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[CRITIQUE] : Seule la joie


Réalisatrice : Henrika Kull
Avec : Katharina Behrens, Adam Hoya, Nele Kayenberg, Jean-Luc Bubert,…
Distributeur : Outplay Films
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Allemand
Durée : 1h30min

Synopsis :
Sascha travaille dans une maison close à Berlin depuis de nombreuses années. Maria, une nouvelle arrivante, est indépendante, non-conformiste et queer. Sascha est immédiatement attirée par cette altérité, Maria à son tour est fascinée par l’aisance suprême de Sascha. Cette attirance devient un amour qui fonctionne différemment de tout ce qu’elles ont pu connaître auparavant. Mais la peur de se dévoiler l’une à l’autre va remettre en question leur relation.


Critique :


Film de désir et de corps, Seule la joie nous emmène au cœur d’une maison close berlinoise. Deux Maria se rencontrent, la brune et la blonde. De leurs étreintes naissent une passion fiévreuse, qui met une parenthèse poétique à leurs ébats professionnels, plus cadrés. Le deuxième long métrage de Henrika Kull se sépare en deux, s’approche et s’éloigne, faisant coexister deux mondes : celui de l’amour et celui du travail du sexe.

Glück, son titre allemand, veut dire joie, bonheur. La cinéaste nous plonge dans un univers sans contrainte (le travail du sexe est ici consentie, volontaire et protégée) mais aussi sans étincelle. Les filles de la maison enchaînent les clients, rigolent parfois entre elles, mais se séparent dès que la journée de travail est terminée. Pas d’intimité, pas de proximité. Sascha (de son vrai nom Maria) se sent, malgré tout, irrésistiblement attirée par Jessy (de son vrai nom Maria également). Les regards se croisent, en coin. Elles se sourient, Sascha la ramène chez elle une fois. Ce sera non par le corps, mais par les mots qu’un premier rapprochement aura lieu. Jessy oublie (consciemment ou non) son carnet. Un carnet où elle y écrit des poèmes. Elle en récite un pour Sascha et d’un coup, son regard change, peut-être émerveillée par son talent, ou simplement touchée par ses mots.

Copyright Outplay

Henrika Kull fait en sorte de bien séparer les sentiments de leur réalité, pour ne pas stigmatiser le travail du sexe. Elle s’emploie, par le biais de sa mise en scène, à ne pas filmer les séquences de sexe tarifé avec un regard voyeur et/ou érotisé. Elle met tout de suite à distance le public, comme les travailleuses du sexe mettent des limites à leurs clients. Si le regard de la cinéaste est précis, le résultat n’est ni froid, ni chirurgical. La mise en scène dépeint seulement une réalité, afin de remettre les images dans un contexte clair. Le sexe est filmé comme un produit de consommation, dans un univers patriarcal où les femmes sont objets et non sujets. Pourtant, et la réalisatrice insiste dessus dans un texte du dossier de presse, les travailleuses du sexe ne subissent pas ces scènes, étant totalement en contrôle de leur corps et du mouvement. « Au cours de mes recherches et pendant le tournage, j’ai eu de plus en plus l’impression qu’à travers leur métier, les travailleuses du sexe regagnaient du pouvoir sur leur corps. En l’utilisant comme marchandise, elles génèrent leur propre profit et peuvent ainsi s’émanciper de l’exploitation de leur corps par la société patriarcale » écrit-elle, « Dans cette société où l’oppression systémique et l’instrumentalisation du corps des femmes perdurent depuis des siècles, le travail du sexe représente quelque chose de subversif selon moi ».

Les séquences intimes entre Sascha et Jessy offrent un contrepoint sensuel aux autres séquences de sexe. Plus leur relation prend de l’ampleur, plus le récit s’éloigne de leur lieu de travail, sûrement pour faire une distinction entre les problèmes qu’elles rencontreront dans leur couple et la maison close. Souvent dépeint comme un problème en soi, le métier de travailleuse du sexe n’est pas ici source de conflit. C’est un lieu de travail, de rencontre, parfois de partage, mais en aucun cas d’altercation. Si dispute il y a entre les deux amantes, ce sera à cause de leur sentiment. L’une est amère face à son passé et à sa vie en générale, l’autre se réinvente au gré des regards. Leur univers séparé s’entremêle, fait d’étreintes, de complicité, de jeu, d’éloignement pour mieux se rapprocher.

Copyright Outplay

Seule la joie est un film de collision, entre deux mondes, entre deux vies. Le poème et la réalité se télescopent, cherchant une nouvelle définition du couple. Se défaire d’un cadre sociétal aussi bien défini que leur travail pour mieux apprendre à désirer et à se regarder.


Laura Enjolvy