[CRITIQUE] : Pacifiction - Tourment sur les îles
Réalisateur : Albert Serra
Avec : Benoît Magimel, Pahoa Mahagafanau, Matahi Pambrun,…
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : -
Genre : Drame, Espionnage.
Nationalité : Français, Espagnol, Portugais, Allemand.
Durée : 2h45min
Synopsis :
Sur l’île de Tahiti, en Polynésie française, le Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de l’État Français, est un homme de calcul aux manières parfaites. Dans les réceptions officielles comme les établissements interlopes, il prend constamment le pouls d’une population locale d’où la colère peut émerger à tout moment. D’autant plus qu’une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français.
Critique :
Estampillé huitième long-métrage du cinéaste catalan Albert Serra, Pacifiction - Tourment sur les îles et son titre furieusement énigmatique (Pacification ? Pacifique ? Pacifique fiction ? Paix fiction ?) se fait une errance sans fin, une oeuvre délibérément indéfinissable dans laquelle le temps et l'espace semblent ne plus avoir aucun sens, où il secoue une nouvelle fois intelligemment le poids du passé pour le faire se confronter à notre présent, soit une France républicaine sans colonies mais avec des "collectivités d'outre-mer".
Il catapulte sa caméra au coeur du paradis terrestre qu'est Tahiti, le territoire que De Roller, haut-commissaire de la République, administre (comprendre : veille à ce que les valeurs de la métropole brillent pleinement sur ces terres dites " sauvages "), enchaînant rendez-vous sur rendez-vous, dialoguant avec les locaux, les Américains, les Européens et autrez chefs d'entreprise.
Un fantôme qui erre d'un endroit à l'autre, comme porté à chaque pas par les vagues qui frappent tous les recoins de l'île, un homme au charisme déclinant (immense Benoît Magimel), que ce soit dans ses cheveux teints en blond, son demi-sourire jamais totalement honnête qui dévoile ses dents impeccables où dans ses vêtements - où plutôt, son uniforme -, un costume en lin blanc, qui rompt avec toutes les autres couleurs gravitant sur l'île.
Il contrôle la situation où tout du moins, il le pense...
Comme avec La Mort de Louis XIV, Serra scrutte la mise en images de l'exercice de l'État tout en y accolant son regard morbide.
Exit le dernier souffle approchant du souverain, ici tous les personnages semblent déjà un pas plus loin, pleinement ancré dans la mort de l'État, des fantômes dont les actes et les paroles n'ont finalement plus aucun impact réel, flanqués au coeur d'un paradis où ils n'ont aucune emprise.
De Roller le souligne lui-même finalement, entre lucidité et frustration de reproduire ad vitam eternam le même simulacre : il n'a en réalité aucun pouvoir concret, tout comme Serra qui laisse toute idée de structure narrative au placard, s'affranchissant des us et coutumes pour laisser son histoire voguer par elle-même, trouver sa propre vérité tout en lui laissant une bouée éphémère autour de laquelle graviter - les contours d'un thriller d'espionnage qui n'en sera in fine jamais vraiment un, tournant autour de la possibilité que la marine française organise de nouveaux essais nucléaires dans les eaux du Pacifique, comme ceux sur l'atoll de Mururoa qui ont déclenché des protestations mondiales en 1995.
Collé aux basques de De Roller et de son ballet interminatable de rencontres et de réunions, festival de soliloques vides et grandiloquents avec lesquels les élites, qui parlent et n'écoutent pas (et ne font finalement que se parler à elles-mêmes), réaffirmant leur position ridicule qui légitime de gouverner dans l'isolement le plus absolu; Serra montre la lourdeur du colonialisme mis en pièces seulement dans les mots, mais jamais dans le concret des faits, personnifié par un homme épuisé qui accepté son déclin sans douleur (à la différence de l'État qu'il représente) et se déplace péniblement d'un endroit à l'autre, d'une pensée à l'autre, dans la douceur de la décadence.
Fin observateur des figures à l'agonie, Albert Serra continue d'imbiber son exploration de la mort au travers d'une oeuvre à la beauté hypnotique et vénéneuse (magnifique photographie d'Artur Tort), faisant de Pacifiction - Tourment sur les îles une parabole fantastique et cinglante du déclin de la France - voire même du Vieux Continent - dans un monde en décrépitude, où l'opulence matérielle engendre la misère physique et morale.
Une merveille, rien de moins.
Jonathan Chevrier
Avec : Benoît Magimel, Pahoa Mahagafanau, Matahi Pambrun,…
Distributeur : Les Films du Losange
Budget : -
Genre : Drame, Espionnage.
Nationalité : Français, Espagnol, Portugais, Allemand.
Durée : 2h45min
Synopsis :
Sur l’île de Tahiti, en Polynésie française, le Haut-Commissaire de la République De Roller, représentant de l’État Français, est un homme de calcul aux manières parfaites. Dans les réceptions officielles comme les établissements interlopes, il prend constamment le pouls d’une population locale d’où la colère peut émerger à tout moment. D’autant plus qu’une rumeur se fait insistante : on aurait aperçu un sous-marin dont la présence fantomatique annoncerait une reprise des essais nucléaires français.
Critique :
Fin observateur des figures à l'agonie, Serra continue d'imbiber son exploration de la mort au travers d'une oeuvre à la beauté hypnotique et vénéneuse, et fait de #Pacifiction une parabole cinglante du déclin de la France - voire du Vieux Continent - dans un monde en décrépitude pic.twitter.com/rkObzMDoPe
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) November 7, 2022
Estampillé huitième long-métrage du cinéaste catalan Albert Serra, Pacifiction - Tourment sur les îles et son titre furieusement énigmatique (Pacification ? Pacifique ? Pacifique fiction ? Paix fiction ?) se fait une errance sans fin, une oeuvre délibérément indéfinissable dans laquelle le temps et l'espace semblent ne plus avoir aucun sens, où il secoue une nouvelle fois intelligemment le poids du passé pour le faire se confronter à notre présent, soit une France républicaine sans colonies mais avec des "collectivités d'outre-mer".
Il catapulte sa caméra au coeur du paradis terrestre qu'est Tahiti, le territoire que De Roller, haut-commissaire de la République, administre (comprendre : veille à ce que les valeurs de la métropole brillent pleinement sur ces terres dites " sauvages "), enchaînant rendez-vous sur rendez-vous, dialoguant avec les locaux, les Américains, les Européens et autrez chefs d'entreprise.
Un fantôme qui erre d'un endroit à l'autre, comme porté à chaque pas par les vagues qui frappent tous les recoins de l'île, un homme au charisme déclinant (immense Benoît Magimel), que ce soit dans ses cheveux teints en blond, son demi-sourire jamais totalement honnête qui dévoile ses dents impeccables où dans ses vêtements - où plutôt, son uniforme -, un costume en lin blanc, qui rompt avec toutes les autres couleurs gravitant sur l'île.
Il contrôle la situation où tout du moins, il le pense...
Copyright Les Films du Losange |
Comme avec La Mort de Louis XIV, Serra scrutte la mise en images de l'exercice de l'État tout en y accolant son regard morbide.
Exit le dernier souffle approchant du souverain, ici tous les personnages semblent déjà un pas plus loin, pleinement ancré dans la mort de l'État, des fantômes dont les actes et les paroles n'ont finalement plus aucun impact réel, flanqués au coeur d'un paradis où ils n'ont aucune emprise.
De Roller le souligne lui-même finalement, entre lucidité et frustration de reproduire ad vitam eternam le même simulacre : il n'a en réalité aucun pouvoir concret, tout comme Serra qui laisse toute idée de structure narrative au placard, s'affranchissant des us et coutumes pour laisser son histoire voguer par elle-même, trouver sa propre vérité tout en lui laissant une bouée éphémère autour de laquelle graviter - les contours d'un thriller d'espionnage qui n'en sera in fine jamais vraiment un, tournant autour de la possibilité que la marine française organise de nouveaux essais nucléaires dans les eaux du Pacifique, comme ceux sur l'atoll de Mururoa qui ont déclenché des protestations mondiales en 1995.
Collé aux basques de De Roller et de son ballet interminatable de rencontres et de réunions, festival de soliloques vides et grandiloquents avec lesquels les élites, qui parlent et n'écoutent pas (et ne font finalement que se parler à elles-mêmes), réaffirmant leur position ridicule qui légitime de gouverner dans l'isolement le plus absolu; Serra montre la lourdeur du colonialisme mis en pièces seulement dans les mots, mais jamais dans le concret des faits, personnifié par un homme épuisé qui accepté son déclin sans douleur (à la différence de l'État qu'il représente) et se déplace péniblement d'un endroit à l'autre, d'une pensée à l'autre, dans la douceur de la décadence.
Copyright Les Films du Losange |
Fin observateur des figures à l'agonie, Albert Serra continue d'imbiber son exploration de la mort au travers d'une oeuvre à la beauté hypnotique et vénéneuse (magnifique photographie d'Artur Tort), faisant de Pacifiction - Tourment sur les îles une parabole fantastique et cinglante du déclin de la France - voire même du Vieux Continent - dans un monde en décrépitude, où l'opulence matérielle engendre la misère physique et morale.
Une merveille, rien de moins.
Jonathan Chevrier