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[CRITIQUE] : Burning


Réalisateur : Lee Chang-Dong
Acteurs :  Yoo Ah-In, Steven Yeun, Jeon Jong-seo,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Sud-Coréen.
Durée : 2h28min.

Le film est présenté en Compétition au Festival de Cannes 2018.

Synopsis :
Lors d'une livraison, Jongsu, un jeune coursier, tombe par hasard sur Haemi, une jeune fille qui habitait auparavant son quartier. Elle lui demande de s’occuper de son chat pendant un voyage en Afrique. À son retour, Haemi lui présente Ben, un garçon mystérieux qu’elle a rencontré là-bas.
Un jour, Ben leur révèle un bien étrange passe-temps…



Critique :


Ce serait incroyablement réducteur de limiter la carrière de Steven Yeun à sa présence hautement remarquée pendant sept saisons, au sein de la (jadis brillante) série The Walking Dead et pourtant, impossible pour tous les fans du show, encore hantés par sa disparition brutale - et le mot est faible -, de ne pas penser à sa vision dans d'autres projets, à son personnage de Glenn Rhee; jeune homme aussi loyal que courageux, totalement saccagé par les scénaristes (qui n'ont très vite plus vraiment su quoi faire de lui dès la saison 5) mais qui cristallisait clairement tout ce qu'il pouvait rester de bon dans une humanité face à une apocalypse sans nom.
Ce qui n'empêche pourtant pas le bonhomme de se payer une sacrée carrière depuis (le délirant Mayhem, le très attendu Sorry To Bother You), qui lui a permis de squatter la Croisette deux années de suite, avec Okja l'an dernier et Burning de Lee Chan-Dong cette année (lui aussi un habitué du festival, Secret Sunshine et Poetry avaient déjà eu les honneurs de la sélection officielle); candidat plus que sérieux au palmarès.



Drame vertigineux à la lisière du thriller psychologique, puisant sa force dans le non-dit et une ambivalence pesante, Burning joue tout du long la carte de l'épure et du minimalisme total, et articule son imposante toile d'araignée autour d'une relation supposément banale entre trois personnages finement croqués (et dont on ne sait finalement pas grand-chose), mais dont le malaise qui ronge leur interactions est intensément palpable et semble pouvoir exploser à tout moment.
En ne montrant rien ou peu, Lee Chan-dong réussit la prouesse pourtant de tout dire, notamment sur une Corée bouffée par la lutte des classes, une lutte personnifiée par la rage intériorisée de Jongsu, livreur discret qui se rêve écrivain (Yoo Ah-in, puissant), confronté à l'arrogance du golden boy Ben (Steven Yeun, parfait), aux activités professionnelles énigmatiques; mais véritable rival sentimental pour le coeur de Haemi (pétillante Jeon Jong-seo).



Captivant de tout son (imprévisible) long, jonglant avec la temporalité et entre les genres avec une facilité proprement déconcertante, sublimé par une écriture redoutable, jamais réellement explicite (pour mieux intensifier ses nombreux niveaux de lecture) et une mise en scène exigeante; Burning, pur morceau de cinéma intimiste et complexe, est une merveille de thriller hypnotique dont on ressort autant k.o que profondément ébloui.
Une vraie oeuvre de virtuose, tout simplement.


Jonathan Chevrier




Thriller existentiel. Drame psychologique. Film noir contemplatif. Les mots ne manquent pas pour qualifier Burning sans qu'aucun toutefois ne capture, semble t-il, sa réelle position, aux confins du réel. Cette adaptation des Granges Brûlées d'Haruki Murakami hérite non seulement de l'atmosphère nébuleuse chère à l'écrivain mais aussi et surtout de son apesanteur caractéristique. Lee Chang-Dong s'approprie cette nouvelle avec une délicatesse inouïe, sans jamais s'encombrer de dialogues ou d'effets visuels, réussissant là où Tran Anh Hung avait échoué dans La Ballade de l'Impossible - Norwegian Wood. Les personnages s'esquissent à la force de leurs actes : l'un dialogue avec un veau, l'autre maquille ses conquêtes, la dernière s'endort n'importe où. Pas de peinture de caractères à l'instar de La Bruyère donc mais un canevas clair-obscur, une ébauche de tempéraments, deux trois traits de personnalités et le tracé d'un décor, suffisamment pour en deviner les contours retors et la perspective d'un trésor.


Dès lors Burning s'apparente à une œuvre picturale, une nature morte, au sens premier du terme, c'est-à-dire « un ensemble d'éléments inanimés (aliments, gibiers, fruits, fleurs, objets divers...) organisés d'une certaine manière dans le cadre défini par l'artiste, souvent dans une intention symbolique ». Ici l'espace – brillamment mis en scène – est à la fois saturé de sens et infecté par l'imaginaire. De la porsche au briquet en passant par la montre rose, Lee Chang-Dong injecte du sens dans les moindres recoins de son cadre, superpose les indices en même temps que les fausses-pistes comme pour démontrer l'angle mort de toute réalité. La scène de pantomime constitue ainsi la clé de lecture principale du film – tout est illusion – que n'auront ensuite de cesse de rappeler le chat ou encore l'épisode du puit. Burning s'amuse tout du long avec notre perception et déconstruit le réel jusqu'à révéler son ossature intime : celle d'un savoureux trompe-l’œil.


Le fil conducteur est quant à lui annoncé dans le titre : le feu est partout, jusque dans la sublime danse sur Ascenseur pour l’échafaud d'Haemi, elle-même flamme virevoltant à la lueur du coucher de soleil comme dans la vie de Jongsoo. Dans Burning, Lee Chang-Dong transpose également sa vision sociale ou en tout cas éminemment politique d'une Corée embrasée par les inégalités de classe. Ce sous-texte qui culmine dans un climax glaçant et rompt avec la tonalité initiale constitue peut-être le seul bémol du film – et encore – tant il est là encore effectué d'une main de maître. En définitive une œuvre puissante et insaisissable d'une grande maîtrise formelle, portée par un trio d'acteurs merveilleux (époustouflants Yoo Ah-In et Jeon Jong-seo dont c'est le premier rôle d'ailleurs et Steven Yeun qu'on ne présente plus) et qui aurait mérité un petit quelque chose à Cannes – à titre personnel toutefois, très fière de ne pas être d'accord avec un jury composé de Denis Villeneuve et Léa Seydoux mais après c'est vous qui voyez.


Anaïs