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[CRITIQUE] : The Power of the Dog


Réalisatrice : Jane Campion
Avec : Benedict Cumberbatch, Kirsten Dunst, Jesse Plemons, Kodi Smit-McPhee,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Western, Drame
Nationalité : Britannique, Canadien
Durée : 2h08min

Synopsis :
Originaires du Montana, les frères Phil et George Burbank sont diamétralement opposés. Autant Phil est raffiné, brillant et cruel – autant George est flegmatique, méticuleux et bienveillant. À eux deux, ils sont à la tête du plus gros ranch de la vallée du Montana. Une région, loin de la modernité galopante du XXème siècle, où les hommes assument toujours leur virilité et où l'on vénère la figure de Bronco Henry, le plus grand cow-boy que Phil ait jamais rencontré. Lorsque George épouse en secret Rose, une jeune veuve, Phil, ivre de colère, se met en tête d'anéantir celle-ci. Il cherche alors à atteindre Rose en se servant de son fils Peter, garçon sensible et efféminé, comme d'un pion dans sa stratégie sadique et sans merci…


Critique :



D’abord un livre, écrit par Thomas Savage, The Power of the Dog est maintenant un film de Jane Campion, entièrement. Douze ans après le magnifique Bright Star, où la réalisatrice néo-zélandaise nous emmenait en Angleterre suivre l’histoire d’amour éthérée entre John Keats et Fanny Brawne, elle nous montre désormais les plaines désertiques du Montana dans les années 20. Mais Jane Campion n’aime pas être conformiste. Si le western évoque les États-Unis, elle transpose le récit dans sa Nouvelle-Zélande natale, usant de la magie du cinéma pour nous faire croire que nous sommes face aux paysages américains. Alors que le Festival Lumières à Lyon vient de lui rendre hommage, qu’un de ses premiers films vient de ressortir au cinéma (Un ange à ma table), Jane Campion montre qu’elle n’est pas seulement une cinéaste du passé et que son regard est ô combien important dans le septième art.


Copyright KIRSTY GRIFFIN/NETFLIX

La cinéaste ne s’est jamais installée dans un genre cinématographique bien particulier. D’un cinéma symbolique buñuelien au thriller érotique, en passant par la romance gothique et l’épopée féminine, Jane Campion s’empare d’un genre pour en faire ce qu’elle veut. Après un crochet par la télévision et deux saisons de sa série policière Top of the Lake, la revoilà dans un film de fiction. Il sera difficile de passer à côté de l’ironie que ce western, un genre accès sur la salle de cinéma et son écran géant, sorte uniquement sur Netflix et ses écrans télévisés (ou d’ordinateur) par chez nous. Mais peut-être que le film arrivera à trouver son compte dans ce format. Comme à son habitude, Jane Campion s’est amusée à décortiquer le genre de son noyau pour obtenir un résultat à son image. The Power of the Dog dévoile une narration intimiste, sensuelle, prête à charmer son public quelque soit la façon dont on le découvre, comme un voile qui glisse lentement sur une peau nue.

Tout commence par un duo, deux frères différents par leur silhouette et leur caractère. Ce chiffre, deux, sera comme un leitmotiv, le récit révélant peu à peu des couples qui se font et se défont. Les deux frères Burbank tout d’abord. Phil, forme filiforme et réplique piquante, est la tête. George, visage poupon et démarche lourde, est le cœur. Riches fermiers, ils s’occupent de leur ranch d’une main de maître. Si la tête pensante continue à s’occuper des bêtes, à picoler et s’amuser avec les garçons d’écurie, le cœur, lui, n’est plus à la fête. George se traîne. Il est à contretemps de son frère et de leurs employés. Il ne dit pas les bonnes répliques, ne s’amuse plus. Pendant qu’il dérive, Phil le regarde, sourcils froncés. Peut-être voit-t-il déjà l’avenir se profiler. Un avenir où il ne serait plus que le beau-frère, tandis que George, heureux et marié, profiterait d’une vie sans lui. Il n’est pas question de sentiments cependant mais de pouvoir. Le malléable George n’est plus entre les mains rêches de Phil mais entre les tendres doigts de Rose, modeste cuisinière, qui élève seul son fils adolescent, Peter. Le duo originel n’est plus, remplacé par George et Rose, idéaliste et amoureux.


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Commence alors un long voyage vers la souffrance. Un jeu de pouvoir et de manipulation. Une souffrance de classe tout d’abord. Rose ne trouve jamais sa place de maîtresse de maison au ranch. Grâce à un judicieux travail sur la musique et le son, son éducation modeste ne cesse de la rappeler à l’ordre. Ancienne pianiste de cinéma, pour accompagner les films encore muets à l’époque, Rose n’est pas capable de jouer comme une bourgeoise qui aurait appris la musique seulement pour contenter quelques invités prestigieux. Sa façon de jouer est hasardeuse, son répertoire populaire, la honte l’empêche de placer ses mains sur l’instrument sans trembler. Phil, témoin de premier plan de ce cuisant échec, ne lui dira jamais un mot. Mais il sifflera les mélodies qu’elle essaie de recréer avec ses doigts noueux, puis jouera parfaitement sur son banjo. Cette façon, pernicieuse, de rabaisser sa belle-sœur et de lui rappeler qu’elle n’appartient pas à son monde, finit de persuader Rose qu’elle a fait une erreur en épousant George. La tragédie déploie son lent poison. Comme le premier duo, les deux frères, ce couple-ci commence à se déliter et à ne plus marcher à la même fréquence. Celle de George est l’ignorance feinte, mettre des œillères pour ne pas comprendre le mal-être de sa femme, malgré sa supposée sensibilité. Celle de Rose est l’alcool, pour y noyer sa honte et sa dépression.

Vient ensuite deux autres duos. Celui du passé, Phil et son mentor Bronco Henry, absent du cadre mais présent partout autour de lui. Dans ses dires, dans sa selle qu’il astique amoureusement, dans ce tissu avec les initiales, BH, que Phil se passe sur le corps alors qu’il est seul. Ce duo fait écho au dernier que Jane Campion filme, le rapprochement improbable entre Phil et Peter, le fils de Rose. Ce dernier est un jeune homme loin de se conformer aux stéréotypes de son genre et de son époque. Encore plus filiforme que Phil, Peter est un futur médecin, rigoureux et sensible. Il est à la fois mélancolique et cruel envers les animaux. Mais au contraire du cow-boy, cette cruauté à un but, en apprendre plus sur le fonctionnement des muscles et des nerfs pour ses cours. La mise en scène de la cinéaste s’attarde sur ses gestes sûrs, qu’il soit en train de découper le cœur d’un lapin ou de former des fleurs avec du papier. Ces gestes se répondent avec ceux de Phil, qui empoigne le cuir pour former une corde. Contrairement aux autres duos, bercés par la frustration, la désillusion ou l'absence, le couple que forme Phil et Peter est emprunt d’une sensualité vibrante et subtile, emmenée lentement mais sûrement vers un point d’orgue surprenant. Jane Campion déploie un regard acéré sur une époque et un genre empêtré dans des codes de virilité destructeurs. Elle se sert des paysages mordorés, d’une beauté stupéfiante pour mieux enfermer ses personnages. Phil ne fait qu’un avec les montagnes entourant son ranch. Il porte les mêmes couleurs qu’elles, y voit même un chien grâce aux ombres du soleil. Les falaises épousent ses propres formes comme si la nature et lui n’étaient en fait qu’une seule forme de vie. The Power of the Dog est une longue descente aux enfers, vers un désir interdit et une recherche de pouvoir malsaine pour contrebalancer la frustration.


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Il faut patienter, laisser le long métrage s’insinuer dans notre chair et notre respiration pour apprécier toute la beauté de ce cinéma frémissant. La mise en scène de Jane Campion se fait classique, beaucoup plus que pour ses autres films. Mais ici, ce classicisme lui sert à dévoiler une narration sinueuse, une histoire de vengeance dans une époque vouée à disparaître. Si son cinéma a longtemps filmé les femmes, avec une volonté de libérer ses héroïnes de leur carcan, The Power of the Dog met en scène pour la première fois des hommes en personnages principaux. La cinéaste épouse le western pour mieux les enfermer dans leur genre et dévoiler toute la toxicité de la figure du cow-boy, qui extermine les idéaux des autres tout autant que les siens.


Laura Enjolvy


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