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[CRITIQUE] : Captives


Réalisateur : Atom Egoyan
Acteurs : Ryan Reynolds, Rosario Dawson, Mireille Enos, Scott Speedman, Kevin Durand,...
Distributeur : ARP Selection
Budget : -
Genre : Thriller, Drame.
Nationalité : Canadien.
Durée : 1h52min.

Synopsis :
Huit ans après la disparition de Cassandra, quelques indices troublants semblent indiquer qu'elle est toujours vivante. La police, ses parents et Cassandra elle-même, vont essayer d'élucider le mystère de sa disparition.



Critique :


Sans faire les mauvaises langues, après plus d'une péloche difficilement mémorable et défendable (le piteux Chloé et le très décevant The Devil's Knot, entre autres), nous étions de ceux pensant que le jadis talentueux Atom Egoyan avait les plus belles heures de sa filmographie derrière lui.

Sa difficulté à transcender son propos et sa (grande) peine à raconter avec un minimum d'intérêt ses histoires, en faisait indiscutablement un de ses cinéastes - pourtant talentueux -, coincés sur une pente tellement descendante qu'on ne les voyaient pas (ou plus) capable de la remonter et nous pondre une claque digne de ce nom dans un futur plus ou moins proche.

Pourtant, son retour dans nos salles obscures - et après un passage remarqué sur la dernière Croisette -, avec Captives, thriller froid et tendu comme la ficelle d'un string avec pour vedette l'excellent et foutrement malchanceux Ryan Reynolds, avait tout du comeback en force.


Et on ne s'y est pas trompé puisque Egoyan, comme miraculé, a retrouvé toute la pertinence de son propos en revenant au source de son cinéma (et en s'inspirant de ses meilleurs essais) pour offrir aux cinéphiles un polar aussi puissant que sec comme un coup de trique, une fable déroutante à la noirceur saisissante.

Si à ses débuts, le cinéaste canadien était volontairement influencé par les cinémas des inestimables David Cronenberg et David Lynch, ici avec son dernier long en date, le bonhomme penche décemment plus vers le cinéma d'un autre David, Fincher (sa mise en scène cérébrale et son cadre hivernal rappelle beaucoup Millenium) mais surtout vers celui de Brian De Palma, et notamment son chef d’œuvre Obesssion.

Comme pour ses précédents essais en revanche, Captives est une péloche singulière aux thématiques fortes (les réseaux de pédophilie, la séquestration, la violence sur mineurs), un exercice de déconstruction remarquable qui met un point d'honneur à mettre en valeur aussi bien la force évocatrice de ses images que ses personnages malignement ordinaires, au jeu d'acteurs dépouillé et fortement inspiré.

A la différence du récent et puissant Prisoners de Denis Villeneuve avec qui il partage plusieurs thèmes similaires, le métrage détourne lui sans cesse les codes du film de captures/kidnappings pour mieux perdre - et de facto séduire - une audience sans aucun repère dont toutes les attentes seront constamment bousculées.


Au sein d'une histoire étalée sur huit terribles années de désespérance et de maigres (mais alors très maigres) espoirs, Egoyan s'improvise même sans la moindre introduction, en véritable guide touristique au sein de la noirceur de l'âme humaine, traitant de l'horreur sans ne jamais la montrer et poussant intelligemment son spectateur à lui-même assembler les morceaux de puzzle d'une intrigue follement ambitieuse, fragmentée et refusant toute linéarité et chronologie car muée par d'incessants et intelligents allers-retours temporels.

Conte pour adultes puissant, rigoureux et singulier (le cinéaste révèle tout de suite que Cassandra est encore vivante), l'intrigue du métrage va totalement à l'inverse de la majorité des films du genre, remettant en cause la moindre de nos certitude.

Idem pour ce qui est de l'enquête policière, loin d'être classique puisque que le papa du Voyage de Felicia s'intéresse bien plus aux victimes et aux bourreaux (l’obsession du ravisseur, Mika, de vouloir posséder sa victime et se substituer à sa famille) qu'aux représentants de la loi, figure dont on se méfie et qui est censée boucher les zones d'ombres et découvrir LA vérité sur cette théorie du complot.

D'un canevas en apparence balisé, le metteur en scène déploie une histoire tentaculaire ambiguë (bonjour le syndrome de Stockholm), perverse mais surtout cruellement réaliste - la péloche ne démontre rien d'impossible - au point d'en être lourdement perturbante, pour accoucher d'un éprouvant thriller profond, clinique et fragile, au défaitisme terrifiant (le réseau pédophile anticipe toutes les actions possibles, même celles de la police); une fable ou le mal l'emporte (trop) souvent sur le bien, ou la cruauté et la douleur sont des armes plus triomphantes que l'amour et le bonheur.


Porté par une mise en scène minutieuse doublée d'un découpage renversant, le film est surtout un terreau magnifique d'expression pour les talents impliqués, tous plus exceptionnel les uns des autres.

Ryan Reynolds en tête, en tout point parfait et d'une justesse bouleversante dans la peau d'un père qui refuse de bout en bout à admettre la disparition de son unique enfant.
Un être isolé, rongé par la culpabilité, proche de la paranoïa et même accusé d'être l'instigateur de la catastrophe même qui a littéralement brisé son existence.

Rosario Dawson est elle impeccable tandis que Kevin Durand, à la limite du surjeu, est flippant et étonnement crédible en vilain dynamitant complétement l'image du bad guy sur grand écran.
Un habile manipulateur au multiples visages, au sadisme proprement malsain (il use de la technologie pour que sa victime garde un lien constant avec ses parents, tout en s'amusant à pervertir ses derniers) et jouissant de la détresse de ses proies.


Surprenant, étouffant (dans le bon sens du terme) et intense, Captives est un anti-suspens virtuose, fascinant, sobre et bouleversant, un cauchemar éveillé qui fait méchamment froid dans le dos, et ou les cris et la douleur s'étouffe dans une neige à perte de vue, un décor naturel faussement pur puisqu'il abrite la violence et la perversion de l'âme humaine.

La première grosse réussite de cette année 2015 est (déjà) bien là.



Jonathan Chevrier


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