[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #58. Trainspotting
© 1996 - Miramax |
Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#58. Trainspotting de Danny Boyle (1996)
Danny " Fucking " Boyle est sans l'ombre d'un doute, l'un des cinéastes les plus importants de sa génération.
Beaucoup ne seront sans doute pas d'accord avec cette affirmation (qui est plus près d'une vérité générale pour celui qui est en train d'écrire ces mots), mais on ne peut pas demander à tout le monde d'accepter la logique indiscutable du septième art (sorry not sorry).
Passé ce constat facile, il est donc vivement conseillé mais surtout infiniment passionnant, de se replonger au coeur de sa filmographie riche en propositions volontairement singulières et barrées, avec des titres comme... Trainspotting, un young adult movie d'une richesse rare, qui trouve le moyen d'être un bad trip furieusement attachant sur des personnages sensiblement antipathiques, dont le quotidien se résume à la dépravation, l'usage constant de drogues et à la procrastination la plus totale.
© 1996 - Miramax |
Chronique désabusée d'une jeunesse écossaise à la dérive, tirée du roman éponyme et bouillant d'Ivine Welsh, le film est un portrait incroyablement sordide, éléctrisant et scabreusement drôle de jeunes néophytes pseudo-punk d'Édimbourg, qui s'amuse à brûler leurs existences dans le feu des enfers.
Salement fauchés (un peu comme leurs parents, qui joignent les deux bouts comme ils le peuvent dans une économie écossaise à l'agonie), volontairement sans emploi, exclus de tout espoir d'avenir ou même de l'empathie générale, ils comblent le vide par tous les moyens : en volant, en se faisant écraser dans des fights de pubs, en tirant avec des pistolets à billes sur des chiens, en regardant la sextape d'un pote mais, surtout, en tirant comme des morts de faim sur l'héroïne; LE totem de leurs existences qu'ils embrassent uniquement pour ses hautes montés d'adrénalines et la déconnexion totale qu'elle procure.
Du roman populaire gentiment scandaleux et profondément scato, le tandem Boyle/Hodge en retire toute l'essence crasse mais géniale, pour en faire une comédie noire profondément exubérante sur le nihilisme juvénile de la génération 90's, sorte d'indicateur de l'instant T de la jeunesse de l'époque dont le message ironique - pour être poli - démontre qu'il y a de la joie même au fond du trou, et qu'il faut la célébrer avec un appétit brut et sans partage.
Bravade insolente et autodestructrice, ou les (nombreux) coups de pied transgressifs sont servis aux spectateurs sans excuses ni même sans jugements (la force du film est que Boyle a un regard profondément tendre sur ses personnages, même s'il fustige leur descente aux enfers), Trainspotting démarre sur les chapeaux de roues et met directement dans l'ambiance.
Deux jeunes hommes courent, visiblement après avoir voler/braquer un magasin, tandis qu'une voix-off s'élève sous fond de Lust For Life d'Iggy Pop (tout un symbole), celle de Renton, dégainant un monologue entre sarcasme et lucidité, sur les conventions absurdes de la société moderne : ”Choose life. Choose a job. Choose a career. Choose a family. Choose a f***ing big television...”.
© 1996 - Miramax |
Une liberté de ton et de gestes en bandoulière, balancée comme une secousse sismique et comme la seule parade face au marasme des conventions, une ouverture qui ne nous fera pas redescendre du toit (très) perché ou elle nous emmène, et qui agira sur nous comme l'une des nombreuses injections de drogues (annoncées comme plus transcendantes que le sexe) qu'aspireront les veines de Renton pendant les quatre-vingt-dix minutes suivantes (au risque de faire passer le film, à tort, comme une oeuvre qui fait l'apologie de la consommation d'héroïne).
Dans une fièvre esthétique qui rappelle autant les opéras du bitume du roi Scorsese que la frénésie clipesque de l'époque MTV, Danny Boyle nous invite tout du long à regarder la vie sous le prisme de ceux qui ne sont pas censé encore la connaître - à peine la vingtaine -, mais qui la dévorent par les deux bouts comme des sales gosses affamés, avides de sensations fortes et nerveuses.
Une représentation brutalement honnête et lucide de jeunes qui se savent en chute libre, et encore plus Renton, point d'ancrage loufoque autant que guide à la fiabilité relative, dont l'impuissance de pouvoir tenter de vivre une existence rangée, nous fera passer par tous les stades les plus improbables possibles (dont une plongée fantastique dans les toilettes dégoûtantes - et le mot est faible - d'un pub, qui retourne l'estomac autant qu'elle fait sourire), et servira d'âme vibrante au métrage, autour de laquelle gravitent quelques trublions on ne peut plus savoureux : Spud (âme touchante qui peine à s'exprimer convenablement, qui souillera méchamment les draps de son ex-petite amie), Sick Boy (beau-gosse volubile dont l'obsession pour le Bond de Sean Connery, frise lourdement avec l'indécence), Tommy (jeune homme attachant qui payera le prix fort d'avoir voulu faire comme ses amis et toucher à la drogue) et Begbie (sociopathe locale perfide et dérangé, dont l'addiction à la violence est plus dangereuse que celle de ses petits copains pour la drogue).
© 1996 - Miramax |
Des personnages haut en couleurs (et incarnés à la perfection par un casting en complet état de grâce), sorte de fusion délirante entre les héros de Mean Streets et du cinéma de Tarantino (impossible de ne pas admettre que Sick Boy et Begbie ne sont pas follement Tarantinesque dans leur approche), dont les pérégrinations parfois folles au coeur de l'autodestruction la plus totale (certaines scènes sont à la limite de l'insoutenable, comme la mort du bébé de Sick Boy), sont boostées par une bande originale au poil (comme chez... Tarantino), un amplificateur d'humeur et de passion qui rend l'expérience encore plus hypnotique.
Un procédé enthousiasmant qui trouve son apogée dans un final désespéré et pétri d'espoir à la fois, même dans sa roublardise crasse et terrifiante, ou avec Born Slippy (NUXX) en fond sonore, Renton démontre jusqu'où certaines personnes peuvent être " obligé " d'aller pour finalement tenter de s'en sortir.
Choose life, always.