anderson. Les visuels léchés et l'impromptu relèvent alors de l'ironie absurde du quotidien, de fulgurances de moments qui, finalement, s'effacent dans la durée de l'existence même, tel un désert que l'on vient de traverser.

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Ainsi, cette apparition extraterrestre (très jolie scène au demeurant) invoque surtout la question de la gestion d'événement. Alors qu'un père a du mal à annoncer à ses enfants le décès de leur mère, l'apparition met en lumière cette impossibilité de rester coincé sur l'instant et le besoin de le traverser pour continuer. L'humour du film colorise évidemment tout cela, tout comme la richesse toujours aussi vertigineuse du casting. Mais, et on ne l'oublie pas, l'émotion arrive, réfléchissant sur sa nature de fiction mais surtout sur l'abstraction même qu'est notre vie.

Toujours aussi beau visuellement et chargé sentimentalement, Wes Anderson fait de son Asteroid City un nouvel écrin dans sa filmographie, nourri par ses interrogations sur l'avenir et la reprise en main de la vie après les bouleversements. Si son esthétique reste encore d'une maîtrise formelle folle, il s'y dessine une nouvelle fois une amertume existentielle qui émeut fortement avec un aspect peu à peu réconfortant et solaire. Il en devient difficile d'imaginer qu'une intelligence artificielle copiant une imagerie sans la comprendre puisse intégrer autant d'émotions que dans ce long-métrage réussi.


Liam Debruel


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Il y a quelque chose de cruel dans la réception que l'on a tous fait, sans véritable recul, de The French Dispatch, arguant maladroitement (stupidement, n'ayons pas peur des mots) que le cinéaste privilégiait à tort le fond à la forme, la froideur clinique aux émotions enflammées, tant les cabinets des curiosités hautement organisés du bonhomme, grouillaient jadis de tellement de vie et de coeur, qu'il n'avait pas besoin de forcer le trait plus que de raison pour le transmettre à son auditoire.

C'était sans réaliser que la structure sinueuse et expérimentale arborée par le film (la narration à sketches est l'une des plus complexes qui soient), incitait intentionnellement le choix d'une émotion différente qu'à l'accoutumée, pièce essentielle d'une excursion expérimentale du cinéaste vers un renouveau, vers la création d'une oeuvre autoréflexive sans cesse agitée et, plus jamais, statique (son futur projet de court-métrage sur Netflix, démontre une nouvelle fois cette idée de refus de stagnation).

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Totalement conscient des attentes complètement absurdes dont il fait preuve (on en vient à stupidement critiquer un film qui ne serait pas assez où trop du Wes Anderson, en se substituant au jugement que le cinéaste a lui-même de son œuvre et de sa manière de la façonner, comme tout bon artiste qui se respecte), mais aussi de la potentielle redondance dans laquelle son cinéma pouvait s'enfermer, et qu'on aurait pu sensiblement lui reprocher (l'orobouros, encore une fois), il avait donc fait le choix de régénérer sa vision avec une ironie douce (la ville d'« Ennui-sur-Blasé », tout est dit), un désir de bousculer juste ce qu'il faut son petit jeu du cinéma au théâtre et du théâtre au cinéma (ici plus imposant encore, puisqu'il va de la télévision au théâtre, et du théâtre au cinéma), pour lui donner une inspiration nouvelle, un second souffle salvateur sans pour autant perdre son hyper-expressivité.

À l'instar de The French Dispatch dont il est la parfaite continuité, l'idée de voir Asteroid City comme un nouvel effort vain où complaisant, simplifie le jugement facilement biaisé de spectateurs fermant la porte à un dialogue cinématographique pourtant continuellement expressif, fascinant et rarement binaire.
Une nouvelle fois, Anderson a refusé de corseter son histoire et ses tics habituels dans une structure que l'on aurait pu déterminer - thématiquement comme idéologiquement - à l'avance, a refusé une nouvelle fois d'arpenter le terrain sinueux de l'aléatoire apparent en réarrangeant une poésie que nous connaissons déjà, en réécrivant quelques accords pour ne pas totalement changer l'harmonie de sa mélodie, mais la rendre suffisamment nouvelle pour ne pas qu'elle apparaisse trop familière.

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Comme d'habitude chez lui, on fait face à une exploration iconographique et minutieuse de tout l'imaginaire d'une époque, qui jongle avec les multiples références esthétiques de la culture populaire, pour mieux ainsi rapprocher la fiction d'un autre médium (ici la bande dessinée) dans une union chorale.
Mais cette fois, ce processus est opéré pour mieux se jouer de la saturation de son style, de son habitude à « horizontaliser » ses histoires, et ainsi offrir autre chose.
Bien qu'il dialogue tout du long avec une logique pure de bande dessinée, de sa manière panoramique - basée sur des balayages latéraux - d'introduire le lieu de son histoire, à enchaîner ses scènes comme des bulles/vignettes qui n'existent que jusqu'à la case suivante, le cinéaste reprend au vol ceux qui théorisent sur l'aspect vide de son renouveau : s'il comprenait jadis que dans ses fictions, la vie peut s'emmêler à volonté, Anderson emmêle désormais la vie, nos vies, dans sa fiction.

Asteroid City, c'est la mise en scène métatextuelle du vide, du chaos contemporain au cœur même d'une cité figée, symbolisée par le vide : une ville au cœur d'un cratère (le creux) au milieu du désert (le rien absolu, plus cartoonesque que westernien), où les gens semblent eux-mêmes à côté non pas de la plaque, mais de leur existence (vide de l'intérieur), comme en quarantaine.

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Dans une Amérique des 50s façonnée par les essais nucléaires, les traumatismes de la guerre, les fantasmes d'extraterrestres, les conventions scientifiques, les vestiges d'un far west mythique et la lente intrusion du capitalisme, Anderson fait écho à la société contemporaine, gangrenée par la peur, l'insécurité, la guerre, la déconnection aux autres, le réchauffement climatique et cette propension/déni à nous dire que tout va bien, à ne pas accepter un chaos qui est déjà bien présent, pour mieux s'en remettre.
Que ce soit un père qui refuse d'avouer à ses enfants le décès de leur mère, à une actrice qui ne vit et n'existe que (et pour) dans le regard des autres, en passant par un père bouffée par le deuil : tout le microcosme d'Asteroid City est confronté à son inertie (cette propension folle à ajouter des répétitions supplémentaires à leurs phrases, surligner l'inexactitude et l'incertitude, ne fait qu'appuyer la redondance tâtonnante de leur existence), ses peurs, à son déni, à son incapacité presque mélancolique à tourner la page - comme dans une bande dessinée - quand les choses tournent mal.

Plus lucide et bouleversant encore que ceux de The Grand Budapest Hotel (aux similarités évidentes) voire même d'À Bord du Darjeeling Limited dans leur exploration du chagrin et du deuil : tous les personnages ne sont que de tristes automates remplissant leur rôle de clowns à la lettre, même si tout va mal.
Mais si l'esthétique pastel et bleuté du bonhomme venait hier atténuer l'horreur, l'anxiété et la violence qui menaçait de surgir du cadre, elle ne rassure plus aujourd'hui, ne met plus réellement de distance à une fatalité à laquelle il est impossible d'échapper.
Un regard lucide sur le monde d'aujourd'hui, où plus rien n'est et ne sera pareil.

Copyright 2022 Pop. 87 Productions LLC

L'important est alors d'exister, d'embrasser l'inconnue, de vaincre l'anxiété et la peur même si l'on ne comprend pas tout, que l'on ne sait pas où l'on va.
Comme pour cette scène furieusement évocatrice où le personnage de Jason Schwartzman, dans une rupture explicite du quatrième mur, quitte la pièce pour demander désespérément au metteur en scène le sens de l'histoire.
Wes Anderson n'a pas de réponse (même dans ce qui est, à ce jour, son œuvre la plus spirituelle), nous n'en avons pas plus que lui, mais l'importance est de continuer à vivre l'histoire, de croire au pouvoir de la narration (du destin) pour en avoir, peut-être, une un jour.

La nécessité de croire (en soi, aux autres), d'avoir confiance et de garder espoir.
Le grand Wes en a, et encore plus envers son cinéma, et il nous démontre que malgré notre infinie petitesse cosmique et l'ombre imposante de notre mortalité : non, nous ne sommes pas seuls et nous n'avancerons réellement qu'ensemble.


Jonathan Chevrier