[CRITIQUE] : Boyhood
Réalisateur : Richard Linklater
Acteurs : Ellar Coltrane, Ethan Hawke, Patricia Arquette, Lorelei Linklater,...
Distributeur : Diaphana Distribution
Budget : 2 400 000 $
Genre : Drame.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h45min.
Synopsis :
Chaque année, durant 12 ans, le réalisateur Richard Linklater a réuni les mêmes comédiens pour un film unique sur la famille et le temps qui passe. On y suit le jeune Mason de l’âge de six ans jusqu’ à sa majorité, vivant avec sa sœur et sa mère, séparée de son père. Les déménagements, les amis, les rentrées des classes, les premiers émois, les petits riens et les grandes décisions qui rythment sa jeunesse et le préparent à devenir adulte...
Critique :
Autant l'admettre tout de suite, le nouveau (enfin, on se comprend) film de Richard Linklater nous drague depuis tellement longtemps qu'on en pouvait plus d'attendre son arrivée dans les salles obscures.
Si il nous avait déjà méchamment séduit avec son Rock Academy, mais surtout sa sublime trilogie des Before (Sunrise, Sunset et Midnight) - indiscutablement l'une des plus belles romances jamais tournées sur grand écran -, son Boyhood, mis en scène sur plus de douze ans, promettait tout simplement d'incarner une fresque bigger than life révolutionnant littéralement tout le septième art contemporain.
Un projet fou et un investissement incroyable et impensable sur la durée, pour raconter l'histoire d'une famille, son couple divorcé, sa fille ainée mais surtout son petit garçon, le tout en conservant les mêmes comédiens, dit casting porté par les précieux Ethan Hawke (véritable alter-égo du cinéaste sur grand écran) et Patricia Arquette.
En choisissant de prendre son temps pour filmer le quotidien d'un enfant de six ans jusqu'à sa majorité, sa transformation physique et spirituelle, ses aspirations enfantines, ses découvertes, de son éveil à son passage obligatoire à l'âge adulte, Linklater ne fait plus du cinéma, il capte la vie dans ce qu'elle a de plus pure, de plus minimaliste et de plus vraie.
Ne s'imposant jamais de filmer les passages fondateurs et dit " obligés " de toute jeunesse (le premier baiser, la première déception amoureuse, les premières bagarres, la première fois), le film contourne tous les clichés et les déjà-vus pour se développer uniquement à l'instinct de son metteur en scène, qui filme la vie comme lui-même la ressent à travers ses personnages.
Soit une accumulation de petites choses, de petits moments qui peuvent paraître sans intérêt mais qui incarne tout simplement ce que chacun d'entre nous vie au jour le jour.
Plus d'une décennie de rushes filmés à intervalles espacés, captant l'évolution et le vieillissement de ses personnages/acteurs avec une intelligence et un minimalisme insensé, le tout magnifié dans un montage à la cohérence et à la fluidité frisant l'indécence, Boyhood incarne bien plus qu'une simple révolution dans le septième art contemporain de la part d'un metteur en scène aussi courageux que déterminé - Linklater a quand même fait neuf films entre temps -, il est véritablement une épopée vérité, intime et initiatique bouleversante, inclassable et follement empathique, à la frontière du docu-fiction captant une certaine réalité du quotidien et qui nous frappe littéralement par son honnêteté et sa sincérité.
Il prouve aisément, en s'affranchissant des supposées règles de l'industrie (on est heureux qu'il ne se soit pas laisser aller au jeu du maquillage pour grimer ses héros ou même du changement de casting), que le temps au cinéma n'est pas qu'un simple artifice scénaristique mais bel et bien un acteur à part entière d'une histoire, un acteur capricieux avec lequel il faut composer face à une multitude d'aléas et de contraintes pour arriver au final, à un canevas sublime, une œuvre ultime sur laquelle seule la vie possède une véritable emprise.
Poignant, drôle, profond, estomaquant son spectateur sur un petit peu plus de deux heures quarante sans aucun temps mort et d'une cohérence parfaite, usant avec intelligence les ellipses pour accentuer encore plus la fluidité de son histoire, la péloche sans réel début ni véritable fin, réussit la prouesse de rendre merveilleux le banal de l'existence humaine dans ce quelle a de plus universel, face au temps qui file devant elle.
La mélancolie et l'insouciance de l'enfance, la nostalgie d'une époque révolue, la perte de ses illusions et la nécessité de grandir plus vite que prévu, la douleur de vivre au sein d'une famille séparée et dont les parents accumulent les mauvais choix, ou encore la difficulté de laisser grandir sa progéniture, Linklater capte avec une justesse prodigieuse tous ses sentiments et émotions que chaque être humain est censé vivre un jour, sans ne jamais tombé dans un misérabilisme forcé ou le pathos de supermarché.
Beaucoup s'évertueront certainement à critiquer le fait que le film n'a, dans le fond, pas grand chose à dire puisqu'il ne fait que glorifier le quotidien du jeune Mason - campé avec un calme et un naturel confondant par la révélation Ellar Coltrane -, et qu'il n'offre pas ou presque, de leçon sur la vie et le temps qui passe, notamment au sein de la société Américaine.
Mais les ambitions de Richard Linklater et de ses protagonistes (quelle bonheur de retrouver un Ethan Hawke en grande forme et une trop rare Patricia Arquette, superbe en mère seule et dévouée, et chez qui les années défilent avec chaleur, loin des visages botoxés Hollywoodiens) sont ailleurs que dans la volonté de vouloir offrir un court sur les États-Unis des années 2000 (malgré quelques marqueurs temporels historique et popculture essentiels), ils sont entièrement concentrés dans l'idée que le spectateur lambda se reconnaitra dans ce périple initiatique d'une famille justement comme les autres, aussi bien dans ses qualités que dans ses défauts et sa normalité.
« For what it’s worth, we’ve all been through the same things at some point »
Un pari d'une ambition folle complétement relevé, un moment de cinéma puissant de vérité sous forme de capsule temporelle qui montre ce que c'est grandir et même mieux, ce que c'est de grandir dans l'Amérique des années 2000.
Un instant de grâce unique et qui ne se limite jamais à un simple écran de cinéma.
Inestimable mais surtout indispensable.
Jonathan Chevrier