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[CRITIQUE] : Rabia


Réalisatrice : Mareike Engelhardt
Acteurs : Meghan Northam, Lubna Azabal, Natacha Krief, Klara Wöedermann,...
Distributeur : Memento Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Français, Allemand, Belge.
Durée : 1h36min

Synopsis :
Poussée par les promesses d’une nouvelle vie, Jessica, une Française de 19 ans, part pour la Syrie rejoindre Daech. Arrivée à Raqqa, elle intègre une maison de futures épouses de combattants et se retrouve vite prisonnière de Madame, la charismatique directrice qui tient les lieux d’une main de fer. Inspiré de faits réels.




Critique :



Mareike Engelhardt n'est pas là pour compter les cacahuètes avec son premier long-métrage, loin de là même.
À une heure des réseaux sociaux et de la télévision poubelle, où n'importe qui poppant de nulle part, peut prétendre à un statut d'expert sur n'importe quel sujet - et encore plus, ceux demandant un minimum de bagages -, la wannabe cinéaste a fait preuve d'un vrai travail d'investigation fouillé et pointu pendant huit ans, pour aborder avec maîtrise et au plus près de la réalité la vérité derrière les « madâfas », ses " maisons " où sont parquées, entassées les captives volontaires de l’État islamique, amenés à devenir, dans le meilleur des cas, les futures épouses (et plus tard les mères), des combattants de Daesh.

Comprendre l'incompréhensible, sonder les rouages de la radicalisation dans un mouvement à la fois personnel (un écho direct au destin de ses grands-parents, qui ont rejoint les rangs de la jeunesse hitlérienne puis de la SS, au cœur de la Seconde Guerre mondiale) et sociétal (un embrigadement qui dépasse sensiblement nos propres frontières), en jouant la carte d'une fiction férocement imprégnée par le réel, qui n'a jamais peur de la brutalité à la fois physique et psychologique qu'elle expose sans retenu.

Pas un petit pari donc, cloué aux espoirs biaisés d'une gamine à peine sortie de l'adolescence Jessica, dix-neuf ans au compteur et désireuse de quitter son existence misérable et épuisante, à tel point qu'elle voit dans la proposition de son amie Laila, de partir avec elle pour Raqqa et intégrer une maison de futures épouses de combattants où elle sera renommée Rabia (premier signe d'une perte totale de son identité), mais où elle se retrouvera très vite prisonnière sous le joug de la domination de " Madame ".

Copyright Omar Rammal/Films Grand Huit

Une maîtresse/gouvernante de cette entreprise sinistre où ses compétences administratives et sa foi dévote ont fait d’elle la seule à pouvoir l’assumer, elle qui s'efforce à maintenir ce no man's land entièrement cultivé par le patriarcat, où les jeunes femmes sont encouragées à se mépriser les unes les autres, pour mieux être totalement soumises.
Séparée de Laila à qui l'on attribue un mari, et victime de la constitution horrible de son propre mariage, Jessica/Rabia est suffisamment démoralisée pour devenir la servante de Madame (qui briguera le statut de simili-mère de substitution incroyablement glaciale), ce qui l'a placera aux premières loges de cette mécanique de tromperie des femmes pieuses, dont elle deviendra également un maillon.

Embaumé dans une photographie volontairement austère d'Agnès Godard (collaboratrice de longue date de Claire Denis), qui ne fait que surligner la zone grise morale et ambiguë dans laquelle Jessica/Rabia doit errer pour assurer sa propre survie (sacrifier - clairement - les autres à sa place), elle qui a délaissé la solitude et le manque de considération de son quotidien au cœur des affres du monde capitalisme, pour retrouver le même chaos, en plus brutal et privatif, dans les bras d'un fanatisme religieux qui va lentement mais sûrement la transformer; Rabia se fait tout autant une exploration accrue et crue de la mécanique implacable de l'endoctrinement religieux, qu'un captivant portrait de femme sur une gamine désespérée qui se (re)construit dans la perte violente de son innocence, la torture - multiple - et la haine.

Empathique et dénué de tout jugement putassier, visant jusqu'à l'épure - dans son écriture comme dans sa mise en scène - l'électro-choc pur et simple, ce cauchemar sur pellicule ne serait cependant rien sans les partitions impressionnantes et investies du tandem Meghan Northam/Lubna Azabal.
On appelle ça un sacré premier effort.


Jonathan Chevrier