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[CRITIQUE] : The Double


Réalisateur : Richard Ayoade
Acteurs : Jesse Eisenberg, Mia Wasikowska, Wallace Shawn, Noah Taylor,...
Distributeur : Mars Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Britannique.
Durée : 1h33min.

Synopsis :
Garçon timide, Simon vit en reclus dans un monde qui ne lui témoigne qu'indifférence. Ignoré au travail, méprisé par sa mère et rejeté par la femme de ses rêves, il se sent incapable de prendre son existence en main. L'arrivée d'un nouveau collègue, James, va bouleverser les choses, car ce dernier est à la fois le parfait sosie de Simon et son exact contraire : sûr de lui, charismatique et doué avec les femmes. Cette rencontre amène James à prendre peu à peu le contrôle de la vie de Simon…


Critique :

Mia Wasikowska et Jesse Eisenberg, ensemble dans un même film, si ça ce n'est pas de l'accroche à faire saliver plus d'un cinéphile, on ne sait pas ce que c'est.

Car si non seulement ils sont plutôt gâtés par la nature (on parle surtout pour la première, dont il est difficile de ne pas tomber amoureux à chaque film), ils sont surtout ce que le cinéma américain de demain à de mieux, tous deux s’inscrivant dans la droite lignée de Meryl Streep - pour elle - et de Dustin Hoffman - évidemment pour lui.

Deux pépites à l'état pur donc, aperçu respectivement cette année dans le dernier Cronenberg, Maps to The Stars et le dernier Kelly Reichardt, Night Move, et qui se retrouve sur The Double, second long métrage de l'excellent Richard Ayoade, dont le premier film, Submarine, teen movie mélancolique et méchamment décalé, avait joliment fait son buzz il y a deux ans dans les salles obscures hexagonales.


Mais plus que de partager l'affiche avec le belle Mia, cette adaptation lointaine du roman " Le Double " de Dostoyevsky permet à Eisenberg de jouer avec un personnage de choix : lui-même !
Privilège assez rare, également offert ce mois-ci au tout aussi excellent Jake Gyllenhaal dans le Enemy de Denis Villeneuve.

Un doppelgänger avec deux Jesse et une Mia pour le prix d'un film, que demander de plus ?

The Double ou l'histoire de Simon James, qui est employé dans une grande firme traitant des données pour ses clients.
Réservé, maladroit et peu populaire, quand il n'est pas au travail et qu'il ne rend pas visite à sa mère à l'hôpital dans lequel elle est internée, il vit reclus dans un petit studio en face duquel il a vue sur l'appartement d'une de ses collègues, celle qui fait secrètement battre son cœur, Hannah.
Un matin, en se rendant à son travail, son attaché case, qui contient ses papiers d'identité, se retrouve coincé entre les portes du train, qui file avec l'ensemble de son contenu.

Commencent alors les difficultés pour ce jeune employé timide et insignifiant, alors qu'il tente de passer la porte de son lieu de travail, et qu'on lui présente son double parfait, James Simon, dont la personnalité est littéralement à l’opposée de la sienne.
Il est même le seul à remarquer qu'il lui ressemble comme deux gouttes d'eau...


Avec un projet nettement plus risqué et ambitieux que sur Submarine, Ayoade creuse encore plus en profondeur les thèmes forts de son premier effort, à savoir sa fascination pour les personnages inadaptés à la société d'aujourd'hui, des marginaux rongés par la solitude et l'ignorance des autres.
Ici, Simon est un personnage hautement réservé et frustré, enfermé dans son propre monde puisque le nôtre ne lui renvoie que de l'indifférence.

Ignoré sur son lieu de travail, méprisé par sa génitrice de mère et littéralement rejeté par celle qu'il aime, il est le parfait opposé de James, son sosie pourtant parfait.
Lui sait comment prendre sa vie en main, il est charismatique, extraverti, sur de lui, doué avec la gente féminine mais surtout, il a conscience de son pouvoir sur Simon et il va peu à peu prendre son emprise sur lui, comme un jumeau prend souvent le dessus sur son copie calque de frangin/sœur.

L'un s'aime et l'autre se hait, l'un est aimé et l'autre transparent aux yeux des autres, l'un est au bord de la crise de nerf et l'autre ne peut que le précipiter dans sa chute.

Dans ce sens, il reste très proche de l’œuvre de Dostoyevsky, puisqu'elle mettait en scène un homme écrasé par la bureaucratie de l’empire tsariste dans un empire russe du 19eme siècle ou la position sociale d'un individu se définissait par la reconnaissance de ses pairs.
L'apparition d'un double - et même de plusieurs, Ayoade s'arrêtant cependant à un seul - bien plus doué et charismatique, venait traduire peu à peu, la perte de repère et d'identité du héros ainsi que sa lente chute vers la schizophrénie.


Dans un monde rétro-futuriste et surréaliste qui rappelle le précieux Brazil de Terry Gilliam mais également l'univers de Kafka et des 50's, et avec un ton toujours aussi décalé et cynique - so british quoi -, le cinéaste reprend donc avec sérieux la substance de ce texte intemporel et son sentiment de paranoïa, tout en critiquant habilement le monde du travail contemporain et sa quête constante de productivité et de créativité, ou l'esprit de compétition prédomine sur l'affirmation et l'expression personnel, ou la loi du plus fort est toujours plus triomphante que celle du plus faible.

Devant la caméra, si la belle Mia Wasikowska donne le change à la perfection même si son rôle ne lui permet pas forcément de démontrer toute l'étendue de son talent, quand à lui Jesse Eisenberg - en tout point parfait -, démontre une fois de plus si besoin était, qu'il est capable de tout jouer avec une aisance frisant méchamment avec l'indécence.

Ici, il capte à merveille les deux personnalités différentes qu'incarnent Simon et James, deux faces opposées d'une même pièce qui interagissent ensemble, le timide emplit de malaise et l'excentrique transpirant la confiance en soi.

Fascinant, troublant - il est très facile de constituer des parallèles avec sa propre expérience -, intemporel et oppressant, The Double est un riche et superbe film noir doublé d'une fable SF aux multiples niveaux de lecture et à l'ambiance froide et stylisé, qui ne manque pas d'humour - pince-sans-rire - mais un poil d'émotion il est vrai, et qui incarne également une belle proposition de mise en scène via une direction artistique soignée doublée d'une esthétique baroque absolument somptueuse, et d'une bande sonore classique envoutante.


Très Gilliamesque voir même très Cronenbergien dans sa vision complexe, réaliste et psychologique (et voir même un peu politique) de la société contemporaine, il est une des œuvres les plus sombres - mais pas trop - et incontournables de cet été cinéma de 2014, et la confirmation que Richard Ayoade est véritablement un cinéaste à suivre.

Ce mois d'août cache définitivement de (très) belles surprises...


Jonathan Chevrier


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