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[CRITIQUE] : Glass Onion : Une Histoire à couteaux tirés


Réalisateur : Rian Johnson
Acteurs : Daniel Craig, Edward Norton, Janelle Monáe, Dave Bautista, Leslie Odom Jr., Kathryn Hahn, Kate Hudson, Jessica Henwick, Madelyn Cline, Ethan Hawke,...
Distributeur : Netflix France
Budget : 40M$
Genre : Policier, Comédie.
Nationalité : Américain
Durée : 2h19min

Synopsis :
Direction la Grèce pour le célèbre détective Benoit Blanc, qui doit élucider un mystère entourant un milliardaire de la technologie et son groupe d'amis hauts en couleur.



Critique :


Sans péter dans la soie de l'originalité, À Couteaux Tirés premier du nom, porté par l'amour inconditionnel de Rian Johnson pour le whodunit et une intrigue certes ludique mais ayant un peu trop la propension à pointer son esprit " petit malin ", faisait savoureusement bien le café avec son esthétique soignée (de ses costumes - le chandail torsadé de Chris Evans - à son manoir grinçant de la Nouvelle-Angleterre, en passant  par sa pimpante cinématographie) et son casting quatre étoiles dominé par un Daniel Craig férocement enthousiaste à l'idée de laisser son costume de 007 au placard, pour endosser celui du meilleur détective du monde - entre le Poirot d'Agatha Christie et le Clouseau de Peter Sellers.
Impossible dès lors de ne pas attendre avec un brin d'impatience sa suite, passée entre-temps (tout comme un troisième opus déjà annoncé) sous le pavillon plus généreusement friqué de Netflix, et qui explore une fois de plus les jeux d'esprit et les meurtres les plus grossiers parmi les plus privilégiés de notre société contemporaine.

Copyright Netflix

Mais ne nous y trompons pas, loin d'un pâle remake où d'une redite facile, Glass Onion : Une Histoire À Couteaux Tirés joue la carte du Bigger and Better en étant encore plus intelligente et extravertie que son aîné, n'ayant jamais peur de flirter avec une bêtise effrontée et - volontairement - caricaturale tout en étant pleinement consciente des enjeux actuels - coucou Covid-19.
Là où Knives Out sondait la prétention - souvent - irritante de la richesse héritée, Glass Onion se fait presque une pure comédie enrobée dans une satire affûtée et désopilante, qui se moque de notre monde actuelle fait de milliardaires technologiques, d'influenceurs stupides et de politiciens visant plus la popularité que la compétence; le tout avec une fois de plus un Benoit Blanc toujours aussi prompt à dépouiller les illusions de ces " élites " avec une courtoisie comique.
L'histoire suit celle du simili-Elon Musk Miles Bron (Edward Norton), qui a fait une fortune inimaginable grâce à une plate-forme technologique - dont on ne sait pas grand-chose - nommée Alpha, et qui invite un groupe hétéroclite d'amis (qu'il surnomme " les perturbateurs ") sur son île grecque privée pour leur réunion annuelle : une politicienne libérale stressée (Kathryn Hahn), un génie scientifique qui travaille pour lui (Leslie Odom Jr.), un streamer grossier de Twitch (Dave Bautista) où encore un ancien mannequin aérien (Kate Hudson) dont la ligne de pantalons de survêtement fantaisie est en plein essor suite à la pandémie.

Copyright Netflix

Tout le monde est surpris cependant autant à l'arrivée d'Andi Brand (Janelle Monáe), qui a construit Alpha avec Miles avant qu'elle ne soit impitoyablement exclu de l'entreprise, mais aussi et surtout de celle de Benoit Blanc - Blanc compris.
Mais Bron a prévu une murder party où il serait la «victime», donc la présence sur place du plus grand détective du monde colle parfaitement au thème.
Si en révéler davantage interférerait méchamment avec le mécanisme complexe d'horlogerie suisse qu'incarne l'écriture de Johnson, il n'est pas détonnant d'affirmer que quelqu'un finit réellement par mourir et qu'une autre a un intérêt certain à s'assurer qu'il y ait un détective célèbre sur place...
Mais à la différence du premier film, l'admiration profonde pour les mystères classiques et le sens du jeu des faux-semblants d'Agatha Christie ne suffit plus au cinéaste, tant celui-ci y distille ici aussi bien un discours méta sur le genre qu'un esprit théâtral où tout le monde n'est pas tant suspect d'un meurtre que de nombreux secrets et mensonges qui se doivent d'être percés à jour.
Et si le meurtrier n'avait pas commis le meurtre ? Et si la victime n'était pas la cible ?
Plutôt que de lever le rideau sur son artifice lors du dernier acte, le cinéaste prend le pari dingue de renverser les codes du whodunit et de bousculer son mystère à mi-parcours, retournant/rembobinant son intrigue pour mieux la rejouer et la présenter sous un jour nouveau et une nouvelle perspective.

Copyright Netflix

Structurellement, cette torsion est un véritable tour de force qui bonifie un puzzle (très) riche en revondissements dont toutes les pièces, même les plus prévisibles, s'emboîtent à la perfection, même si le revers de la médaille impose que si certains personnages sont subtilement approfondis, d'autres sont sensiblement laissés sur le carreau - comme pour le Knives Out -, tandis que sa révélation finale perd de facto, de son impact (mais rien de son aspect jubilatoire).
Mais cette fois, Johnson n'est pas tant intéressé à dévoiler son meurtrier qu'à faire éclater tous les travers de la société contemporaine.
Si Knives Out égratignait l'ère Trump et sa définition de l'Amérique autant que la haute bourgeoisie totalement déconnectée, Glass Onion dézingue à coups de caricatures vulgaires mais jouissives, les fantasmes utopiques et dangereux des grosses têtes de la Big Tech, l'hypocrisie de la politique libérale, la stupidité des influenceurs mais aussi et surtout les ravages d'une lutte des classes de plus en plus devastatrices...
Pur whodunit flashy et intelligent autant que satire acérée, Glass Onion : Une Histoire À Couteaux Tirés surclasse son aîné et démontre que Rian Johnson, loin de se laisser aller à la redite, à toujours autant de choses fascinantes à dire sur le polar.


Jonathan Chevrier