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[CRITIQUE] : Miséricorde


Réalisateur : Alain Guiraudie
Acteurs : Félix Kysyl, Catherine FrotJean-Baptiste Durand, Jacques Develay,...
Distributeur : Les Films du Losange
Budget :
Genre : Comédie, Policier.
Nationalité : Français, Espagnol, Belge.
Durée : 1h43min.

Synopsis :
Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s'installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue...



Critique :



La longue route qui conduit à certains villages reculés rappelle à l’isolement que certains de leurs habitants peuvent ressentir. Ce n’est pas tant une manière d’être condescendant avec les personnes résidant en zone rurale que la constatation que certains trajets étendus renvoient à une forme de microcosme éloigné des villes, ce qui frappe directement dans le nouveau film d’Alain Guiraudie, Miséricorde. En quelques minutes, on comprend rapidement que Saint-Martial, l’endroit où part notre personnage principal pour des funérailles, est recentré sur lui-même, comme un lieu qui invite mais dont l’échappatoire est compliqué.

Copyright Les Films du Losange

Ce rapport à une répétition d’un certain cycle social semble un des sujets les plus essentiels du film, notamment dans sa construction narrative. Sans trop en dévoiler bien évidemment, on ressent la façon dont Jérémie, incarné avec un certain détachement propre au personnage par Félix Kysyl, se retrouve perpétuellement coincé. Ses itinéraires le renvoient constamment dans la forêt et chez Martine, la veuve attristée, comme un acte de balance qui se répète continuellement, tandis que la bascule du long-métrage le hante constamment. Il en devient passionnant de se laisser prendre par la façon dont la culpabilité irrigue alors le récit, et ce dans divers aspects.

Symbolisé notamment par le champignon (comme dans Quand vient l’automne, autre film partageant des similitudes thématiques à ce sujet), cette culpabilité renvoie également à la solitude émotionnelle de tous ses personnages. La zone rurale devient presque une prison des âmes solitaires, un purgatoire dont même la foi ne peut se protéger. La sécheresse de la mise en scène accentue cette sensation, ce qui peut diviser au vu de l’approche mais paraît pleinement cohérent dans ce que cela questionne en fond, notamment dans une noirceur si diffuse qu’elle peut ne frapper qu’après coup.

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En faisant de son village un tombeau à ciel ouvert pour les victimes de la solitude en quête permanente de connexion, Miséricorde subjugue, avec une aridité sombre qui sied visuellement à son propos de fond. Alain Guiraudie sait capter notre besoin d’amour, d’autant plus dans un quotidien morne et cyclique, le tout dans une approche singulière de normalité. Il n’est guère surprenant d’imaginer que le film était sur la shortlist des représentants français à l’Oscar tant l’objet cinématographique, banal d’apparence, est d’une richesse humaine aussi appuyée que sa tristesse est permanente, à l’aube d’une obscurité humaine qui tente perpétuellement de se contrôler.


Liam Debruel



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On avait laissé Alain Guiraudie en mars 2022 avec Viens je t'emmène, une tragi-comédie creusant encore un peu plus le sillon politique et furieusement contemporain de son cinéma, une oeuvre qui n'a peur de rien et encore moins de ses hypothétiques faiblesses, elle qui, volontairement tournée vers l'absurde, Alain Guiraudie, embrassait les courbes d'une fable détendue, enlevée et frivole, s'appuyant sur un sens de la responsabilité communautaire pour mieux démontrer la facilité avec laquelle nous sommes infectés par les stéréotypes et les préjugés.

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Grand hédoniste dans l'âme, le cinéaste a toujours laissé la morale populaire/conventionnelle de côté (comme les conventions narratives, après tout) pour mieux en créer une qui lui est propre, savamment vissée justement sur une rupture - voire un rejet - des conventions sexuelles mais aussi et surtout religieuses; une morale expurgée de toute conscience catholique - pas de culpabilité, ni d’expiation possibles -, mais motivée par une intense liberté de conscience, une dévotion totale au désir.

En partie inspiré de son propre roman, Rabalaïre, comédie rurale virant vers le thriller Chabrolien - voire même Lynchien, dans son ouverture Twin Peaks-esque - avec un propos, au fond, pas si éloigné d'une sorte de relecture personnelle du Théorème de Pasolini, son nouvel effort, Miséricorde, fraîchement adoubé par la dernière réunion cannoise, sonne sur un groove comique encore plus affirmé que pour Viens je t'emmène, où le désir se fait le moteur de tous les rapports, sans pour autant que le cinéaste n'embaume ses images d'une sensualité exacerbée comme par le passé, lui qui part de l'universel - un retour aux sources en apparence anodin - pour atteindre le particulier, à travers une histoire dramatico-criminelle qui n'en ait jamais vraiment une, un naufrage au coeur de terres ardéchoises silencieuses et sauvages, bouffées par la solitude, un cadre presque antithétique avec la douce comédie humaine qui s'y joue.

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Pensant la séduction et le désir comme un territoire libéré de toute entrave, opaque et insaisissable à la fois, tout en stase et en fureur, où chaque être revendique, même dans la violence la plus absolue, une pureté libératrice et sincère (un comble quand toutes les figures qui l'habitent, se réfugient dans le mensonge), au point de minimiser même l'acte d'ôter la vie à l'autre; Miséricorde, fait de pastis et de cèpes, de malices et de non-dits, est à la fois une cuvée Guiraudienne d'exception, et l'une (si ce n'est LA) plus accessible à ce jour.


Jonathan Chevrier