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[CRITIQUE] : The Card Counter

Réalisateur : Paul Schrader
Acteurs : Oscar Isaac, Tye Sheridan, Tiffany Haddish, Willem Dafoe,...
Budget : -
Distributeur : Condor Distribution
Nationalité : Américain, Britannique, Chinois.
Genre : Thriller, Drame.
Durée : 1h52min.

Synopsis :
Mutique et solitaire, William Tell, ancien militaire devenu joueur de poker, sillonne les casinos, fuyant un passé qui le hante. Il croise alors la route de Cirk, jeune homme instable obsédé par l’idée de se venger d’un haut gradé avec qui Tell a eu autrefois des démêlés. Alors qu’il prépare un tournoi décisif, Tell prend Cirk sous son aile, bien décidé à le détourner des chemins de la violence, qu’il a jadis trop bien connus…



Critique :


Si la culpabilité pouvait être considérée comme une prison de l'esprit, alors il n'est pas étonnant que le pénitentiel William Tell, se soit aussi bien acclimaté à la prison dans le monde réel.
Ex-interrogateur militaire ayant purgé sa peine pour avoir torturé des détenus à Abou Ghraib, il réintègre la société en tant que joueur de poker nomade, voyageant de ville en ville et de casino en casino, pourchassant des gains à faibles enjeux en utilisant habilement les compétences de comptage de cartes qu'il a lui-même apprises pendant son incarcération.
Fortuitement, il rencontre un jeune homme, Cirk, dont le père s'est suicidé après sa propre participation à la torture à Abu Ghraib. 
Espérant venger sa famille, il envisage de torturer et d'assassiner le cerveau barbare qui a supervisé les méfaits avant de disparaître, le Major John Gordo, laissant des soldats comme William payer les pots cassés. 
Prenant le gamin sous son aile, Will le fait rejoindre le circuit du poker des célébrités afin de gagner gros, payer ses petites dettes et l'aider à le libérer de sa quête obsessionnelle de vengeance...

Copyright Condor Distribution

Avec une fidélité et une dévotion proche du religieux envers l'œuvre de Robert Bresson et son penchant pour la narration décousue, Paul Schrader - 75 ans au compteur mais plus en verve que jamais -, poursuit avec The Card Counter bon nombre des préoccupations et des motifs qui ont traversés sa carrière sur près de cinq décennies.
Avec son héros torturé et hanté (Oscar Isaac, dans sa plus belle performance sur grand écran depuis A Most Violent Year de J.C. Chandor), ayant arpenté toutes les entrailles de la société ricaine (de son institution militaire à son système carcéral en passant par son penchant capitaliste, embaumé dans les fausses promesses de " rêve américain "), pour mieux être dégoûté par ce qu'il y a trouvé, à qui le destin offre potentiellement l'illusion d'une rédemption dans sa tentative de sauver une jeune âme en colère (excellent Tye Sheridan); Schrader suit la droite lignée de son merveilleux First Reformed et rajoute une nouvelle strate désespérée à l'édifice du pessimisme hardcore qu'incarne son oeuvre, lui qui a su se faire comme le prophète de malheur par excellence du cinéma américain (il partage la ceinture mondiale avec Lars Von Trier), d'une honnêteté cataclysmique et sans faille.

Copyright 2021 Lucky Number, Inc.

Enfermant douloureusement son anti-héros dans le cycle infernal du péché et de la pénitence, celui-ci, en bon serviteur de Dieu digne de ce nom, passe chaque minute de chaque jour de sa vie ravagé par une culpabilité qu'il se consacre tout entier à apaiser; une privation volontaire si forte qu'il est célibataire et chaste, ne boit pas ou peu (son seul vice est le whisky qu'il boit en tenant son journal, une habitude partagée par le révérend Ernst Toller de First Reformed) et enveloppe même de manière compulsive, chaque meuble de chaque chambre d'hôtel sale où il s'installe temporairement, d'un drap blanc.
Il sait que son âme est attendue dans les enfers pour les actes qu'il a commis (actes que l'on découvre dans des flashbacks presque hallucinatoire et à la pointe des violations des droits de l'homme, au moment de l'apogée des « interrogatoires » à Abou Ghraib), mais sa quête d'expiation n'en est que plus forte. Toute la filmographie de Schrader réside justement sur cette question cruciale de la possibilité de pouvoir se reconstruire malgré les péchés, et sa réponse s'avère une nouvelle fois, invariablement non, d'autant que les enjeux ne sont pas uniquement intime mais globale (les transgressions inhumaines commises déstabilisent autant les hommes que l'Amérique elle-même, au final la vraie coupable).

Copyright 2021 Lucky Number, Inc.

À l'instar de First Reformed, auquel il répond parfaitement (logique tant dans le monde de Schrader, nous avons tous quelque chose à cacher et nos sombres secrets reviennent toujours nous hanter), The Card Counter se fait une oeuvre hypnotique et obsédante sur un homme de conscience aux prises avec sa propre culpabilité, victime d'un monde moderne et impie, se clôturant elle aussi sur une note ambiguë, suggérant que l'absolution pouvait être permise à l'humanité, mais que nous sommes probablement déjà trop loin pour l'atteindre, trop enfoncés dans nos travers et défauts pour que nos âmes puissent être purifiées.
Un jugement dernier déjà acté que le cinéaste balance à la face du spectateur avec un calme olympien, à lui de décider si la pensée qu'il n'y a plus rien à faire pour changer ça, est à la fois apaisante (après tout, faire l'autruche est une habitude quotidienne que l'humanité a appliquée à différents sujets : la situation climatique, sanitaire,...) où profondément terrifiante.
Faîtes vos jeux...


Jonathan Chevrier
 

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