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[ENTRETIEN] : Entretien avec Thomas et Dimitri Lemoine (La Gardav)


Partant d’une histoire réellement arrivée à Thomas Lemoine, La Gardav est une proposition de comédie burlesque sur fond de réel qui arrive à développer sa propre personnalité. Petite discussion avec son acteur principal,également co-réalisateur du film avec son frère Dimitri, sur le miracle de tourner un premier film, le rapport du grand public à la comédie française et le talent des comédies belges, journaliste du plat pays oblige.


Nous, on a voulu montrer ce qu’on voit tous les jours en bas de chez nous, juste des jeunes de cité, de banlieue, qui veulent être heureux, réaliser leurs rêves, qu’on les laisse tranquilles et évoluer dans la société. - Thomas Lemoine


Le point de départ du film vient d’une histoire qui vous est réellement arrivée. Pourriez-vous en parler plus ?

Thomas Lemoine : Le film que les gens vont voir est exactement ce qui m’est arrivé en garde à vue. Je me suis retrouvé acteur sur un clip de rap pour dépanner un pote à moi, une connaissance, et tout ne s’est pas très bien passé. Je suis parti en garde à vue et durant celle-ci, il s’est passé des dingueries. J’ai mis 2, 3 mois à en parler à ma famille et à mon frère et quand j’ai fini par le faire…

Dimitri Lemoine : J’ai mis 2, 3 mois pour le digérer parce que c’était une expérience totalement nouvelle et traumatisante mine de rien. En sachant que ni Thomas ni moi ne nous sommes faits contrôler dans la rue par la police, ce n’était pas anodin de partir en garde à vue. Quand il me l’a raconté, j’ai été en même temps choqué et mort de rire car, avec tout ce qu’il s’est passé et ce qu’il a vécu, je lui ai dit qu’il fallait absolument en faire un film. C’était pour nous quelque chose de naturel. Le traiter sous forme de comédie burlesque, d’autant plus puisque c’est un genre qu’on apprécie beaucoup. On a grandi avec les comédies burlesques et on s’est dit qu’on devait en faire quelque chose. C’est venu tout naturellement je dirais. Thomas a écrit le scénario avec Christiane (Lemoine-Vultaggio) qui nous aide aussi, avec qui on travaille. Il y a eu une écriture pendant un certain temps et cela s’est mis en place petit à petit.

Justement, est-ce que ce n’était pas difficile de gérer cet équilibre entre la partie burlesque et ce côté dramatique qui ressort d’autant plus durant le troisième tiers du film ?

T.L. : C’était tout l’enjeu, tout le défi et là où tout le monde nous attendait car c’était quelque chose d’assez nouveau, en tout cas dans la comédie française. Le burlesque, c’était un genre quand même peu ou mal exploité, qu’on a voulu un peu dépoussiérer et moderniser. On a été fortement inspirés par Le dictateur de Charlie Chaplin, qui est un chef d’œuvre de cinéma et de l’histoire du cinéma. Quand on connaît l’histoire de ce film, tout le monde… Tout le monde s’est opposé à la production de ce film, même le frère de Charlie Chaplin lui a déconseillé de tourner ce film. Charlie Chaplin s’est enfermé dans sa bulle, il a continué, il s’est obstiné et heureusement ! Il caricature Adolf Hitler tout en posant un autre regard sur lui et en jouant un barbier juif. C’est aussi sa façon pour lui de sauver l’humanité dans laquelle il vivait. On s’est fortement inspirés de ça, on s’est dit « Si Chaplin a réussi à le faire, on peut essayer au moins de marcher dans ses traces », avec toute la modestie qu’on doit lui attribuer. On s’est dit qu’on peut rire d’un sujet difficile sans oublier le divertissement du cinéma. C’est très important : on fait du cinéma pour avant tout divertir les gens. On a évité de tomber dans les pièges de la politisation, de la moralisation ou du donneur de leçons. On est là pour divertir les gens sur un aspect social de la vie de tous les jours qu’est la garde à vue.

Copyright Wayna Pitch

Vous dites chercher à éviter la politisation mais ce rapport au sujet policier ressort fortement dans l’actualité…

D.L. : Justement, on a voulu éviter de tomber dans le cliché ou la caricature. On a essayé d’avoir des acteurs et un ensemble de personnages homogènes sans tomber dans ces travers-là, sans politiser le sujet, en restant neutre. On a des personnages pour lesquels on ne s’attend pas, comme les jeunes du film de cité. Je pense qu’avec tous les films qu’on a l’habitude de voir, on s’attend à ce qu’ils soient…

T.L. : Clichés, assez bêtes. Certains aiment montrer les jeunes de banlieue avec un QI proche de zéro, qui sont là uniquement pour vendre de la drogue…

D.L. : agresser la police,…

T.L. : juste être dans la haine. Nous, on a voulu montrer ce qu’on voit tous les jours en bas de chez nous, juste des jeunes de cité, de banlieue, qui veulent être heureux, réaliser leurs rêves, qu’on les laisse tranquilles et évoluer dans la société. C’est pareil pour les policiers. On a travaillé avec des acteurs extraordinaires, des gens reconnus comme Benjamin Baffie, Meledeen Yacoubi, Lionnel Astier, Pierre Lottin et j’en passe, qui ont cette force, cette intelligence de sauver les personnages qu’ils jouent. Le côté burlesque permet aussi de sauver tous les personnages. C’est comme ça que l’on évite d’attaquer les uns et les autres et d’aborder le thème de la garde à vue avec bienveillance et de rire tous ensemble plutôt que de diviser. On est là pour divertir, se moquer gentiment des uns et des autres avec leur accord.

Vous n’êtes pas les premiers frères à travailler en duo comme réalisateurs, à l’instar des frères Dardenne. Comment décririez-vous votre manière de travail sur le plateau ?

D.L. : On est très complémentaires. Thomas, c’est vraiment le côté artistique. Il a sa façon de penser qui est très artistique et on se rejoint totalement là-dessus. Moi, c’est plutôt le côté pragmatique, direct, très je dirais « technique et business ». Mais on a la même vision des choses, on n’a pas besoin de faire de longs monologues pour parler d’une idée qu’on a l’un ou l’autre, on pense toujours la même chose donc c’est assez inné, naturel. Je dirais, comme vous dites, qu’il y a tellement de modèles de frères qui coréalisent ensemble ou qui produisent que c’est tout naturel pour nous de partir dans la coréalisation, la production ou même nous mettre en scène, c’est quelque chose qu’on apprécie beaucoup. On a aussi cette facilité de se parler très directement donc il faut l’accepter, le supporter mais il n’y a pas de faux semblants et c’est un plaisir au final de travailler entre frères.

T.L. : Surtout que moi, en tant que rôle principal, j’avais besoin d’un regard extérieur et d’une confiance absolue dans le regard de mon frère et de la productrice Christiane (Lemoine-Vultaggio), qui est aussi notre mère. Ce sont des personnes qui font fi de tout préjugé, qui sont impitoyables principalement avec moi parce qu’ils préfèrent l’être tout de suite sur le plateau que d’autres le soient au visionnage du film. J’ai une confiance absolue car on est trois cerveaux, ça fonctionne parfaitement. On a une cohésion, ce qui a séduit l’ensemble de l’équipe technique et les acteurs qui n’avaient pas l’habitude de travailler avec ce mode de fonctionnement qui est fédérateur et familial. On a instauré un climat de travail qui était sain et serein, c’était très important. C’était le travail aussi de Christiane, la coproductrice et coscénariste, car on a travaillé avec une équipe technique à 90% féminine. Elle a instauré directement un climat de confiance et de sérénité pour que les techniciennes se sentent à l’aise, valorisées auprès des acteurs et sur les lieux de tournage. Ça a séduit tout le monde. Les duos entre frères, vous avez cité les frères Dardenne, on aime beaucoup les frères Coen. Charlie Chaplin a travaillé avec son frère qui était également coproducteur. L’histoire du cinéma nous montre que c’est une grande famille, que les gens travaillent ensemble et qu’on a des pépites quand ça se passe bien. On essaie modestement de marcher dans les traces de ces gens-là. Je dois citer aussi les Marx Brothers, avec leur mère Minnie qui était leur agent. Ils étaient 5 frères et leur père s’occupait de la nourriture et des costumes. Nous, on a grandi avec l’histoire des Marx Brothers et on est touchés quand on travaille sur un film comme La Gardav qu’on ait pensé à eux.


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C’est intéressant cet aspect familial car il y a souvent cette inquiétude du premier film. Est-ce qu’il y a quand même eu des confrontations obligatoires durant le processus de création ?

T.L. : ça effraie qu’on travaille en famille…

D.L. : Mais en même temps, on a un mode de fonctionnement qui est très ouvert. On parle beaucoup avec nos acteurs et actrices, mais aussi les techniciens et techniciennes. On a évidemment notre idée de base au départ mais on est très ouverts à la discussion, au dialogue et aux nouvelles propositions car on ne peut pas penser à tout. C’est là que je pense que c’est intéressant et bien perçu car le dialogue est naturel avec toute l’équipe donc on a une facilité de travail tous ensemble. Il y a vraiment une atmosphère qui est saine.

T.L. : ça rassure beaucoup mais pour un premier long-métrage, quand on travaille entre frères, ça effraie tout le monde. Vous n’avez jamais fait de long-métrage auparavant donc les financiers, les chaînes, les distributeurs, tout le monde a peur. Il faut se retrousser les manches pour montrer de quoi on est capables et quand on a fini ce premier long, tout se passe bien. Les gens ont vu la capacité de travail, le talent que vous avez ou pas, et c’est fait. Le plus dur, que ce soit en travaillant en famille ou pas, c’est de faire le premier long-métrage.

D.L. : Chaque film est un miracle.

T.L. : Ils le disent aux États-Unis. Même les studios, quand ils donnent le greenlight, même si c’est un blockbuster, ils disent que c’est un miracle quand un film arrive en salle. C’est toujours un miracle quand un film arrive au bout.

D.L. : Surtout quand on connaît les difficultés à chaque étape de la production et post-production. Le moindre grain de sable peut tout faire arrêter. Il y a les aléas, les imprévus. Il y a maints exemples qui nous l’ont montré.

T.L. : Beaucoup de films n’arrivent pas à terme et ne sortent pas. Beaucoup de premiers longs-métrages mettent 4, 5 ans à sortir ou ne sortent même pas, ce qui est très dur.

D.L. : On est évidemment bien contents de pouvoir sortir ce premier long et on a hâte de le faire découvrir au public !

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Il y a d’ailleurs un public qui généralise souvent la comédie française avec une image négative. Comment vous confrontez-vous à cette perception ?

T.L. : On y a pensé dès l’écriture du scénario ! Les comédies françaises souffrent de ce genre d’attaques, ce qui est paradoxal car les comédies belges non ! Elles sont extraordinairement bien écrites, avec des comédiens, des techniciens et des réalisateurs excellents. Je pense que, depuis des années, on n’a pas fait mieux que Dikkenek, qui a explosé le plafond de verre.

D.L. : C’est aussi une inspiration pour nous. Dès l’initiative de La Gardav, on a vraiment pensé à ce film car on l’adore.

T.L. : Paradoxalement, il n’a pas marché au box-office et a eu du mal à sortir. C’est devenu un film culte sur le long terme mais il a souffert de cette image de comédie belge ou franco-belge un peu décalée. Nous, on est partis déjà sur l’idée de travailler l’image de façon différente. On a travaillé avec une chef op (Garance Sanders) à qui on a expliqué ce qu’on voulait à l’image. On a tourné notre film en anamorphique, ce qui est quelque chose rarement vu dans les comédies françaises. On a travaillé l’image, la colorimétrie et l’étalonnage de façon genrée, avec un côté très américain. On a pris beaucoup de risques avec Dimitri dans les plans. Ce que les gens reprochent beaucoup aux comédies françaises, c’est plan moyen, plan moyen, champs contrechamps puis plan moyen. C’est surexposé niveau lumière, c’est très blanc. Nous, on est partis à l’opposé de tout ça. On a pris des risques dans le choix des plans, dans la réalisation, dans la photographie, dans la lumière, dans le rythme, dans le choix de la comédie car on est partis dans de la comédie burlesque et pas de la simple comédie ou un film à sketch. On a essayé de faire le cinéma que nous aimons, que nous aurions voulu voir et, comme Dimitri le dit très souvent, quelque chose de différent pour les spectateurs parce qu’on a un profond respect des spectateurs. Les gens vont payer entre 4€ et 15€ une place de cinéma, on doit leur proposer un divertissement, quelque chose de nouveau. On est de nouveaux réalisateurs, de nouveaux acteurs, on doit les surprendre. Si on fait du déjà vu et du réchauffé avec les mêmes blagues, on va se tirer une balle dans le pied. Donc on a pris des risques. Ça va payer ou pas mais on a pris le risque de surprendre les gens car s’il n’y a pas de spectateurs, il n’y a plus de cinéma. On doit écouter les retours sur les réseaux sociaux et les prendre en compte. Depuis 15 ans, on voit avec les chiffres du box-office que le cinéma est en berne, les gens ne vont plus au cinéma car ils voient les mêmes têtes et les mêmes histoires, la même façon de filmer. On aime les spectateurs donc on cherche à offrir quelque chose de différent, sans attaquer ce qui se fait habituellement. Il faut un peu de tout.

D.L. : On arrive avec une nouvelle proposition qui nous est propre au final. Il y a la difficulté qu’on disait juste avant de tourner un premier long-métrage et on ne s’est pas facilité les choses en proposant quelque chose de nouveau ou différent par ce choix esthétique mais on aime bien cette complémentarité européenne et anglo-saxonne. C’est pour cela qu’on a fait ce choix d’optique, d’étalonnage.

T.L. : Nos influences, c’est Supergrave, Burn after Reading, les films des frères Coen, La haine, Dikkenek, du Chaplin, du Buster Keaton, …

D.L. : C’est très varié…

T.L. : Mais c’est notre univers !

 

Propos recueillis par Liam Debruel

Merci à Thomas Gallon de l’agence Valeur Absolue pour cet entretien.

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