[CRITIQUE] : Waiting For The Barbarians
Réalisateur : Ciro Guerra
Acteurs : Johnny Depp, Mark Rylance, Robert Pattinson, Gana Bayarsaikhan,...
Distributeur : M6 Vidéo
Budget : -
Genre : Historique, Drame.
Nationalité : Américain, Italien.
Durée : 1h54min.
Synopsis :
Un magistrat bon et juste gère un fort d'une ville frontalière de l'Empire. Le pouvoir central s’inquiète d’une invasion barbare et dépêche sur les lieux le colonel Joll, un tortionnaire de la pire espèce. Son arrivée marque le début de l'oppression du peuple indigène. Une jeune fille blessée attire l'attention du magistrat qui décide de la prendre sous son aile. Dès lors, ce dernier commence à contester les méthodes du colonel et à remettre en question sa loyauté.
Critique :
Profondément verbeux, tout du long enlacé dans un climat poético-désespéré de culpabilité et de violence, #WaitingForTheBarbarians est une oeuvre profondément manichéenne qui arrive cependant à émouvoir dans son regard silencieux des ravages de la colonisation. Superbe M. Rylance pic.twitter.com/hopskv7E8r— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) September 2, 2020
Il y a un petit sentiment de " ce n'est pas trop tôt " qui nous parcoure à la vision de la sortie tardive, et cantonnée aux bacs à DVD/Blu-ray, du dernier long-métrage de Ciro Guerra, Waiting For The Barbarians, adaptation du roman éponyme de JM Coetzee, autant salement entaché par les accusations d'harcelements sexuels de ce dernier (mais aussi par le divorce houleux de Depp) que cruellement d'actualité; tant son propos - le déni de la politique impérialiste - semble on ne peut plus en phase avec une politique au présent, marquée par l'orgueil " blanc " - coucou Trump, mais pas que -, et les dérives raciales qui y sont liées.
Une adaptation pertinente d'un point de vue contexte, mais qui tranche avec l'aspect rugueux de sa lecture, tranquillement mais sûrement dévastatrice, catapultée dans les immensités désertiques d'un cadre dépaysant mais géographiquement insaisissable (si le roman laissait penser, logiquement, à l'Afrique du Sud sous l'apartheid, le film semble partir vers une domination d'un empire en Afrique du Nord), ou l'on suit avec un intérêt fluctuant les aléas d'un fonctionnaire colonial à l'esprit libéral - et volontairement sans nom -, dépassé par la volonté de supérieurs tyranniques.
Son administration " pacifique " est ainsi brutalement perturbée par la visite du colonel Joll, un officier réactionnaire et vindicatif d'une branche des services secrets de l'Empire, envoyé pour enquêter sur la possibilité d'une attaque/rébellion des autochtones; là ou le magistrat ne voit aucun risque s'ils continuent à vivre passivement.
L'idée de défense active de Joll, est alors de mener une expédition théorique - disons punitive - dans le désert, avec l'emprisonnement de quelques locaux, qui seront interrogés et torturés pour être sur qu'ils n'incarnent aucun danger.
Mais lorsque ce dernier s'en va, quittant les lieux aussi sommairement qu'ils l'ont balayés, le magistrat doit faire face aux retombées de crimes de guerre vicieux dans lesquels il n'avait pas son mot à dire, mais dont le silence est autant un aveu de faiblesse que de complicité.
Regorgeant de conflits politiques aussi hypocrites qu'épineux, enlacés dans un climat poético-désespéré de culpabilité et de violence abjecte, Waiting For The Barbarians fascine autant qu'il rebute, désarçonne autant qu'il se plombe lui-même.
Profondément verbeux et peinant à trouver son rythme via une scission en chapitres - presque comme autant de saisons - à l'intérêt inégal et à la violence parfois (volontairement ?) grotesque, le film dégaine pourtant un sentiment de rage fascinant, une colère grave et troublante face à la bêtise de l'homme et l'oppression anxiogène des politiques diverses au fil des siècles, qui trouve étrangement toute sa puissance quand Guerra pose sa caméra et ses dialogues, pour mieux laisser parler ses images (sublime photographie de Chris Menges).
Dès lors, par petites touches émotionnelles réellement sincères, Guerra retrouve l'aura bouillante de son Embrace or The Serpent (formidable odyssée anticolonialiste), et citerait presque des oeuvres charnières tels que le monumental Mission de Roland Joffé, dans sa mise en images silencieuse des ravages de la colonisation, autant que dans la furie paranoïaco-dominante des empires suprématistes luttant contre des ennemis invisibles.
Dommage alors que son écriture manichéenne, ne vienne jamais élever les débats, ni même soutenir les prestations de premier ordre d'un casting totalement voué à sa cause (Mark Rylance en tête), car sans subtilité sur un tel sujet, difficile de voir au-delà que de la simple adaptation un brin fastidieuse...
Jonathan Chevrier