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[CRITIQUE] : The Chef

Réalisateur : Philip Barantini
Acteurs : Stephen Graham, Vinette Robinson, Jason Flemyng, Ray Panthaki,...
Budget : -
Distributeur : UFO Distribution
Genre : Thriller, Drame.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h34min.

Synopsis :
« Magic Friday » : le vendredi avant Noël, la soirée la plus fréquentée de l’année. Dans un restaurant gastronomique de Londres, côté cuisine, à quelques minutes du coup de feu, tout le personnel est en ébullition. Mais les problèmes s'accumulent autour du chef étoilé Andy Jones et de sa brigade. S'ajoute à cela la pression constante d'une clientèle toujours plus exigeante qui menace de mener le restaurant à sa perte…



Critique :


Dans un restaurant chic, un inspecteur fait le tour de l'établissement – et surtout de la cuisine – avant que celui-ci n'ouvre ses portes au public pour la soirée. Ce passage en revue, destiné à attribuer des bons et mauvais points, est aussi l'occasion pour le cinéaste d'exposer le lieu et le personnel du restaurant. Ce n'est pas Gordon Ramsay qui vient crier sur le personnel, mais cet inspecteur finit par être le déclencheur d'un cauchemar en cuisine. La note qu'il attribue au restaurant passe de 5 à 3, blâmant le chef Andy (incarné par Stephen Graham) pour une mauvaise gestion administrative, et quelques détails pas très hygiéniques aperçus en cuisine. C'est bien lui qui est au centre du récit et du dispositif, tel un chef d'orchestre qui a l'obligation d'accorder toutes les personnes qui travaillent en même temps dans sa cuisine. Surtout que, à la suite des remarques faite par l'inspecteur, c'est l'image de l'établissement qui peut en prendre un coup. La gérante du restaurant l'interpelle souvent pour le lui faire remarquer. Dès que les portes s'ouvrent et que le restaurant se remplit petit à petit, la température monte entre les membres du personnel et en réponse l'adrénaline fait surface. Ce n'est pas pour rien que le titre original est Boiling Point, signifiant littéralement « point d'ébullition ».

Copyright UFO Distribution

Le récit se déroule sur une seule et même soirée, donc sur un seul et même service pour cette cuisine. Le réalisateur Philip Barantini filme ce moment comme celui où tout bascule, où l'atmosphère s'écrase sur les épaules de chaque membre de l'équipe pour répondre à des attentes (celles d'une équipe de qualité, celles de clients qui attendent, celles d'une direction). Comme si les corps sont accrochés par cette salle remplit de clients, où il y a toujours une table à servir. Les âmes quittent temporairement leur enveloppe corporelle, et laissent place à des statures bien particulières. Le soi de chaque personnage est laissé de côté, pour se consacrer pleinement au rôle attribué. Le surmenage dans lequel sont pris chaque membre du personnel se comprend très vite, notamment par ce décor plein à craquer : que ce soit avec des salles remplies de clients ou par un décor très chargé. Philip Barantini crée alors un motif claustrophobique. Que ce soit le chef qui court dans tous les sens ou l'urgence qui pèse sur chaque membre du personnel, il n'y a pas le temps de respirer. Les séquences au montage s'enchaînent aussi rapidement que les personnages doivent enchaîner les commandes. Pour cela, il y a le mouvement permanent.

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Que ce soit à travers le déplacement des corps ou la circulation de la parole, il y a toujours du mouvement dans l'espace. Il n'y a pas de recherche de direction, car le récit fait rapidement comprendre qu'il s'agit d'un cycle entre chaque espace du restaurant, mais il y a bien un sens. Celui où le mouvement est toujours engagé pour gérer une crise, peu importe où elle apparaît et dans quel contexte. Le mouvement permanent, c'est pouvoir connecter chaque espace entre eux (la cuisine, l'équipe des boissons, l'accueil, la salle, etc), connecter chaque événement entre eux. C'est aussi, et surtout, montrer que le drame de ce cycle cauchemardesque concerne chaque personnage. Ainsi, les intérêts de chaque membre du personnel sont liés. Le mouvement permanent permet de montrer que chaque recoin de l'espace est à la fois un gouffre et une brûlure, comme c'est à la fois un spontané et une anticipation de l'instant à venir. Le mouvement permanent est cette façon de confronter les personnages à une dure réalité, tout en sachant qu'ils essaient d'échapper un maximum à un cauchemar qui les poursuit. Toutefois, ce motif de mise en scène a ses limites : le film entremêle constamment plusieurs arcs narratifs individuels, et le mouvement semble toujours à la recherche de wagons à rattraper.

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Qui dit mouvement permanent et chaque espace connecté, dit qu'il faut toujours échanger les points de vue. Même si le chef Andy est au cœur du récit, il n'est pas de toutes les images. Dans ce cycle infernal du service à salle remplit, la mise en scène de Philip Barantini montre beaucoup d'énergie et d'intensité, mais elle montre aussi qu'elle cherche toujours ce qu'elle a manqué (ou pourrait manquer). Il y a ce besoin incessant de revenir sur les autres personnages, d'alimenter le cycle chaotique, de s'accrocher à une situation angoissante pour le personnel. A croire que la mise en scène serait perdue, comme l'est le chef Andy à plusieurs reprises. C'est bien pour cette raison que The Chef se construit comme un thriller où chaque geste peut tout faire basculer. Avec une pointe d'ironie dans la musique du restaurant qui se joue en fond pendant tout le film (un faux esprit de légèreté alors que l'ambiance est chaotique), le cadre montre que chaque petit geste compte. Si le film fait preuve d'une grande richesse dans sa composition, c'est surtout parce qu'il s'attarde sur le moindre geste de chaque membre du personnel. Il n'y a pas de ligne directrice, si ce n'est que l'équipe doit réussir à tenir le service. C'est là l'essentiel. Le temps se suspend pour la soirée, permettant au cadre d'explorer la complexité et la richesse des coulisses.

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C'est par le démantèlement minutieux (l'attention au moindre geste, multiplier les points de vue, donner du temps à chaque membre du personnel, explorer chaque rôle) que le film déploie une mécanique épuisante du travail en restaurant. Le cinéaste fait le pari de la frénésie du mouvement et de la cacophonie, pour essayer de se rapprocher au plus près de l'endurance nécessaire dans les métiers qui composent ce type d'établissement. C'est pour cela qu'il n'y a ni mauvais ni bon personnage. Ils ont tous leur lot de bonté, d'erreur et d'excès de colère. Chaque personnage est placé au même niveau dans ce chaos, où un mouvement entraîne tous les autres membres de l'équipe. Dans ce cycle cauchemardesque, le mouvement permanent ne torture pas ses personnages, mais les condamne à la vulnérabilité. C'est tout le but du plan séquence. The Chef se présente sous une seule et même prise pendant ses 94 minutes. Au-delà de l'effet organique qu'il procure avec l'attention au moindre petit geste, il hypnotise les corps dans un espace où il ne semble y avoir aucune issue. Surtout que les deux seules présentées finissent par une mise en danger d'un personnage.

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L'idée du plan séquence fonctionne de paire avec le mouvement permanent, parce chaque personnage travaillant dans le restaurant doit se présenter sous son meilleur jour. Mais c'est toujours la vulnérabilité qui se révèle, et leurs ailes qui sont prêtes à être brûlées. Cependant, le plan séquence est construit avec une caméra à l'épaule. Un motif quelque peu superficiel, qui a tendance à surdramatiser le drame chaotique déjà en place, et à impressionner par un effet documentaire qui nuit à l'imaginaire de l'espace. Parce qu'il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un restaurant chic, minutieusement portraituré dans la photographie qui mélange l'élégance de l'espace avec le crépuscule de l'adrénaline. Une esthétique qui ne diabolise jamais ses personnages ou le moindre geste, mais qui montre le chaos qui s'installe. Dans un plan séquence qui emprisonne les corps et les âmes, pour les faire courir dans l'adrénaline. Et dans une mise en scène qui capte la vulnérabilité dans la spontanéité. Ce sont les images d'un imaginaire raffiné qui ont été vite rattrapés par une réalité cauchemardesque. Le point d'ébullition est alors un point de non retour : le temps est inévitable.


Teddy Devisme