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[CRITIQUE] : Nope


Réalisateur : Jordan Peele
Acteurs : Daniel Kaluuya, Keke Palmer, Steven Yeun, Michael Wincott,...
Distributeur : Universal Pictures International France
Budget : -
Genre : Thriller, Épouvante-horreur.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h10min.

Synopsis :
Les habitants d’une vallée perdue du fin fond de la Californie sont témoins d’une découverte terrifiante à caractère surnaturel.



Critique :


Après deux premiers efforts franchement enthousiasmants (pour ne pas dire exceptionnels) - Get Out mais surtout Us -, la " méthode " Jordan Peele s'étiolait un brin avec Candyman, requel chapeauté de près (à la production et au scénario) auquel il distillait des parti pris réfléchis et une vraie volonté d'aborder des sujets contemporains importants (notamment une réflexion intergénérationnelle mais inachevée, sue la nature systémique de la violence anti-noirs outre-Atlantique), sans pour autant y apporter ce qu'il faut de nuances pour ne pas rendre sa vision trop symbolique et pesante.
Comme si le cinéaste balisait déjà, consciemment où non, le terrain pour un troisième effort qui ne dresserait non plus une réflexion poussée sur les maux du pays de l'oncle Sam (dont beaucoup sont totalement passés à côté en ce qui concerne Us), mais bien un portrait où les obscurcissements et les questionnements sans réponse seraient des armes plus puissantes qu'une charge frontale.

Copyright 2022 UNIVERSAL STUDIOS. All Rights Reserved.

Sensiblement plus léger que ces deux précédents efforts, Nope est peut-être aussi celui où Jordan Peele expérimente plus qu'il ne cherche à légitimer sa vision, en dynamitant soigneusement les archétypes habituels du blockbusters hollywoodiens tout en renouant avec un esprit old school qui n'est pas sans rappeler M. Night Shyamalan - l'humilité en plus et la mégalomanie en moins.
Si beaucoup auront (maladroitement) fait le rapprochement entre Signes et Nope sous le prétexte facile que les deux films abordent une présence extraterrestre au coeur de l'Amérique profonde (où qu'ils ont une sensibilité certaine pour les twists impactant), c'est bien plus derrière la caméra que le parallèle doit être fait dans le sens où les deux cinéastes se font des héritiers directs de Steven Spielberg et de l'approche méthodique de ses films : des sujets de séries B sans réelles expositions qu'ils traitent comme des blockbusters minimalistes (et pour les deux, Signes et Nope, c'était réellement leurs premiers vrais blockbusters).
Vrai artisan d'un entertainment racé et intelligent qui arbore un fantastique plus adulte - même si frappé d'un humour gentiment potache -, Peele n'use au final que de très peu d'artifices pour conter ses histoires, autant qu'il s'appuie sur un classicisme formel qu'il ne trahit que très rarement pour dévoiler ses réflexions denses et réfléchies.
En ce sens, même s'il lui manque il est vrai la charge émotionnelle essentielle pour rendre impactante la relation familiale en son coeur (écueil que Shyamalan évite toujours soigneusement, quitte à se gameller ailleurs), Nope est son oeuvre la plus ambitieuse mais aussi la plus libre jusqu'à maintenant, expurgé de tout trope familier (personne ne tente de sauver le monde, pire même, ils sont stupidement attirés par le danger pour le filmer et l'immortaliser, histoire d'en retirer un minimum de profit) sans pour autant renier son formalisme éclatant.

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Ambitieuse puisqu'il n'hésite même plus à mixer les genres à foison, entre la comédie, le western - jusque dans son affrontement final -, le thriller anxiogène, la science-fiction, le film horrifique (parfois réellement terrifiant), le film d'aventure et même le drame familial, le tout avec une habile gestion du suspense qui culmine dans un troisième acte volontairement encore plus débridé.
Libre puisqu'il ne cherche plus à donner trop de profondeur à ses personnages ni à donner toutes les clés de son histoire à son auditoire, le laissant se perdre parfois dans une narration nébuleuse et méta mais aux influences plus claires que par le passé (impossible de ne pas penser à Rencontre du troisième type ici), sans pourtant laisser de côté ses questionnements raciaux - ici l'héritage et l'invisibilisation des afro-américains au sein de l'industrie -, auquel il juxtapose un vrai regard sur l'art (son art), porté par un hommage sincère au pionnier du cinéma, Eadweard Muybridge.
Résolument moins métaphorique, Nope peut autant se voir comme une charge acerbe sur la vacuité de la célébrité (et la manière dont on se tourne en ridicule pour l'approcher), l'aspect inhumain d'Hollywood (passer d'une évolution spectaculaire à une autre sans comptabiliser l'aspect humain derrière), sa manière de rester engoncer dans sa nostalgie (son confort primant sur son désir d'originalité, s'enfermant volontairement dans la redite, une bête malade que l'on ne cesse pourtant de nourrir) où encore la façon dont l'industrie du spectacle réduit les esprits créatifs à une sombre image d'eux-mêmes après les avoir broyés (notamment au travers du personnage de Ricky "Jupe" Park, un ancien enfant star qui a survécu à une attaque mortelle de chimpanzés au coeur des 90s, mais ne peut s'empêcher d'avancer dans sa vie ni de s'entourer de souvenirs de sa traumatisante et humiliante carrière à la télévision); voire même une réflexion sur notre appétit - commun - pour le morbide (et notre incapacité totale à détourner le regard face à l'horreur), au sein d'une société dont la violence à totalement été banalisée que toute notion de danger nous est devenu si ce n'est familier, au moins totalement anecdotique.

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Jonglant tel un équilibriste avec les tons et les ambiances (comme cette scène de l'écurie, embaumée dans l'éclairage sombre de la photographie d'Hoyte van Hoytema, qui passe de la terreur pure à la comédie en un seul " Nope ") voire même avec un rythme un brin décousu, Peele décontenancera plus que pour Us et Get Out avec Nope, puisqu'il laisse libre cours à l'interprétation - quitte à fruster parfois - autant qu'il questionne par ce qu'il montre, notre propre rapport aux images et à leur sens,  mais aussi le cinéma en faisant... du cinéma.
Clairement le meilleur blockbuster de l'été avec Top Gun : Maverick.


Jonathan Chevrier


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