[CRITIQUE] : Ema
Réalisateur : Pablo Larraín
Acteurs : Mariana Di Girólamo, Gael García Bernal, Paola Giannini,...
Distributeur : Potemkine Films.
Budget : -
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Chilien.
Durée : 1h42min.
Synopsis :
Ema, jeune danseuse mariée à un chorégraphe de renom, est hantée par les conséquences d'une adoption qui a mal tourné. Elle décide de transformer sa vie.
Critique :
Thriller impertinent et sensuel sur un triangle familial inquiétant ou l'être absent définit les 2 autres, autant qu'un portrait de femme singulier et brûlant dont on épouse les imperfections et son vertige intime avec gourmandise;#Ema est une oeuvre brute, exacerbée et enivrante pic.twitter.com/mIRryFZUjK— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) September 2, 2020
Ils sont rares les cinéastes contemporains, à faire de leurs oeuvres des expériences si immersives et empoisonnantes pour l'esprit, des auteurs de contes transgressifs n'ayant jamais peur de cracher la vérité de la vie, en la rendant la plus cinégénique et percutante qui soit; Pablo Larraìn en fait partie, au même titre que le roi Gaspar Noé ou encore Yorgos Lanthimos.
Des orfèvres de l'étrangeté familières, capable de passer de la scène la plus candide à la plus révoltante/inappropriée qui soit (et sans le moindre souci de transition), et catapultant face caméra des personnages profondément mystérieux, autant pour le spectateur que pour eux-mêmes; des oeuvres qui marquent et impressionnent, et Ema est clairement fait de ce bois, de ce feu ardent qui brûle en nous même longtemps après sa vision.
Copyright 2020 Koch Films |
Trompant son pitch très " We Need To Talk About Kevin ", dès une introduction absolument démente, qui semble totalement emprunte du cinéma béni de Gaspar Noé avec ses combustions éparses et une partition enivrée de Nicolas Jaar, Larraìn explose vite tout sur son passage, pour mieux exposer frontalement son plaisir pervers à déjouer toutes les attentes de son auditoire, quitte à arpenter tous les extrêmes, avec une caméra assurée (une gestion du cadre et de la lumière folle, des scènes de danse chorégraphiées avec fluidité et quelques plans en steadycam plus que bien foutu).
Articulé autour des affres d'un couple tumultueux qui s'échine pour récupérer leur fils, sorte de Damien puissance 1000 (incendie, chien dans le congélateur, tante au visage brûlé,...) même après la série d'événements inquiétants du garçon, Ema ne se préoccupe pas tant du contexte que de l'humeur ambiante de son héroïne - Ema donc - âme troublée et troublante, autant éprise de liberté que muée par sa propension à utiliser le sexe comme d'une arme implacable, et son désir douloureux de ne pas être une " vraie " mère.
Son désir est de récupérer son fils adoptif, de reprendre le fil de sa vie passée et (un brin) idéalisée, et les moyens qu'elle usera seront aussi dérangeantes que complètement imprévisibles; l'important est le but, pas les moyens pour y parvenir, quitte à invoquer le chaos et une violence à la fois urgente et brutale (physique et verbale), mais surtout pour Larrain, d'alterner entre les regards tendres et profondément accusateurs.
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Dépendant de ses envolées purement impressionnistes (ou la danse est l'indicateur le plus fort sur les émotions des personnages) et des interprétations habitées de ses interprètes (Mariana Di Girolamo, ange ambivalent d'une sensualité désarmante et Gael García Bernal, subtil en égoïste à deux visages) mais également de ses ruptures de tons abruptes mais maîtrisés, le huitième long de Larraìn désarçonne (aucune temporalité, aucune volonté de provoquer l'empathie, aucun désir de prendre son spectateur dans le sens du poil), bouscule son auditoire par sa narration aussi alambiqué et floue - jusque dans son dernier tiers - que son questionnement est puissant sur la notion de parentalité (est-ce réellement l'enfant qui est coupable de ses atrocités, ou ses parents adoptifs dans leurs éducations ? Ont-ils fait de lui, le monstre qu'il est devenu ?), posant de manière ambiguë sa caméra sur des êtres apathiques, assommés par le chagrin (si l'amour qui les unit est déchiré mais toujours là, leur gentillesse humaine elle, surtout l'une envers l'autre, semble totalement anéantie).
Thriller impertinent et sensuel sur un triangle familial inquiétant, ou l'être absent (l'enfant) définit les deux autres, à la fois individuellement et en couple, autant qu'un portrait de femme singulier et brûlant dont on épouse que les imperfections - mais aussi son vertige intime - avec gourmandise; Ema est une oeuvre à part, pas sans défauts (un symbolisme au mieux vain, mais parfois très lourd), brute, exacerbée et enivrante, ou quand Larraìn se la joue Almodovar sombre et frustré, qui ne veut provoquer aucune empathie pour les protagonistes qu'il fait se déchirer à l'écran, tout en les sublimant comme jamais.
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La proposition en rebutera plus d'un (et difficile de ne pas imaginer le cinéaste l'avoir conçu de la sorte, en grande partie pour cette raison), et dénoterait presque des précédents films du cinéaste chilien, plus politiques, mais elle restera sans doute la séance la plus ambitieuse et passionnante qu'il sera donné de découvrir aux spectateurs, en cette pluvieuse rentrée 2020.
Jonathan Chevrier