[COEURS D♡ARTICHAUTS] : #9. Twilight
#9. Twilight Capitre 1 : Fascination de Catherine Hardwick (2009)
Il était difficile de passer, à la fin des années 2000, à côté de la tornade Twilight. Les livres de Stephenie Meyer ont donné suite à une série de films, transformant des acteurs relativement discrets (Robert Pattinson, Kristen Stewart) en superstars adulées par toutes les adolescentes. Le matériau d’origine est d’une qualité contestable : le style d’écriture de l’autrice n’est pas extraordinaire (bien que certains attribuent cela à une mauvaise traduction) et l’histoire de prime abord sympathique bascule dans le ridicule avec ses suites. Les films Twilight ont, quant à eux, fait couler beaucoup d’encre sur les Skyblog, à base de potins people et montages photo approximatifs, mais ne sont cependant pas à appréhender comme une seule et même entité. Nous évoquerons ici le premier chapitre, Fascination, sorti dans les salles françaises en janvier 2009. Lorsque la réalisatrice Catherine Hardwicke est embauchée sur le projet, il s’agit d’un petit script, rédigé par Melissa Rosenberg, passé de main en main et rejeté plusieurs fois. Hardwicke a ainsi expliqué, en interview, avoir « repris en main » le scénario pour se consacrer à cette touchante romance adolescente.
On découvrait donc dans Twilight Bella, une adolescente de 17 ans, qui venait habiter chez son père dans la petite ville de Forks, elle-même située dans l’État humide et boisé de Washington. De manière plutôt maladroite et réservée, Bella n’était pas mal accueillie par les élèves de son lycée. Pourtant, il n’y en avait qu’un seul qui retenait son attention : le très mystérieux Edward Cullen. De fil en aiguille, Bella se rapprochait de ce drôle de garçon, jusqu’à comprendre qu’il n’était pas tout à fait humain. Edward est en effet un vampire mais, comme toute sa famille, il a fait le pacte de ne plus boire la moindre goutte de sang humain. Bella s’engage alors corps et âme dans une relation désespérée avec Edward.
En bonne histoire d’amour, Twilight était d’abord et avant tout le couple Edward – Bella, respectivement interprétés par Robert Pattinson et Kristen Stewart. Le premier était alors connu pour son rôle de Cédric Diggory dans le quatrième Harry Potter, la seconde pour sa performance, à 11 ans, dans Panic Room de David Fincher. Les deux avaient pourtant une belle petite carrière à côté mais celle-ci était restée relativement confidentielle. Robert Pattinson campait un Edward Cullen tout en sobriété, un vieil adolescent amoureux dont l’image relevait très fortement du fantasme de l’homme « sensible-torturé ». Kristen Stewart, alors âgée de seulement 18 ans, était une Bella bien plus hésitante, souvent dans le surjeu, mais touchante dans ses doutes. Son personnage avait de longs cheveux ondulés, coiffés avec un serre-tête, pour devenir une sorte de modèle gothique moderne pour adolescentes en quête d’une princesse des temps modernes.
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Tout le reste dépendait, comme le voulait l’histoire, de son point de vue – sans être étouffante, sa voix-off l’atteste à quelques reprises dans le film. Edward n’était alors plus qu’un fantasme lisse et brillant, une fantaisie de Stephenie Meyer qui faisait scintiller ses vampires au soleil. La naïveté de ces séquences n’avait rien de préjudiciable, au contraire. On assistait à une création innocente, mignonne, peut-être trop naïve toujours issue du point de vue de la jeune Bella, fascinée par cette merveilleuse créature en face d’elle. Catherine Hardwicke apportait tout le soin possible pour traiter, dans un merveilleux premier degré, les idées du roman original. La scène du baseball, une des séquences favorites des fans de la saga, était par ailleurs une agglutination de fétiches : les moindres mouvements des personnages devenaient fascinants, des gestes ultra élégants d’Alice Cullen à la légendaire vitesse d’Edward. On ne peut reprocher à Twilight de mal embrasser le point de vue de Bella car le film entier était l’œuvre de son esprit.
Twilight s’adressait à ces adolescentes des années 2000, pour qui l’amour était une chose fusionnelle et pour qui l’être aimé était l’objet de tous les sacrifices. Ces notions, déjà naïvement présentes dans les livres de Stephenie Meyer, était alors sublimées par la mise en scène de Catherine Hardwicke. Les couples formés au sein de la (fausse) famille Cullen étaient systématiquement représentés à l’écran et l’humaine Bella devenait le centre du monde du vampire Edward, malgré le caractère maudit de cette relation. Il y avait, dans l’œuvre, une image particulièrement équivoque : celle de Bella, abritée de la pluie sous quelques feuilles d’arbre, tandis que l’eau tombait sur le visage froid d’Edward. Le tout était présenté par une caméra aux mouvements à la fois doux et hésitants, symbole constant de l’amour éprouvée par la jeune Bella. Il y a, dans chaque échelle et chaque composition de plans, une pudeur constante, malgré une sexualité sous-jacente. C’est une timidité propre à celles des adolescentes qui souhaitent évoquer le sujet.
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Twilight était, en somme, la représentation cinématographique du cœur d’une adolescente. Il faut rappeler que, bien avant ce premier opus (œuvre d’une autrice mormone, une religion globalement considérée comme très puritaine), Catherine Hardwicke avait réalisé Thirteen, un drame mettant en scène la crise d’une adolescente de 13 ans, se livrant à des comportements autodestructeurs. Twilight a fait figure du complément de Thirteen. Les personnages se dévoilaient dans des comportements davantage appropriés pour leur âge, la sexualité était aussi réservée qu’elle fut, dans le premier film, exacerbée, et les sentiments faisait office de conte fleur bleue, là où ils étaient déchirants dans la première œuvre. Le radical Thirteen s’opposait aussi formellement au bien plus conventionnel Twilight, malgré leur différence de registre. Le montage du premier était aussi agressif que celui du second se voulait délicat, les prises de vues en mouvements sans cesse violents étaient remplacées par des plans à la composition soignée… Catherine Hardwicke s’était ainsi imposée comme une réalisatrice de l’adolescence qui avait plus d’un tour dans son sac lorsqu’il s’agissait d’aborder le sujet.
N'en déplaise à certains, Twilight restait un film dit « de vampire(s) ». Le fantasme du monstre se découvrait progressivement, d’abord à partir d’une recherche sur internet, comme le font souvent les ados, puis d’une légende des natifs américains. Ajoutons à cela la région brumeuse de l’État de Washington, décor enrobant à merveille l’intrigue. Catherine Hardwicke avait eu la présence d’esprit de rappeler, dans ses moindres cadres, l’omniprésence de la nature qui devenait mystérieuse, comme les décors d’un film horrifique gothique. Car, si on a accusé par la suite Twilight d’avoir dénaturé le mythe du vampire, le premier film mettait en œuvre tout ce qu’il pouvait pour le moderniser sans jamais se départir de ses intentions premières. On repense notamment à cette passation entre une recherche Google et un livre de légendes. La sexualité était bien présente – on retient la scène pendant laquelle Bella commence à se laisser aller avec Edward mais, étouffée par l’impossibilité de la relation humain/vampire, l’attirance sexuelle qu’elle ressent pour lui n’en est que plus exacerbée. La dernière scène représentait Edward prêt à mordre le cou de Bella, pour remplacer finalement cet acte par un baiser, symbole d’un amour pur (une des thématiques des histoires de vampires depuis le Dracula de Bram Stoker).
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Enfin, il serait dommage de parler de Twilight sans en aborder sa playlist, encore là issue du mp3 ou de l’iPod d’une lycéenne de bon goût. Elle contribuait, avec ses rythmes envoûtants, parfois folk (Iron and Wine, Flightless Bird, American Mouth), parfois plus électriques (Muse, Supermassive Black Hole), à rendre l’ambiance toujours un peu plus forte. Il est ensuite devenu difficile de dissocier un de ces excellents titres de la forêt foisonnante de Forks.
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Il serait de mauvaise foi de prétendre
que les suites furent à la hauteur de ce premier film. Les œuvres sont
devenues, au fur et à mesure, de purs produits de consommation pour adolescentes
considérées comme peu exigeantes, qui préféraient rire du torse nu du personnage
de Jacob. Le côté dramatique s’est dilué au fur et à mesure, également à cause
de Stephenie Meyer qui n’était visiblement pas la personne la mieux placée pour
exiger une adaptation réussie de ses écrits. Les scénarios de Melissa Rosenberg
ont laissé paraître toutes leurs faiblesses et les autres réalisations étaient
de purs automatismes, sans aucune inventivité ou tentative d’explorer encore un
peu la douleur que peuvent ressentir les adolescent.e.s amoureux.ses.
Bien que devenu culte, Twilight chapitre 1 : fascination ne parvient pas à avoir bonne réputation et c’est là bien dommage comme tout était mis en œuvre pour en faire un teen-movie délicat. Il serait peut-être temps de reconsidérer, en 2020, le soin apporté au film pour accepter sa jolie vision des sentiments d’une adolescente.
Manon Franken