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[CRITIQUE] : Candyman

Réalisatrice : Nia DaCosta
Acteur : Yahya Abdul-Mateen II, Teyonah Parris, Nathan Stewart-Jarrett, Colman Domingo, Tony Todd,...
Distributeur : Universal Pictures International France
Budget : -
Genre : Épouvante-horreur.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h31min

Synopsis :
D’aussi loin qu’ils s’en souviennent, les habitants de Cabrini Green, une des cités les plus insalubres en plein cœur de Chicago, ont toujours été terrorisés par une effroyable histoire de fantôme, passant de bouche à oreille, où il est question d’un tueur tout droit sorti de l’enfer, avec un crochet en guise de main, qui pourrait apparemment être convoqué très facilement par qui l’oserait, rien qu’en répétant son nom 5 fois devant un miroir.
Dix ans après que la dernière des tours de la cité ait été détruite, l’artiste peintre Anthony McCoy et sa petite amie Cartwright, directrice de galerie d’art, emménagent dans un appartement luxueux, sur le site de l’ancienne cité, aujourd’hui complètement nettoyé et reconverti en résidence réservée à une classe sociale jeune et aisée. Alors que la carrière d’Anthony est au point mort, il rencontre par hasard un ancien habitant de la cité d’avant sa rénovation qui lui raconte ce qui se cache réellement derrière la légende du Candyman. Désireux de relancer sa carrière, le jeune artiste commence à se servir des détails de cette macabre histoire comme source d’inspiration pour ses tableaux, sans se rendre compte qu’il rouvre la porte d’un passé trouble qui va mettre en danger son équilibre mental et déclencher une vague de violence qui en se propageant va le forcer à faire face à son destin.



Critique :



Cauchemar hybride tant il fait montre d'une double personnalité proprement fascinante, dont chaque parcelle de bobine ne fait qu'en renforcer la puissance et l'impact sur son auditoire, Candyman était avant toute chose les mots de Clive Barker couchés sur le papier : la nouvelle Liens interdits (publiée dans le Tome V des Livres de sang), que le brillant Bernard Rose (le merveilleux Paperboy), prendra tellement à coeur qu'il se l'appropriera (exit les rues désespérées de Liverpool et les atermoiements du marchand de bonbons, gardien des légendes urbaines, bonjour Chicago et son contexte infiniment plus sombre et violent, au coeur du ghetto et de la misère sociale de Cabrini-Green) pour mieux en transcender tous les ressorts et artifices.

Copyright 2021 Metro-Goldwyn-Mayer Pictures Inc. and Bron Creative MG1, LLC. All Rights Reserved.

Sommet d'horreur récursive - plus encore que chez feu Wes Craven -, n'ayant jamais peur d'admettre qu'une grande partie de l'horreur est au centre même de notre imagination fertile (ni même sa place importante dans notre quotidien, de manière consciente ou non), autant que constat social bouillant sur les difficultés d'intégration, les inégalités et le racisme latent qui gangrènent l'Amérique (mais pas que), filmé de manière frontale - carrément sur place, avec les risques que cela importait -; le film est un cauchemar sans concessions, aussi proche de la folie paranoïaque (est-ce réellement Candyman qui tue... ou Helen ?), que puissant d'un point de vue réflexif et symbolique (les légendes urbaines ne sont-elles pas les monstres dont l'humanité a besoin ? La peur n'était-elle pas nécessaire pour réfréner l'ordre et le chaos ? Ou, tout simplement, n'est-elle pas le privilège du pouvoir et des plus riches, face aux minorités, pour mieux les contrôler ?), catapulté dans une société où la croyance religieuse ne semble plus avoir sa place - un comble dans un pays profondément catholique comme l'Amérique -, tout comme la morale.

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Que Nia DaCosta s'attaque au bébé avec l'aide de Jordan Peele pour en croquer une relecture/suite spirituelle plus contemporaine n'a finalement rien d'étonnant, tant le second avait déjà signé deux réflexions stimulantes/allégories des problèmes sociaux contemporains sur l'injustice raciale à travers le prisme de l'horreur, via ses deux premiers films - Get Out et Us.
D'autant plus que le tandem s'appuie ici savamment sur l'ossature du film original, pour mieux se réapproprier d'un point de vue identitaire l'histoire de Daniel Robitaille, le personnage n'étant plus un peintre du 19ème siècle assassiné par la vendetta d'une bourgeoisie blanche, mais un homme aux mains crochues, qui distribuait des bonbons aux enfants de Cabrini-Green avant qu'il ne soit assassiné par la police (mais cette nouvelle incarnation garde l'essentiel : quiconque ose dire son nom cinq fois dans le miroir est voué à sa fin).
Mais si la version de Rose peut - logiquement - être considéré comme un slasher, même si elle évite soigneusement les pièges et rythmes prévisibles du genre, celle de DaCosta épouse elle sans vergogne tous les codes du slasher, donnant lieu à de nombreuses séquences de meurtres dont la brutalité est plus esquissée que montrer à l'écran.
Un parti pris plutôt payant dans sa première heure, le récit mélangeant habilement de gentils frissons pop-corn tout en taquinant gentiment le public avec une critique sociale tranchante même si très criarde, mais qui se délite lentement dans son dernier virage confus (bardé de sous-intrigues et de flashbacks), sous CGI et prévisible, à l'horreur corporelle trop sage et sans tension.

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Et c'est sans doute là que cette version 2021, dense même si ne dépassant jamais les quatre-vingt-dix minutes de bobines (il n'aurait pas démérité d'avoir un petit quart d'heure de gras en plus), pêche le plus : son ambition de jongler autant dans sa réinvention/extension habile du mythe original, que son désir louable d'aborder une pluie de sujets différents et de problèmes sociaux, quitte à en brader quelques-uns, voire à rendre bien trop explicite, au travers d'un dialogue ou d'un symbole lourd, le point de vue de ses artisans (une vision plus intergénérationnelle mais inachevée de la nature systémique de la violence anti-noirs).
Un manque de nuances maladroit, que ce soit sur la gentrification, l'exploitation du traumatisme noir, le racisme ordinaire (que la bourgeoisie n'évite pas) ou la violence policière, voire même sur les actes même de Candyman (là où le côté flou du film original, rendait la figure qu'incarne le personnage, encore plus envoûtante, ici sa vendetta vengeresse est aveugle et sans réel sens) captés au travers de la lente descente aux enfers Faustienne de son héros (passant d'artiste fasciné à la paranoïa, avant d'être littéralement possédé par sa " muse ").
Mais c'est sans doute dans sa vision de l'horreur que le métrage piétine le plus, laissant au placard la sensualité et l'imprévisibilité de la terreur originale (la violence y était choquante et percutante), appuyée par la partition envoûtante de Philip Glass, pour quelque chose de moins percutant, oscillant entre un penchant corporel très Cronenbergien (surtout sur une séquence bien précise), et une retenue un poil frustrante.

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Cependant, il serait injuste de ne pas admettre que dans le sens inverse, il a aussi beaucoup d'idées accrocheuses et passionnantes dans ce Candyman de DaCosta, que ce soit sa volonté de retrouver Chicago et de se servir de l'architecture actuelle de la ville (ou les lofts hors de prix de la ville surplombent le cadavre abandonné et en décomposition des maisons en rangée de Cabrini-Green), ou même son utilisation séduisante de marionnettes d'ombres (qui rappelle le travail sur les silhouettes en papier découpé noir sur blanc, de l'artiste Kara Walker), actionnées par une main dont l'ombre reste constamment visible (notamment dans le générique de fin, véritable tour de force qui condense plusieurs générations de souffrance en quelques vignettes douloureuses); la façon dont les victimes de Candyman sont projetées par son crochet ressemble d'ailleurs à la façon dont ces marionnettes se déplacent, invoquant constamment le mécanique de miroir/reflets instauré par le film (des surfaces qui se font autant le portail d'une réalité alternative, que le reflet des âmes).
Idem du côté de la mise en scène imaginative de DaCosta, dont les plans à la symétrie oppressante cite directement Stanley Kubrick, mais aussi du côté des interprétations inspirées de Yahya Abdul-Matteen II et Teyonah Parris.

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D'un pessimisme vigoureux, Candyman est une suite/reboot soudée par des parti pris réfléchis et une vraie volonté d'aborder des sujets importants, mais dont le manque de nuances fait qu'elle opère un numéro d'équilibriste parfois ambiguë.
Si elle peine à marquer les esprits dans sa réflexion moraliste sur le pouvoir relatif des représentations manifestes de la brutalité et de la métaphore, elle donne néanmoins un regard nouveau sur le mythe Candyman, devenant autant une expression de l'inconscient collectif - où le mal est un héritage qui se transmet et nous contamine/consume - qu'un fantôme avec une main de crochet, reflet du monde contemporain dans lequel il gravite.


Jonathan Chevrier


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