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[CRITIQUE] : Ammonite


Réalisateur : Francis Lee
Acteurs : Kate Winslet, Saoirse Ronan, Fiona Shaw,...
Distributeur : MyCanal
Budget : -
Genre : Drame, Romance.
Nationalité : Britannique, Australien, Américain.
Durée : 1h58min.

Synopsis :
1840. Mary Anning fut une paléontologue renommée mais vit aujourd’hui modestement avec sa mère sur la côte sud et sauvage de l’Angleterre. Mary glane des ammonites sur la plage et les vend à des touristes fortunés. L’un d’eux, en partance pour un voyage d’affaires, lui demande de prendre en pension son épouse convalescente, Charlotte. C’est le début d’une histoire d’amour passionnée qui défiera toutes les barrières sociales et changera leurs vies à jamais.



Critique :


L'exploration d'un amour homosexuel continue pour le cinéaste britannique Francis Lee, auteur du merveilleux Seule la Terre (God's own country, en VO). Précédemment un couple de deux hommes incarnés par Josh O'Connor et Alex Secareanu, c'est ici un couple de deux femmes incarnées par Kate Winslet et Saoirse Ronan. Deux histoires différentes sur un socle commun, mais qui sont toutes deux ancrées dans un paysage austère et sauvage. Pourtant, ce n'est toujours pas une romance à proprement parlé. Parce que Ammonite n'est pas un geste romantique, car Francis Lee n'essaie pas de faire le portrait d'un désir ou le portrait d'une beauté sentimentale. De la boue et des plaines vertes immenses de Seule la Terre, arrive ici l'argile épaisse, les pavés des rues étroites et les galets d'une plage loin d'être vacancière. Le cinéaste est ici dans la perception d'un état toujours aussi mélancolique, où les émotions sont inhibées par l'austérité qui entoure les corps. Mary Anning vit avec sa mère, mais dans une solitude exacerbée. Lorsque la rencontre tant attendue arrive, le film ne se transforme pas. Tout d'abord, le cadre capte des corps fatigués qui s'abandonnent à une tâche, voire des corps qui patientent parce qu'ils n'ont plus de pulsion. Comme Kate Winslet qui mange son repas pas très fourni dans le silence, ou Saoirse Ronan qui passe d'abord tout son temps allongée dans un lit. Puis, le cadre va préserver ce sentiment mélancolique, parce que la romance vécue par les deux femmes n'est pas quelque chose de définitif. Ce n'est qu'une furtivité qui permet d'éclaircir et libérer des émotions. Si bien que Francis Lee fonctionne par étape, en dévoilant progressivement des parties du corps de Saoirse Ronan (parce que le point de vue du récit est celui de Kate Winslet), de son dos et le haut de sa poitrine (pour appliquer une pommade), pour ensuite retirer les chaussures et chaussettes sur la plage, avant de voir des corps qui se livrent entièrement.

Copyright Pyramide Films

Francis Lee travaille le corps comme il travaille l'espace, par fragments. Les corps se révèlent en même temps que les deux protagonistes se comprennent mutuellement petit à petit. En parallèle, l'espace révèle aussi ses éléments les plus précieux par morceaux. Kate Winslet est d'abord seule sur la plage à chercher des ammonites, puis il y aura la présence purement accompagnatrice de Saoirse Ronan, avant que les deux ne participent. Travailler l'espace qui semble si fermé sur lui-même, au point d'inhiber les sensations des personnages, c'est lui permettre de casser l'étouffement qu'il procure pour ouvrir une brèche, celle de la passion. Parce que c'est un paysage difficile, qui est la projection d'une pénurie. Tel Seule la Terre où le grand cœur du personnage de Josh O'Connor n'attendait qu'une rencontre pour se laisser envahir par la douceur (grand comme le paysage), ici l'espace est resserré et replié sur lui-même. Un paysage où les sentiments, l'argent et le social sont presque absents. L'arrivée d'une nouvelle personne dans le champ et dans l'intimité bouleverse le cadre intime, mais surtout redéfinit la fonction même des espaces. Dans le relief de la terre de son premier long-métrage, Francis Lee utilise ici la mer comme le cœur qui s'échoue sur la plage mais aussi le cœur qui y renaît. En resserrant donc le cadre sur ce paysage, le cinéaste place l'inconnu dans l'horizon et permet à cette rencontre d'être une découverte. Il laisse également l'altérité d'un monde plus joyeux et assumé dans la distance, comme cette scène de soirée musicale où un malaise apparaît. C'est un paysage figé, qui ne peut pas cohabiter avec le reste du monde. Face à l'impossibilité d'exister avec le hors-champ (qui serait la société patriarcale oppressante, on imagine), alors la brèche qui s'ouvre en travaillant l'espace et les corps reste dans l'intime, dans le discret.

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Si bien que l'austérité de cet espace se dessine comme une peinture rigoureuse et âpre. Les paysages ne sont que très peu transformés par la technique cinématographique. En intérieur, Francis Lee se repose sur la présence de quelques bougies ou de la lumière naturelle qui transperce les fenêtres. En extérieur, il montre comment l'architecture et la texture de chaque recoin s'impose. La roche est notamment l'élément qui prend le plus de place, et qui se met en miroir des états émotionnels des personnages. Tout comme le travail sur le son, où le bruit des vagues vient quasiment irradier le son des dialogues, ce qui force le cadre à être bien plus attentif qu'il ne le faudrait. Et c'est parce que Francis Lee apporte toute cette attention, aussi stricte que bienveillante, que tous ces éléments d'austérité sont en fait ce qui permet aux personnages de s'exprimer librement. C'est parce que tout leur environnement est imposant et sauvage, que Mary et Charlotte peuvent se dévoiler sans le moindre encombrement formel. Avec leur rencontre et l'amour qui sera vécu petit à petit, elles créent une distinction dans le décor. Parce que l'espace est une forme contenue dans le cadre (voire même confinée), alors la mise en scène donne cette liberté salvatrice, cette liberté de métamorphose. C'est pour cela que, au final, l'époque du récit n'est pas si importante. Le film se déroule dans les années 1840 parce que Mary Anning a réellement existé. Mais le cinéaste n'en fait ni un biopic ni un film historique. Il s'éloigne des costumes en évitant d'en faire un film de lutte des classes, il s'intéresse principalement à la chair et à la présence. Ainsi, en resserrant le cadre sur le paysage, il peut contempler la chair comme il observe le crayon qui frotte le papier, les doigts qui nettoient la roche, l'œuf dont on retire la coquille, la boue être retirée d'une roche, etc.

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Ammonite se construit donc sur une idée simple : celle de l'éclosion d'une tendresse. Malgré les apparences des corps fatigués et mélancoliques, malgré l'austérité de l'espace et des sentiments, c'est bien une puissance physique qui se dégage du film. Dans le silence morne qui s'empare de plusieurs séquences (le film ne contient pas énormément de dialogues), le cadre resserré et l'arrivée d'un nouveau corps dans l'espace permettent de percevoir des protagonistes qui brisent une barrière. Celle où elles finissent par remporter un combat contre un immense tas de terre boueux, dans lequel est coincé une roche convoitée. Il serait impossible à dégager, lance Kate Winslet. Mais c'est avec deux forces en une que l'ammonite pourra apparaître. C'est même toute la puissance d'incarnation des deux actrices principales (même de Gemma Jones qui interprète la mère malade de Kate Winslet), parce que leurs personnages dans une solitude sentimentale et psychologique, elles se prennent les vagues de plein fouet, mais elles sont toujours debout. Une puissance physique où la fascination l'emporte, où la détermination est reine, où la mise en scène n'hésite pas à voir les corps sous deux aspects. Le premier est la sensualité de cette rencontre sans timidité, le second est le travail manuel possédant une assurance immense. Francis Lee montre bien ici que l'image est bien plus forte que la parole. Alors que l'amour pourrait aveugler les personnages, ou même une vision du paysage, il n'en est rien. C'est même tout le contraire, tant cette rencontre est l'éclaircissement qui casse tout effet de romantisme. Dans l'austérité du paysage, les personnages se construisent par leur liberté d'aimer.

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Malgré le contraste social réel entre les deux personnages, cette histoire d'amour est le fruit de l'imagination de Francis Lee. Autour de la vie réelle de Mary Anning, qui fut une paléontologue renommée, le cinéaste lui imagine cette relation sentimentale. À l'image de Madre de Rodrigo Sorogoyen dans les films les plus récents, le cinéaste de Ammonite se concentre sur la métamorphose possible grâce à l'affection qui se construit, plutôt qu'à chercher l'aboutissement de la relation. Le film ne cherche pas à regarder dans le relief de cette histoire d'amour, il réfute même l'exposition (en préférant le hors-champ du sexe, d'un accident dans une pièce voisine, etc) pour préférer la pudeur. Parce que cette liberté d'aimer, cette passion par fragments n'a pas vocation à être du concret. Elle se place dans l'ambiguïté, dans la brèche imaginaire. Il n'est donc pas innocent de remarquer toute l'abstraction temporelle dans laquelle se développe le récit. L'époque est une indication temporelle, sans être claire. Les nombreuses ellipses créent même plusieurs ruptures de ton, où les fragments sont comme des réminiscences d'un moment hors du temps. Hors de l'austérité quotidienne qui encombre et contient les corps, il y a donc cette brèche d'affection, qui réveille les émotions et les sensations. Comme si Francis Lee choisissait de regarder derrière l'obscurité quelques instants, pour offrir une liberté derrière la rudesse d'une condition. Telle Mary Anning qui polit les ammonites, le cercle de sa vie s'éclaircit et se dépoussière, le temps d'une rencontre et d'un toucher.


Teddy Devisme



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