[CRITIQUE] : Inside Llewyn Davis
Réalisateur : Joel et Ethan Coen
Acteurs : Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake, John Goodman, Garrett Hedlund,...
Distributeur : StudioCanal
Budget : -
Genre : Musical, Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h45min.
Synopsis :
Inside Llewyn Davis raconte une semaine de la vie d'un jeune chanteur de folk dans l'univers musical de Greenwich Village en 1961. Llewyn Davis est à la croisée des chemins. Alors qu'un hiver rigoureux sévit sur New York, le jeune homme, sa guitare à la main, lutte pour gagner sa vie comme musicien et affronte des obstacles qui semblent insurmontables, à commencer par ceux qu'il se crée lui-même. Il ne survit que grâce à l'aide que lui apportent des amis ou des inconnus, en acceptant n'importe quel petit boulot. Des cafés du Village à un club désert de Chicago, ses mésaventures le conduisent jusqu'à une audition pour le géant de la musique Bud Grossman, avant de retourner là d'où il vient.
Critique :
Que Joel et Ethan Coen continuent, malgré les années qui passent, à nous éblouir avec des péloches racées et intelligents, ne nous étonne guère, mais que les deux frangins - indiscutablement des génies du septième art -, enchainent les chefs d’œuvres tout en peaufinant leur style de films en films, force est d'admettre que cela pousse sacrément au respect.
Peu importe ce qu'en pense leurs détracteurs (qui auront, de toute manière, toujours tort), les brothers n'ont pas perdu une seule once de leur mojo depuis No Country For Old Men, mieux même, ils ont tout simplement fait de leur dernier long en date, Inside Llewyn Davis, l'un de leur métrage les plus beau, jouissif et complet de leur immense filmographie commune.
Bien plus ambitieux que le road movie mineur annoncé - un Grand Prix du Jury cannois peut-il être réellement mineur ? -, cette lointaine adaptation des mémoires du musicien folk Dave Van Ronk, est avant toute chose, un nouveau matériau de choix pour que les Coen dynamitent une pléthore de genres cinématographiques qu'ils brassent toujours avec amour.
A New-York dans les années 60, Llewyn Davis, musicien talentueux, se bat contre vents et marrées pour accéder à la renommée qu'il mérite, et pour enfin percer sur la scène folk du Greenwich Village.
Avec pour seules compagnes sa guitare et ses nombreuses désillusions, il restera inlassablement accroché à ses rêves et illusions de réussite et de grandeur...
Comme son titre l'indique judicieusement, Inside Llewyn Davis est une odyssée incroyable dans l'esprit fantastique et délirant du héros, tendance loser magnifique dont le cœur ne bat que pour son unique passion : la musique.
Tour à tour sombre (voir même très Kafkaien), cruel (comme tout univers artistique), fantasmé et déroutant, ce voyage à l'intérieur du monde de Davis est aussi physique que mental, intronisant de facto le bonhomme comme l’un des personnages les plus atypiques et attachants de l'univers des frères Coen, aux côtés de l'iconique Dude Lebowski.
Dans cette lutte empathique, contre l'adversité aussi ironique que grave et dramatique, Joel et Ethan donnent de leurs personnes comme rarement, pour accoucher d'une réflexion maline, à l'ambivalence on ne peut plus habile.
En effet, difficile de ne pas voir en l'itinéraire sans grand repère de Llewyn, face à l'univers du disque et de la musique profondément hermétique et mercantile, celui des deux frères en lutte contre une Hollywood castratrice, tuant peu à peu les talents et le cinéma d'artisan (indépendant en gros), à coups de grosses productions rarement bien senties.
Comme leur anti-héros, les Coen peinent à voir leur talent récompensé, comme lui, ils sont animés par une passion dévorante pour un art de plus en plus bousillés par un système infiniment pervers et cupide.
Intelligent, follement référencé (que ce soit musicalement parlant ou en ce qui concerne le cinéma des Coen, ou les références foisonnent) mais clairement accessible même pour les plus néophytes d'entre-nous, ce portrait comico-dramatique d'une victime aussi authentique que malheureuse, du monde artistique - et dans un sens, de la vie également -, est en tout point, d'une finesse et d'une cohérence absolue.
Usant à merveille des sixties pour mieux poser un regard critique et lucide sur le monde actuel, parcourut de situations aussi surréalistes que franchement comiques (les dialogues sont lourdement savoureux et dévastateurs), Inside Llewyn Davis est un rêve sur pellicule, pur, honnête et mélancolique, qui s'impose comme un incroyable exercice de style, à la maitrise indécente.
Fluidité narrative exemplaire (puisque les deux lascars maitrisent leur sujet à la perfection), d'une profondeur des personnages imposantes, d'une photographie et d'une bande original démentes, sans oublier une habile direction d'acteurs ou chacun excelle comme rarement (Oscar Isaac y est sublime - et prouve qu'il est un excellent chanteur, comme on a pu le voir dans Ten Years -, Carey Mulligan est jouissive dans la peau de la biatch exécrable, Justin Timberlake et Garrett Hedlund y sont excellents et charismatiques et comme d'habitude quand il est chez ses potos Coen, John Goodman est immense), le Coen cuvée 2013 est d'une réussite renversante.
Lucide, léger, grave et joliment universel, le film capture avec maestria et ironie, la fin d'une époque bénie dans l'histoire de la musique américaine, et dénonce également tout un pan de l'industrie artistique actuelle, bien plus porté sur l'aspect mercantile qu'autre chose.
Le tout bien sur, enrobé dans une déclaration d'amour pour la musique et l'art en général, aussi pétillante qu'hautement sympathique et jouissive.
Un programme riche et magique, bref comme tout bon grand chef d’œuvre des deux frangins cinéastes, ou une invitation en salles unique, qu'il serait bien criminelle de refuser pour tout bon cinéphile un minimum avertit...
Jonathan Chevrier