Breaking News

[CRITIQUE] : The Return, le retour d'Ulysse


Réalisateur : Uberto Pasolini
Acteurs : Ralph Fiennes, Juliette Binoche, Charlie Plummer, Marwan Kenzari, Claudio Santamaria, Roberto Serpi, Chris Corrigan, Cosimo Desii, Ayman Al Aboud,...
Distributeur : Maverick Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Historique.
Nationalité : Italien, Britannique, Grec, Français.
Durée : 1h56min.

Synopsis :
De retour de la guerre de Troie après 20 ans d’absence, Ulysse échoue sur les côtes d’Ithaque, son ancien royaume. Sa femme Pénélope, restée fidèle, y vit prisonnière de sa propre demeure, repoussant tous les prétendants à la couronne. Télémaque, leur fils, qui n’a jamais connu son père, devient lui un obstacle pour ceux qui veulent s’emparer du pouvoir.



Grèce, sur l'île d’Ithaque. Le cinéaste Uberto Pasolini (Une belle fin, Nowhere special) revisite le mythe d’Ulysse en se concentrant sur la fin de l'Odyssée, où il revient sur son île après 20 ans d'absence, et autant d'années d'attente et de solitude pour son épouse Pénélope. Il y retrouve ses thématiques de la mort, de la recomposition familiale, de la solitude. Il transpose ce récit d'Homère dans un univers atemporel, à la fois aride et abstrait, vidé de toute la grandeur antique, de la grandiloquence mythologique. The Return débute dans la poussière, les pierres blanches, les villages réduits à des ruines, comme autant de fragments d’un monde révolu. La guerre de Troie n’a laissé que des hommes traumatisés, et celui qui revient n’a plus rien du héros triomphant. Ralph Fiennes, torse nu, sillonne cette terre désolée avec ses rides bien marqués. La Grèce qu’il retrouve, ou plutôt ce qu’il en reste, est une contrée moribonde, dépouillée de beauté / de dieux / d’espoir / de joie.

Cette dépossession du paysage devient le fil rouge d’un film qui refuse tout spectaculaire : ni épopée, ni drame familial, ni même fresque politique, The Return se veut une relecture intérieure, minimaliste et presque fantomatique de l’Odyssée. Une ambition aussi singulière que trop souvent stérile. Car malgré cette atmosphère cafardeuse, c’est bien l’absence d’enjeux qui finit par caractériser le film. Celui-ci semble s’efforcer de ne pas exister pleinement, de rester dans l’ombre de son sujet. Le retour d’Ulysse aurait pu porter mille tensions : la confrontation familiale, la gestion d’un pouvoir vacant, la mémoire des atrocités vécues pendant une guerre, la pauvreté environnante de cette île. Pasolini y suggère le traumatisme, la remise en question d’une masculinité usée, mais sans jamais leur offrir un véritable espace dramatique.

Copyright Ithaca Films / Marvelous Productions / Bleeker Street

Le récit reste figé, contemplatif, dans une sorte de théâtralité désincarnée, certes assumée, mais frustrante. Même la relation père-fils – pourtant au cœur du texte homérique – est à peine effleurée, sans relief ni tension. La parole est vainement rare, les gestes retenus, les intentions floues. À force d’atermoiements, le film ne progresse jamais vraiment. Il semble repousser sans cesse l’idée même derrière sa narration. Il y a pourtant des idées de mise en scène intéressantes. Des silences chargés, une lumière parfois grise et trouble, une photographie portée sur le sombre qui cherche dans les paysages l’écho d’une souffrance enfouie. Le film tutoie quelque chose d’organique, presque rugueux, dans la façon dont il met en scène les corps, avec leur vieillissement, leurs blessures et leur isolement. Mais là encore, rien ne se structure.

Juliette Binoche campe une Pénélope réduite au rang de spectatrice passive, soumise aux pressions sociales mais sans rébellion véritable. Son personnage aurait pu être l’âme politique du film, la souveraine résistante, la mère protectrice. Il n’en est rien. Comme Ulysse, elle semble amputée de toute capacité d’action. Les autres personnages n’existent qu’en périphérie, sans consistance. On ne sent jamais la communauté, ni le poids de l’île, ni les tensions sociales latentes. Le mythe est réécrit dans le silence des vivants. Et puis surtout, il y a ce refus, presque systématique, de l’incarnation. Là où la violence symbolique aurait pu s’exprimer dans les corps, dans le désordre, dans le tumulte du retour, The Return choisit le retrait. Il ne s’y passe quasiment rien, et ce peu est filmé avec une distance presque solennelle par moment.

La scène finale, censée être un moment de bascule, ne parvient pas à bousculer son spectateur. La colère n'y déborde pas, le temps y est étiré, et l'action y est trop immobile et cloisonnée. Le film est “trop poli”, trop modeste dans sa radicalité. Il préfère la retenue à l’affrontement, la suggestion à l’éclat. Cela pourrait être une posture noble, si elle n’annulait pas toute sensibilité à ce qui entoure ces corps. Or ici, même la douleur semble suspendue, diluée dans une mélancolie figée. Ce refus d’embrasser pleinement la tension tragique du retour d’Ulysse transforme le film en un objet théorique, presque desséché.

Copyright Ithaca Films / Marvelous Productions / Bleeker Street

Comme son personnage principal, The Return se refuge sans cesse dans l'ombre, dans l'antichambre de ce qu'il y a pourtant d'urgent et perceptible. Il erre, s’éloigne, se retranche dans l’attente. Ce n’est pas un film manqué, c’est un film évité. On perçoit les intentions – réfléchir aux ruines de l’héroïsme, à l’impossible retour, à l’effacement des mythes dans le quotidien – mais elles demeurent à l’état d’ébauches. Uberto Pasolini se refuse trop souvent à montrer et à ressentir. Il fuit le romanesque, le politique, le familial, pour n’en garder que des traces. Le film reste en retrait, là où pourtant tout appelle l’urgence.

On comprend le désir de faire un cinéma du silence et du déshabillement. Mais à force de rester dans les marges, ce retour finit par devenir un oubli.


Teddy Devisme