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[CRITIQUE] : L'accident de piano


Réalisateur : Quentin Dupieux
Acteurs : Adèle Exarchopoulos, Sandrine Kiberlain, Jérôme Commandeur, Karim Leklou,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : -
Genre : Comédie.
Nationalité : Français.
Durée : 1h28min

Synopsis :
Magalie est une star du web hors sol et sans morale qui gagne des fortunes en postant des contenus choc sur les réseaux. Après un accident grave survenu sur le tournage d'une de ses vidéos, Magalie s'isole à la montagne avec Patrick, son assistant personnel, pour faire un break. Une journaliste détenant une information sensible commence à lui faire du chantage… La vie de Magalie bascule.




Une année ciné sans un canevas de la douce bizzarerie du cinéma de Quentin Dupieux n'est pas totalement une année ciné française, et si 2024 s'était montré un peu plus gourmande qu'à l'accoutumée avec deux séances à la qualité pour le moins disparate - Daaaaaalí!Le Deuxième Acte -, 2025 renoue avec une boucle plus traditionnelle mais aussi et peut-être, une sorte de bain de jouvence pour un cinéaste dont le dernier effort (et quelques précédents, aussi) laissait transparaître l'idée loin d'être glorieuse qu'il n'avait plus grand chose à nous dire tout en ayant, paradoxalement, une vraie volonté de s'inscrire pleinement dans des questionnements contemporains et de caricaturer notre époque.

Il faut dire, voilà déjà vingt-quatre printemps que le bonhomme, dont la dynamique/frénésie créative Mocky-esque est venue complètement corriger son statut de faiseur simili-punk de la comédie hexagonale, pour en faire un trublion décemment plus institutionnel, et abonné régulier des festivals; hante et anime le septième art hexagonal par son génie absurde.
Un édifice démarré tout en nuances avec Nonfilm - tout est dans le titre -, sorte de mise en abyme où le film, tout comme Dupieux, réfléchissait - encore - à son propre processus de création.

Copyright 2025 - CHI-FOU-MI PRODUCTIONS - ARTE FRANCE CINÉMA - AUVERGNE RHÔNE-ALPES CINÉMA

C'est sensiblement dans ce mouvement de mise en abyme loufoque qui pastiche les codes du cinéma horrifique, rappelant tout autant Réalité et Rubber que Le Daim (jusque dans son esthétique), que de questionnement même sur la notion de création et d'art qui semble de plus en plus imprimer son cinéma (comme sa tendance à tout autant baser sa mécanique sur un humour - souvent de répétition - absurde et opaque profondément Buñuelien, que sur un groove tout en interactions piquées et piquantes, jonglant constamment sur le fil tenu du politiquement correct, à la Blier), que s'inscrit donc L'accident de piano, d'une folie absurde et parfois attendrissante dans la manière qu'à le cinéaste de ne pas se contenter de bêtement voguer vers la voie facile de la satire moralo-blasée d'une société contemporaine où la dépendance/dérive extrême des réseaux sociaux fait perdre toute empathie (combien de vidéos de chutes, souvent violentes, nous a fait mourir de rire sans penser une seule seconde à la douleur de ceux qui les subissent ?) mais surtout tout sens logique à une humanité qui en est de plus en plus dépourvue.

Parce que oui, contre toute attente, il y a une mélancolie palpable et décalée qui se niche dans le portrait déglingué et à la méchanceté jubilatoire, d'une anti-héroine/créatrice de contenu immature et plus insupportable que la plus pourrie gâtée des ados attardée (une Adèle Exarchopoulos qui ne cesse de s'éclater et de briller chez Dupieux), dont la " renommée " s'est bâtie sur une galerie de courtes vidéos d’automutilation douloureusement consenties et élaborées - dont l'accident du titre, loin d'être accessoire -, un masochisme parfois artistique qui a supplicié son corps mais la rendue suffisamment riche pour partir en retraite avant même d'avoir véritablement commencé sa vie.

Copyright 2025 - CHI-FOU-MI PRODUCTIONS - ARTE FRANCE CINÉMA - AUVERGNE RHÔNE-ALPES CINÉMA

En elle, et à travers l'interview qu'on lui dresse au fil du récit (une tentative de compréhension/intellectualisation critique peut-être encore plus insupportable qu'elle peut l'être elle-même), on décèle alors moins la critique des ravages des RS et de la marchandisation volontaire du corps, que la célébration d'une liberté trash et " Jackassienne " qui ne s'excuse jamais de sa propre bêtise ni de l'absolutisme fou de ses pulsions extrêmes, qui pense ses vidéos comme une pure expression de sa propre créativité artistique radicale et barrée, presque désintéressé du statut de célébrité - et l'argent qui vient avec - quand bien même il vient renforcer à la fois son confort comme sa liberté créative.

Dommage alors que passé le virage de sa seconde moitié, le délire commence progressivement à se recroqueviller sur lui-même dans une répétitivité, il est vrai partie intégrante de son sens, mais que le cinéaste ne parvient jamais véritablement à stimuler par ses nombreuses digressions comiques et volubiles.
La magie se délite un poil laborieusement alors que, paradoxalement, on a rarement retrouvé d'aussi près, l'aura folle et fabuleuse d'un cinéaste chronophage qui ne cache à aucun moment ses intentions ni son honnêteté.
Un très bon cru, malgré tout.


Jonathan Chevrier