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[CRITIQUE] : Mignonnes


Réalisatrice : Maïmouna Doucouré
Acteurs : Fathia Youssouf, Medina El Aidi, Esther Gohourou, Illanah,...
Distributeur : BAC Films
Budget : -
Genre : Drame, Comédie.
Nationalité : Français.
Durée : 1h35min.

Synopsis :
Amy, 11 ans, rencontre un groupe de danseuses appelé : « Les Mignonnes ». Fascinée, elle s’initie à une danse sensuelle, dans l’espoir d’intégrer leur bande et de fuir un bouleversement familial...




Critique :



Illustration quasi-parfaite de la croissance accélérée de nos petites têtes blondes d'aujourd'hui, Mignonnes, qui marque les débuts enthousiastes et ambitieux de la réalisatrice et scénariste Maïmouna Doucouré, ausculte le passage charnière et de plus en plus expéditif, de l'enfance à l'adolescence, au travers des aléas d'Aminata Diop - Amy -, onze printemps et littéralement au carrefour des croyances familiales (religieuse et tout simplement traditionnelle), des envies de popularité (et d'appartenance à un "clan", inhérent à tous les mômes) et de la découverte de soi.
Rappelant sur de nombreux points les fantastiques Jinn de Nijla Mumina ou même Bande de Filles de Céline Sciamma, notamment dans leur volonté d'incarner des récits idiosyncratiques loin des canons habituels du coming of age movie (même si le regard des deux cinéastes se posait plus sur la fin de l'adolescence), la péloche s'en démarque néanmoins dans son approche plus effrayante de la société 2.0, ou Internet est un champ des possibles à tous les niveaux.

Copyright BIEN OU BIEN PRODUCTIONS 2018

Qu'on le veuille ou non, exposés à de nombreuses informations instantanément accessibles - même si elles sont " sous contrôle ", à la fois néfastes et avantageuses, les enfants d'aujourd'hui mûrissent à un rythme inévitablement plus rapide; ce qui est le cas d'Amy (Fathia Youssouf, révélation du métrage et en pôle position pour être aux prochains César), fille d'immigrants sénégalais vivant dans une banlieue marginalisée parisienne, et qui n'accepte plus les restrictions fondées sur son éducation musulmane (qui tend, entre autres, à la faire devenir une future bonne épouse soumise), qui ne peuvent mener qu'à l'envie de les braver.
Une rébellion, un goût pour la liberté de la défiance qui prend la forme d'une camaraderie naissante auprès de quatre camarades de classes, formant une équipe de danse surnommée " Les Mignonnes ", que la cinéaste enhardit de manière rare pour des jeunes filles (un sort constamment ou presque, réservés aux jeunes garçons dans les teen movies), aussi bien dans leur attitude que dans l'impulsion rafraîchissante qui émane de leurs chorégraphies.
Une envie de satisfaire les autres évidente, tant à cet âge - et pas uniquement celui-ci, au fond -, personne ne peut se priver/se séparer de la précieuse bouée de sauvetage d'une acceptation de ceux qui animent et habitent notre quotidien social, à ceci près ici que cette recherche d'Amy, et cette ďécouverte d'un univers qui lui est totalement étranger, est mis en parallèle et même renforcée par la soumission subit par sa propre mère Mariam; une épouse obligée d'accepter sa condition de femme humiliée et pétri de douleurs, alors que son mari se prépare à prendre une seconde compagne - et qu'elle doit justement, participer aux préparatifs du mariage.
Pour manifester l'assimilation et la compréhension d'Amy de sa féminité dans le contexte des antécédents familiaux et du monde actuel, la cinéaste emploie aussi bien une émotion poignante qu'un humour nuancé, le tout croqué avec une justesse honnête et irréprochable (dont une scène absolument tragique et belle, ou Amy se cache sous un lit pour partager la douleur de sa mère), même dans les scènes " attendues " (les premières règles, la comparaison de son corps aux femmes,...).

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Bombardée d'images hyper-sexualisées, Amy envisage une chorégraphie de danse, avec du twerk, un choix qui sera certainement jugée inappropriée par plus d'un spectateurs mais qui, dans son esprit et celui de Doucouré, n'est prit que pour mettre fin à l'idée qu'elle et ses amis sont des enfants; une sorte de véhicule artistique et corporelle qui accompagne - de force - le passage à l'âge adulte, et que l'on ne peut qu'imputer à la surprésence dangereuse d'Internet.
Plus que tout autre genre cinématographique, le teen movie a sauvagement été révolutionné par l'avancée du médium mais surtout la création - et donc sa prolifération - des réseaux sociaux, nous poussant tous à l'identification aux autres et même, à concocter des sortes d'alter-égos numériques qui ne sont pas forcément nous-mêmes.
Son accès direct, via les ordinateurs puis les smartphones, à transformer les rapports humains et ce, à tous les âges et Amy, comme toutes les autres filles pré-adolescentes ou adolescentes nées dans cette vérité, désire être appréciée/aimée, tout en étant cruellement consciente de l'instrumentalisation opérée par la société moderne; que cette appréciation ne peut se faire sans plonger dans les méandres de l'objectivation visuelle qui intéresse la masse (et de là où part toute popularité actuelle).
Consciente de cette réalité délicate - autant que peut l'être la pré-adolescence -, Maïmouna Doucouré en fait le coeur de son script en béton armé, qui veille d'ailleurs à ne jamais sexualiser ou sensualiser ses jeunes héroïnes, tant leurs actions/chorégraphies ne sont pas des actes de séductions, mais bien une représentation juvénile enthousiaste (et capté sans le moindre jugement par la caméra, appuyée par les couleurs magnifiquement saturées du directeur de la photographie Yann Maritaud) et une exagération de ce qu'elles prennent pour quelque chose de " sexy " (le dernier plan, plein d'amour, laisse entrevoir l'idée que la capacité d'émerveillement d'Amy, n'a pas été entièrement détruite et qu'une part d'enfance reste toujours en elle malgré tout).

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Totalement vissé sur la performance impressionnante et tout en intériorité de Fathia Youssouf (les explosions de ses troubles intimes sont physiques et jamais verbales, rendant de facto son interprétation encore plus passionnante à découvrir), d'une joie de vivre (autant imprudente que contagieuse, dans le bon sens du terme) et d'une vérité percutante, Mignonnes, ode à la liberté ou le rejet de sa condition est plus une évolution salvatrice qu'un simple effet de tendance, est de ces premiers films humains et maîtrisés, qui annoncent une voix de cinéaste indélébile et essentielle.
Vivement la suite, vraiment.


Jonathan Chevrier