[CRITIQUE] : Loup & Chien
Réalisatrice : Cláudia Varejão
Avec : Ana Cabral, Ruben Pimenta, Cristiana Branquinho, …
Distributeur : Epicentre Films
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Portugais, Français
Durée : 1h51min
Synopsis :
Née sur une île marquée par la religion et les traditions, Ana embarque pour un voyage libérant de nouveaux désirs alors qu’elle rencontre la rayonnante Cloé et se lie d’amitié avec la communauté queer locale.
Critique :
Rythmé par des séquences où la caméra suit différents persos,#LoupEtChien esquisse des portraits plus qu’il conte une histoire, Varejão s’intéressant aux interactions des générations et comment elles tissent un large portrait de la communauté de l’île São Miguel. (@CookieTime_LE) pic.twitter.com/RcSxoS7CWH
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 10, 2023
Après trois longs-métrages documentaires, Cláudia Varejão s’attaque à la fiction dans Loup & Chien, en salle le 12 avril. Nous avions découvert la réalisatrice portugaise avec Amor Fati lors du Festival de Rotterdam de 2021, dans lequel elle interrogeait notre rapport aux autres par le biais de la ressemblance et de la gémellité. Dans ce nouveau film, elle garde une approche documentaire en filmant le fossé entre deux générations au cœur de l’île São Miguel.
Comme souvent dans les récits insulaires, le noyau du film s’enroule autour d’une volonté de partir. Ana, personnage principal du film, fait partie intégrante de la communauté de l’île. Elle y travaille, y suit ses cours, la parcourt avec sa mobylette. La mer toujours en ligne de mire du cadre et les teintes bleutées de la colorimétrie accompagnent Ana dans son quotidien comme pour lui rappeler qu’il n’existe qu’un seul échappatoire. Dans sa famille de sang, c’est exiguë, étouffant de responsabilité. Dans sa famille de cœur, composée de son ami Luis et de la communauté queer de l’île, l’ambiance respire la liberté, la joie et les paillettes. Deux mondes obligés de cohabiter dans la vie du personnage et dans la vie de l’île en générale.
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L’âme documentariste de la réalisatrice refait surface dans la construction du récit. Rythmé par des séquences où la caméra suit différents personnages, Loup & Chien esquisse des portraits plus qu’il raconte une histoire. Cláudia Varejão s’intéresse aux interactions des générations et comment elles tissent un large portrait de la communauté. Une narration découle de ces scènes juxtaposées et met en place le contexte local et religieux de l’île. Portée par des traditions ancestrales, São Miguel érige des barrières entre les habitants. Des barrières genrées principalement où l’on attend des hommes de la virilité et des femmes de l’abnégation. Ana et ses ami⋅es offrent un contrepoint à ces exemples de sacrifice. Cette jeunesse n’est pourtant pas dans la confrontation des traditions, cependant elle demande une remise en question de la vision binaire des pratiques religieuses. Le film montre la cohabitation des croyances bien que les regards critiques envers cette liberté du corps et de l’esprit ont la vie dure. La violence est institutionnelle en premier lieu avant d’être physique. Mais dans une séquence puissante — après que le prêtre ait obligé Luis a se raser les cheveux — Luis, Ana et tou⋅tes leurs ami⋅es, s’avancent face caméra et nous regardent, fi⋅ères. S’accepter entièrement comme acte de rébellion. Définir ses propres définitions du genre comme découverte de l’autodétermination.
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On peut reprocher à Loup & Chien de se perdre parmi les chemins que le film traverse grâce aux nombreux personnages. La dichotomie des communautés offre l’histoire principale mais d’autres récits se tissent autour. Une romance adolescente, entre Ana et Cloé, où la réalisatrice aborde le désir et le corps. Aussi une peinture sociale de l’île, avec le commerce clandestin, un récit apporté par le frère de Ana que Cláudia Varejão traite comme toile de fond sans jamais l’aborder frontalement. Malgré tout, la métaphore de son titre finit par nous frapper et offrir le sens global du film. Loup & Chien, comme les masques que portent Ana et Luis pendant un cours à l’école fait aussi référence à l’expression “entre chien et loup”, qui exprime le moment de la journée où le jour et la nuit cohabitent ensemble, avant que le jour s’éteigne et que la nuit prenne la relève.
Laura Enjolvy