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[CRITIQUE] : Tár

Réalisateur : Todd Field
Avec : Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Sophie Kauer, …
Distributeur : Universal Pictures International France
Genre : Drame
Nationalité : Américain
Durée : 2h38min

Synopsis :
Lydia Tár, cheffe avant-gardiste d’un grand orchestre symphonique allemand, est au sommet de son art et de sa carrière. Le lancement de son livre approche et elle prépare un concerto très attendu de la célèbre Symphonie n° 5 de Gustav Mahler. Mais, en l’espace de quelques semaines, sa vie va se désagréger d’une façon singulièrement actuelle. En émerge un examen virulent des mécanismes du pouvoir, de leur impact et de leur persistance dans notre société.


Critique :


Lydia Tár a tout gagné dans le jeu de la vie. Une carrière brillantissime dans le monde de la musique. Un couple solide. De l’argent à foison. Cette cheffe d’orchestre a travaillé d’arrache-pieds pour pouvoir monter les échelons semés d’embûches dans cet univers si masculin. Lydia, femme et lesbienne de surcroît, a de quoi attiré la jalousie de ses collègues les plus misogynes. Peu lui importe. Elle ne pense qu’à son prochain concert, où elle reprendra la cinquième symphonie de Mahler avec l’orchestre symphonique de Berlin, qu’elle dirige.

Le nouveau film de Todd Field seize ans après Little Children, intitulé sobrement Tár, donne une occasion à son interprète principal Cate Blanchett de briller. Repartie de Venise avec le prix d’interprétation, il est possible que ce prix en appelle d’autres durant la saison des cérémonies américaines. Car l’actrice prend toute la place dans le film. Elle irradie l’image de son calme froid, de son air distingué, de ses gestes précis afin de guider ses musiciens vers la perfection. Cate Blanchett est le film et son personnage, Lydia, est l’unique action. Ce penchant pour la lumière lui a permis de faire carrière mais à son apogée, ce qui se cachait derrière la lumière, l’ombre menaçante, refait surface et grignote tout ce qu’à construit le personnage à mesure qu’avance le récit.

© 2022 Focus Features, LLC


Tár débute par du voyeurisme. Alors qu’elle dort dans un avion, en fond, un portable au premier nous donne à voir une conversation qui la concerne. “Elle a une conscience ?” demande une des petites bulles de sms, d’un ton moqueur. Le spectateur serait enclin à prendre sa défense. Parce qu’on la dirait victime d’une injustice. Parce qu’on ne sait rien d’elle. La suite nous la présente sous une forme hagiographique tandis qu’elle donne une masterclass à New York. Les réponses aux questions sont parfaites : un peu hautaine, un peu modeste, un peu féministe également alors qu’elle donne les rares noms de femmes ayant, comme elle, diriger un orchestre. Cet incipit nous conforte dans notre idée : Lydia Tár mérite sa place au soleil comme n’importe quelle autre personne. Il a fallu une carrière exemplaire pour qu’elle puisse suivre les pas d’autres hommes moins talentueux qu’elle. En somme, un tracé classique d’une femme ambitieuse. On lui pardonne alors ses airs supérieurs, sa richesse démonstrative. Elle a bien le droit de profiter des privilèges qu’on lui octroie à contre-cœur.

Mais Tár n’a pas vocation de célébrer la réussite de Lydia. Todd Field, insidieusement, nous a menés en bateau. Quand elle rentre chez elle, à Berlin, pour achever son travail autour de Mahler, c’est une tout autre femme que nous découvrons. Une femme qui a des choses à cacher. Déjà, une brève scène à New York jetait une ombre au tableau. Pendant un cours exceptionnel qu’elle donne au sein de l'école Julliard, elle invective agressivement un étudiant qui ne veut pas étudier Bach à cause de la misogynie du compositeur. Mais c’est à Berlin que la bulle éclate. Une de ses anciennes étudiantes se suicide et petit à petit le film nous annonce que Lydia ne serait pas étrangère à cette décision. Qu’elle serait même la principale raison.

© 2022 Focus Features, LLC

Parce que Lydia Tár, cheffe d'orchestre avant-gardiste, celle qui a détruit tous les plafonds de verre, est une agresseuse. Elle se sert de son pouvoir pour broyer ses jeunes étudiantes, pour obtenir des faveurs sexuelles avant de les jeter, jusqu’à même faire en sorte qu’elles ne puissent plus trouver un orchestre où travailler. Tár décortique les systèmes de domination et nous offre une plongée acide dans le monde des intouchables. La mise en scène, tout d’abord austère, s'accélère dans un même mouvement que les cauchemars de Lydia. Hantée par l’histoire et par son obsession pour Mahler, le personnage perd pied et le récit perd sa linéarité.

Todd Field refuse l’étiquette de “film #MeToo”, pourtant Tár vient mettre une pierre à l’édifice au mouvement #MeTooLesbien, encore trop dans l’ombre. Cinq ans après les débuts du mouvement #MeToo, il est difficile de faire entendre les paroles de lesbiennes qui témoignent de violences sexuelles faites aux femmes par des femmes. Cette représentation dérange. La cheffe d’orchestre Marin Alsop ne s’est pas faite prier pour donner son avis sur la question, étant aussi lesbienne : « Avoir l'opportunité de faire le portrait d'une femme dans ce rôle et la transformer en agresseur, cela m'a brisé le cœur. Je pense que toutes les femmes et toutes les féministes devraient être gênées par ce genre de représentation. » Cette offense est légitime parce que le film, dans cet univers de thriller, nous donne la sensation que ce que fait Lydia est inévitable dans sa position. Que le pouvoir appelle à la violence (psychologique, sexiste et/ou sexuelle). Qu’on ne peut rien y faire. En cela, regarder Tár est impossible sans ressentir du dégoût. Mais il serait hypocrite de nier que le film de Todd Field touche juste. Cinq ans après #MeToo, le constat est sans appel : tant qu’il y aura du pouvoir (et de l’argent), il y a aura des prédateurs. Et aussi des prédatrices.


Laura Enjolvy


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