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[CRITIQUE] : To kill the beast


Réalisatrice : Agustina San Martín
Avec : Tamara Rocca, Ana Brun, João Miguel, Julieth Micolta, …
Distributeur : Jour2fête
Budget : -
Genre : Drame, Thriller, Fantastique
Nationalité : Brésilien, Argentin, Chilien
Durée : 1h19min

Synopsis :
A la frontière de l’Argentine et du Brésil, Emilia, 17 ans, recherche ardemment son frère disparu. Son périple la mène dans l’hôtel de sa tante au coeur de la jungle tropicale, hanté par une bête monstrueuse, qui, selon les mythes et croyances locales, serait l’incarnation protéiforme d’un esprit diabolique. Entre réalité et mythe, culpabilité et éveil de sa sexualité, Emilia va devoir affronter son passé.


Critique :


« Ici, la frontière n’est rien d’autre qu’une ligne sur une carte » apprend-on à Emilia dans le premier long métrage de l’argentine Agustina San Martín To kill the beast (Matar a la bestia pour son titre original). Arrivée il y a peu dans un petit village entre le Brésil et l’Argentine, la jeune femme arpente ce lieu presque irréel à la recherche de son frère Mateo. La frontière géographique n’existe peut-être pas aux yeux des autochtones mais ce territoire devient un enjeu crucial le jour où une bête se met à rôder dans la forêt des alentours. La dangerosité mystique du lieu et son côté onirique font de ce film une œuvre gothique fascinante.

Gothique car la réalisatrice donne une place prépondérante à son décor, une maison à l’orée du bois entourée de brume. Emilia vient de perdre sa mère et rend visite à sa tante qui tient une maison d’hôte. Le personnage n’a d’abord pas de corps, seulement une voix tandis que le film s’ouvre sur un plan de lune. La voix-off nous apprend des informations cruciales : la mère n’est plus là et Emilia parle à un frère absent sur un répondeur. Le choix de ce plan fixe place le personnage au cœur d’une atmosphère onirique. Son corps n’est pas encore arrivé à destination mais son esprit fait déjà corps avec le lieu, comme si Emilia appartenait à ce territoire. Elle y appose sa voix et sa volonté d’être de nouveau liée à ce frère disparu. Agustina San Martín ne nous laisse pourtant pas imaginer où pourrait bien se cacher Mateo. Des plans d’une maison abandonnée dont la voix du répondeur hante le lieu transforme la quête du personnage en une quête vaine. Emilia ne le retrouvera pas.

Copyright Jour2fête

Elle erre donc au sein du village, comme un fantôme, dans le but de renouer avec son passé. Mais le territoire lui est hostile. Elle devient une proie pour le regard des hommes, un regard érotique sur son corps. Un regard qui installe un malaise quand elle demande à un prêtre s’il a vu son frère. Celui-ci ne lui répond pas et la regarde longuement, impassible. Sa tante et Emilia vivent retranchées dans la maison, à part en de rares occasions où Emilia s’échappe pour faire la fête. Ces séquences donnent à la moiteur ambiante une valeur érotique. La musique, lancinante, fait bouger les corps collés les uns aux autres. Emilia retourne le regard érotique que les hommes posent sur elles sur d’autres femmes. Dans ce lieu sans véritable frontière, d’autres frontières peuvent être transgressées et libérer les restrictions religieuses et sociales des deux pays qui cohabitent. Cela ne se fait pas sans heurt et on en vient à se demander si la fameuse bête du titre qu’il faut tuer ne serait pas Emilia et ce qu’elle véhicule : une liberté totale des femmes, de leur esprit, de leur corps, de leur désir. La réalisatrice positionne le désir grandissant d’Emilia pour une femme sur le même degré que les recherches de la bête par les villageois⋅es. Une bête mythologique, protéiforme, qui viendrait kidnapper les femmes du village.

To kill the beast est un film où l’atmosphère, amenée par la photographie et le montage, domine et rend le récit sybillin. Agustina San Martín se sert de cette atmosphère pour présenter toute une métaphore sur la peur des femmes. Une peur sourde provenant des milieux ultra puritains qui les musèlent et les enferment dans des cases. Tandis qu’Emilia revendique de plus en plus sa liberté, le village se fait de plus en plus hostile. Un duel constant au sein de l’image, entre lumière et ténébre, ambiance érotique ou menaçante.

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Le film peut se mettre en lien avec un autre, sorti plus tôt dans l’année. Là où Medusa (réalisé par la cinéaste brésilienne Anita Rocha da Silveira) se servait d’une symbolique compréhensible et d’une ambiance giallo pour contrer la politique masculiniste du président Bolsonaro, To kill the beast se fait plus subtil mais se sert de son aspect gothique pour aider ses personnages féminins à traverser la frontière de la peur et à conquérir leur liberté. On comprend alors pourquoi la réalisatrice ne cadenasse pas son récit et lui fait prendre un chemin plus expérimental. Agustina San Martín préfère nous amener doucement vers l'inconscient. Sa mise en scène sensorielle se met au service de son personnage principal et pulse au gré de son désir.


Laura Enjolvy

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