[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #88. Crash
© 1996 New Line Cinema |
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !
#88. Crash de David Cronenberg (1996)
Il y a un côté assurément passionnant à voir combien Crash, conspué à sa sortie et même plus directement, à sa présentation en compétition officielle à Cannes en 1996 (prix du Jury à la clé), ou il a été poliment sifflé et insulté ce qui, pour David Cronenberg, est une gageure de qualité ultime, le pire étant pour lui l'indifférence de la foule ou, au contraire, la vénération béate de ses auditoires.
Et il est loin de la chercher avec son adaptation du sulfureux roman de J.G. Ballard, dont il était sans doute le seul qui pouvait lui donner corps et chair sur la pellicule, même s'il s'écarte poliment de sa dimension apocalyptico-pornographique, pour se créer sa propre voie dans son sillage.
© 1996 New Line Cinema |
Vissé sur le parcours chaotique d'un couple qui, dans sa quête de nouvelles sensations amoureuses - et surtout d'extase -, croise la route et se plie aux pratiques singulières, d'une communauté ralliée à un photographe fétichiste des pièces cabotinées et fracassées d'épaves automobiles; la péloche est un tue l'amour absolu, une oeuvre profondément pornographique dans son fond comme dans sa forme, mais filmé avec un détachement tel qu'elle en devient tout sauf... pornographique, dans le sens populaire que l'on s'est fait du terme, à coups de séances frénétiques sur la toile (assumons !).
Car ce qui intéresse au fond Cronenberg (dont la mise en scène a rarement été aussi inspirée et précieuse), chez qui la chair est au moins aussi périssable que l'âme, c'est la psyché humaine, cette manière dont nous grandissons et sommes asservis par les choses particulières qui nous excitent.
Tout Crash ne parle que de cela - et de la mort, évidemment -, cette quête sans fin du plaisir et de la possession de l'autre, ce retour à l'instant primaire ou l'être humain n'est qu'une enveloppe charnelle vouée à répondre et recevoir, les fruits de pulsions animales.
Étrange et incroyablement perspicace sur la contrainte sexuelle humaine, sublimant les chairs brûlantes de désirs (Deborah Kara Unger n'a jamais paru aussi hypnotique et sensuelle) et les corps meurtries aux cicatrices béantes, pour mieux les refroidir sans remords avec la photographie glaciale de Peter Suschitzky et le score volontairement désincarnée d'Howard Shore (la composition la plus lugubre et obsédante de sa carrière); le film a même les contours d'un détournement abstrait des codes de la comédie romantique, ou un accident de voiture mortel remplacerait une rencontre fortuite dans un cadre plus paisible, et qui ne se déconnecterait réellement du genre, qu'à l'assouvissement non-contenu et orgasmique de leur attirance/excitation sexuelle mutuelle.
© 1996 New Line Cinema |
Ne cherchant jamais a guérir ses personnages qui eux-mêmes, ne le désirent pas (ils roulent sans freiner sur la voie de l'autodestruction et de la luxure, parce qu'ils ne veulent tout simplement pas s'arrêter, quitte à jouir de l'extase ultime, la mort), invitant le spectateur à les comprendre uniquement en plaquant ses fantasmes sur les leurs (replaçant dès lors dans son contexte, tout jugement hâtif ou putassier), Crash est une dissection stimulante et originale autant des mécanismes de la pornographie (ou l'acte sexuel perd lui-même de son importance), que de la complexité de la psyché et de l'âme humaine.
Une merveille de cinéma physique, cérébral, déviant et, surtout, essentiel, dont le final, furieux d'ambiguïté, n'en finit pas de hanter même deux décennies plus tard...
Jonathan Chevrier