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[CRITIQUE] : Roma


Réalisateur : Alfonso Cuarón
Acteurs : Yalitza Aparicio, Nancy Garcia, Marina de Tavira,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Drame
Nationalité : Mexicain, Américain
Durée : 2h15min

Synopsis :
Ce film fait la chronique d'une année tumultueuse dans la vie d'une famille de la classe moyenne à Mexico au début des années 1970.



Critique :

Il est inutile de demander si vous avez déjà entendu parler de Alfonso Cuarón . Les fans de la saga Harry Potter le connaissent depuis 2004, quand il a pris les rênes d'un seul film, le troisième, abordant un virage du film enfantin à la sombre destinée qui se dessine pour le jeune sorcier. En 2006, on le retrouve à la réalisation d'une dystopie Les Fils de l'homme avec Clive Owen et Julianne Moore. Et il nous a emmené dans l'espace en 2013 avec Gravity (et accède au succès hollywoodien par la même occasion). Avec Roma, Cuarón nous prend de revers, en nous montrant la vie réelle, celle de son enfance dans le Mexico des années 70.



Le titre Roma fait référence au nom du beau quartier bourgeois de Mexico. Au centre de l’histoire, Cleo, une jeune domestique au service d’un couple et de leur cinq enfants. Elle s’occupe du ménage, de la lessive (faite à la main), babysit le petit dernier, ramasse les crottes du chien dans la cour,... Ses journées sont bien remplies, les nuits sont plus courtes. Les rares journées de repos qu’elle s’accorde, elle les passe avec son amie et collègue, la cuisinière, et un jeune homme, Fermín. C’est la première fois qu’elle se laisse aller avec un homme et il profite de son peu d’expérience pour la mettre enceinte. Au moment où Cleo se fait avoir, son employeur décide de quitter sa femme Sofia et ses enfants pour s'installer avec sa maîtresse. Les deux femmes se retrouvent dans une situation désespérée : Cleo se rend compte trop tard de sa condition, est obligée de garder l’enfant et n’est pas du tout soutenu par son petit ami, qui disparaît. Quant à Sofia, elle doit faire face à l’abandon de son mari, du jour au lendemain, qui ne prend même pas le temps de s’expliquer auprès des enfants et qui n’envoie aucune pension alimentaire pour leur éducation. Les hommes les désertent, mais ces deux femmes dont la classe sociale les différencie vont pourtant se serrer les coudes pour recréer une cohésion familiale. Pour le bien des enfants avant tout, mais aussi pour ne pas se laisser sombrer.
Malgré les péripéties qui s'enchaînent, Cuarón se laisse du temps dans sa mise en scène, proposant une chronique familiale durant une année complète. Les plans sont longs, étirant le quotidien de la famille, des gestes répétés mille fois, des petits détails de la vie elle-même. Cette façon de distendre le temps peut s’avérer difficile pour le spectateur qui a envie de connaitre la suite. Bien qu’il existe une certaine beauté dans la contemplation, on peut se demander si voir de l’eau s’écouler alors que Cleo lave la cour pendant trois minutes est utile.



Bien évidemment, le réalisateur ne s’arrête pas là. Roma est encore plus intéressant quand il commence à disséquer la domination masculine et les rapports de classe sociale à Mexico. Sans appuyer fortement dessus, Cuarón nous montre bien le déséquilibre de la société mexicaine. D’un côté, les maisons bourgeoises, avec leur annexes aménagées pour leur domestiques mixtèques, de l’autre les bidonvilles, où s’entassent une bonne partie de la population. Et à la moindre incartade de cette population miséreuse, à la moindre revendication, le pouvoir utilise la manière forte. Le réalisateur ne dépeint pas son pays d’une manière idyllique, traversé par toute sorte de crise (financière, politique, ou les terribles tremblements de terre). Il n’y a que très peu d’espoir quand on est issu, comme Cleo d’une famille pauvre. Sa vie ressemble à une sorte de prison, sans aucune prise pour s’échapper. Son horizon est bouchée, Cuarón fait toujours en sorte de l’enfermer à l’écran. Par la cour de la maison, par les toits, où l’on aperçoit toutes les domestiques faire la lessive, par la population des bidonvilles.
Mais le propos du film est centré sur la force des femmes à encaisser la société patriarcale, où tout est fait pour et par les hommes. Elles n’ont pas le droit de baisser les bras car elles doivent assurer l’éducation des enfants et les responsabilités que les hommes délaissent totalement. Ils sont lâches, machos tandis qu’elles sont fortes et font face aux épreuves. On peut penser à toute une séquence dans le milieu médicale où on aperçoit comment on traite les femmes, comme du bétail.



Roma est un film complexe, offrant une histoire très personnelle d’un réalisateur talentueux, à la mise en scène soignée, à la magnifique photo en noir et blanc et aux petits détails sonores qui font la différence. Il ne parlera pas forcément à tout le monde, mais pour ceux qui souhaitent s’y plonger pleinement, l’émotion sera là.


Laura Enjolvy



Alfonso Cuaron n’avait plus filmé le Mexique depuis Y Tu Mama Tambien en 2001. Alors grandement inconnu du grand public, il se voit propulser à la réalisation du 3e volet des aventures de Harry Potter. Son appropriation du monde de JK Rowling marque un virage radical dans la saga, et permet au cinéaste de se faire un nom. Dès lors, il ne va cesser de se montrer plus ambitieux, que cela soit à travers son récit dystopique (Les Fils de l’Homme) ou son vertigineux survival spatial (Gravity).
Alors que tout lui tendait la main et qu’il pouvait se permettre de réaliser les projets les plus fous (il fut courtisé pour diriger Les Animaux Fantastiques), le cinéaste décide de revenir aux origines, le Mexique, pour un long-métrage plus personnel. Il résulte de tout cela un miracle cinématographique, Roma.



Il faut le souligner, car certains pourraient se méprendre, si le réalisateur offre un film plus intime il ne renie rien de l’ambition qui semble le caractériser. Au premier abord, l’histoire est d’une grande simplicité, la vie d’une famille bourgeoise dans le Mexico des années 70. Cuaron se fait proustien, et réanime pour nous les souvenirs de son enfance, mais il prend de revers cet aspect très autobiographique grâce à son angle d’approche visant à s’attarder sur l’invisible omniprésente, Cleo, jeune domestique au service de la famille.
Sa vie est faite de taches ménagères, astiquer les meubles, faire la lessive, s’occuper des enfants, veiller a retiré les crottes du chien. Dans ce quotidien rébarbatif, Cleo, ne s’autorise que de brèves escapades dans la ville, avec son amie et collègue. Son existence se voit bouleverser quand elle apprend être enceinte de son amant qui la quitte brutalement.
Le cinéaste va alors dresser un miroir, car, au même moment, son employeur quitter le foyer laissant sa femme, Sofia, désemparée. Dès lors, le parcours de ses deux femmes, issues de deux classes différentes, se lie. Cleo se voit subir une situation qu’elle ne désire pas, sa grossesse, Sofia, elle, tente de maintenir les apparences alors que les problèmes financiers s’accumulent.



Ces trajectoires intimes entrechoquent deux univers, deux sociétés qui se côtoient dans ce Mexique des 70’s. On passe des intérieurs bourgeois aux bidonvilles, du bruit d’un foyer au silence d’une chambre, de la quiétude à la fureur dans une scène de shopping terrifiante. De ce Mexique sans fard on retiendrait la violence, mais Cuaron en extirpe aussi les bonheurs d’une vie, les enfants qui s’amusent sous la pluie, le désir de l’être, l’effervescence des fêtes de Noël, un repas de famille…
Mais, ces femmes qui vivent l’une à côté de l’autre subissant sans différence la lâcheté masculine vont gommer, durant une escape, la notion de classe. Dans la douleur de l’âme, Cuaron, en plan-séquence, nous étourdit d’émotions en faisant de Cleo n’ont plus une invisible omniprésente, mais omniprésente criant son mal.



Avec Roma, Alfonso Cuaron ne renie rien de ses ambitions. Sous couvert d’être un film plus intimiste, car plus autobiographique, le cinéaste offre une œuvre émotionnellement renversante et d’une belle poésie. Mais, ce que j’ai pu exprimer, ici, dans ces mots, n’est au fond qu’une partie du film, car, Roma est avant tout un film d’une grande richesse quant aux thématiques qu’il traverse tout du long.


Thibaut Ciavarella