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[TOUCHE PAS NON PLUS À MES 90ϟs] : #96. Following

Copyright Zeitgeist Films

Nous sommes tous un peu nostalgique de ce que l'on considère, parfois à raison, comme l'une des plus plaisantes époques de l'industrie cinématographique : le cinéma béni des 90's, avec ses petits bijoux, ses séries B burnées et ses savoureux (si...) nanars.
Une époque de tous les possibles où les héros étaient des humains qui ne se balladaient pas tous en collants, qui ne réalisaient pas leurs prouesses à coups d'effets spéciaux et de fonds verts, une époque où les petits studios venaient jouer dans la même cour que les grosses majors légendaires, où les enfants et l'imaginaire avaient leurs mots à dire,...
Bref, les 90's c'était bien, tout comme les 90's, voilà pourquoi on se fait le petit plaisir de créer une section où l'on ne parle QUE de ça et ce, sans la moindre modération.
Alors attachez bien vos ceintures, prenez votre ticket magique, votre spray anti-Dinos et la pillule rouge de Morpheus : on se replonge illico dans les années 90 !




#96. Following de Christopher Nolan (1998)

Le déconfinement est arrivé, les cinémas ont rouvert, et vous n’êtes pas sans savoir que de nombreux films attendus arrivent sur nos écrans très prochainement. Le plus médiatisé d'entre eux, c’est le dernier long-métrage de Christopher Nolan, Tenet, film d’espionnage saupoudré de fantastique, comme peuvent nous laisser imaginer ses premières images. Avant cela, nous cinéphiles avons le temps de nous replonger dans les œuvres précédentes du cinéaste britannique. Et quoi de plus logique, avant de réserver nos places pour sa dernière œuvre, que de (re)découvrir sa première.
Son premier long-métrage, Following, sorti en 1999, a tout d’un premier film étudiant. Un nombre restreint de personnages principaux – trois -, des lieux publics ou des appartements facilement accessibles, une intrigue s’ancrant dans la réalité des individus, et un grain d’image particulier : un noir et blanc de pellicule qui rend le tout extrêmement organique. Le montage, quant à lui, dupe sans arrêt le spectateur comme le personnage principal tente de tromper son entourage, de manière non-chronologique. Et comme tout film de Nolan qui se respecte, vous aurez le droit à un twist final, mais promis, cette fois ce n'est pas un rêve. On y voit déjà les traces de Memento, sorti deux ans plus tard, où les défaillances mémorielles de son personnage principal étaient exprimées par le biais d’un montage volontairement éclaté, censé représenter la perception intime de ce protagoniste.

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Le film raconte l'histoire de Bill, romancier londonien qui, pour pimenter sa vie et nourrir ses œuvres, tue son temps libre en suivant des personnes prises au hasard, dans la rue. Sa routine est brisée lorsqu'il rencontre Cobb, un cambrioleur, ce dernier ayant remarqué la conduite voyeuriste de Bill. Les deux hommes vont s'allier pour faire des coups, avec l'espoir de se faire de l'argent en pénétrant dans le domicile des gens.
Le nombre restreint de personnages impose une logique humaine dans la narration. L’angle psychologique, primordial chez le cinéaste, est ici le moteur de ce premier film. De quelle manière pouvons-nous comprendre un individu, juste en rentrant chez lui ? En apprenons-nous autant sur nous-mêmes ? L’intrusion dans l’intimité est essentielle pour comprendre la suite de ses films. Rentrer dans les rêves d’autrui (Inception) dans la mémoire (Memento), est finalement la continuité logique de ce premier essai de cinéma, mais d’une manière brute ici. C’est un film de faux-semblants, d’arnaqueur et de dupés, comme le cinéaste l’a bien fait dans la suite de sa carrière. Le montage emprunte la voie du non-chronologique. La caméra à l’épaule, donne quasiment un aspect documentaire à ce film, tant Nolan stylise au minimum ses effets de réalisation. Le mélange de cet aspect classique de la mise en scène, et moderne de son montage, donne un cachet supplémentaire au film, une force qu’on peut appeler identité.
Tout est bien dosé dans cette heure et 10 minutes plutôt efficaces, où le jeu des acteurs en est pour beaucoup. L’intrigue est simple mais prenante, sans grand artifice. Il est assez rare de voir Nolan faire des gros plans. Son usage récurrent du format IMAX depuis The Dark Knight lui a permis la mise en images de plans spectaculaires, en grand angle, pour des panoramas dantesques, en digne héritier de David Lean. Ce qui est notable c’est cette succession de très gros plans dans l’ouverture du film, des mains écrivant sur du papier. Rien de bien révolutionnaire mais une sensation d’intimisme, et une métaphore du propos du film est déjà observable : Nolan écrit sur des gens, comme vous et moi, et en fait une analyse qui n’en sera pas élogieuse. La caméra est trop proche, tout comme le cinéaste est trop voyeur de ces personnages, le portrait sera donc chirurgical, presque scientifique.

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C’est un film plutôt bavard, mais ici tout reste plutôt naturel. Qu’on aime ou pas le cinéaste, il faut reconnaître -du moins dans ses derniers films- que les dialogues partent souvent en combat de citations philosophiques, notamment lorsqu’un personnage principal finit par sortir la tagline du poster qu’on a vu à l’entrée de la salle. Ici, se dégage quelque chose de très vrai, dans le sens où les échanges verbaux sont fluides, bien coupés, les hésitations paraissent sincères. C’est ce qui fait parfois la beauté des premiers films, c’est leur honnêteté, et le film en a beaucoup.  Le film dure 1h10 et c’est la durée idéale. Nolan gère son tempo parfaitement, sait quand commencer le dialogue, sait quand faire une pause dans l’intrigue, sait imposer le silence. C’est un film qui a été tourné sur une année, pendant les disponibilités de ses acteurs, et chacun est utilisé à la perfection.
La question de l’addiction chez Nolan, plus précisément de l’adrénaline, est ici la plus notable de sa carrière. Que les personnages soient des fanatiques de la justice expéditive (la trilogie The Dark Knight), de l’intrusion dans l’esprit d’autrui (Inception) ou de la magie (Le Prestige), jamais le réalisateur n’a été aussi frontal dans son questionnement des conséquences d’une addiction particulière. Le voyeurisme travaillé dans cette histoire révèle l’attachement de Nolan pour ses personnages moralement complexes. Il y a sûrement quelque chose de méta, dans cette idée que le personnage est un écrivain se servant des comportements des autres pour les instiller dans ses histoires. De la même manière, Nolan se sert de ses personnages, proches du commun des mortels, pour expliquer sa manière d’écrire. Il agit en tant qu’observateur intime des enjeux humains, de leurs décisions (im)morales pour résoudre un problème auquel il a réellement été confronté : Christopher Nolan a été cambriolé par le passé, et c’est cette anecdote qui lui a donné envie d’écrire cette histoire. Le cinéma a ça de magnifique qu’il permet à des êtres humains d’exprimer leurs angoisses, et d’exorciser ces peurs fondamentales de vivre dans un univers où l’on ne peut comprendre les motivations de son voisin le plus proche. Hantise qui perdure dans ses œuvres les plus récentes, car comme le dit le majordome Alfred dans The Dark Knight : « Il y a des personnes qu’on ne peut raisonner. Certains veulent juste voir le monde brûler ».

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Nolan, en réalisant ce film, dresse le portrait d’individus paranoïaques et insécurisés, ces derniers cassant le matérialisme d’inconnus vivant dans un confort protecteur illusoire. Là où est le paradoxe, c’est que cette invulnérabilité de ne jamais se faire prendre est rapidement cassée. Le monde est trop vaste, trop plein, pour passer inaperçu, et le voile est toujours fragile. Un tour de magie ne garde jamais son secret longtemps, tant que des spectateurs peuvent tourner autour.
La fragilité de l’être humain, à la fois physique et psychologique, est un des fondements du cinéma de Christopher Nolan, et Following en est le premier essai (réussi). Il n’est certes pas exempt de défauts, mais il a le mérite de cerner justement une problématique contemporaine : l’être humain se croit constamment infaillible, piégé dans un monde d’illusions et d’images (les photos collées dans l’appartement du héros sont plutôt évocatrices). Celles et ceux qui désirent en survivre par le biais de l’artifice se retrouvent piégés, et punis. La suite de la carrière de Nolan prouvera que la fuite de ces mondes chaotiques est toujours préférable à l’idée à son remodelage conscient. La seule personne qui parvient au contrôle, c’est le cinéaste, car omniscient, façonnant ses films comme des pièces, dupant à la fois ses spectateurs et ses personnages. Comme si le cinéaste voulait une identification du spectateur à son propre ressenti, l’esprit chamboulé à l’idée d’avoir son univers intime perturbé. Là où Nolan trouve une justice par rapport à sa vie, c’est par le médium cinéma, car les arroseurs finissent toujours arrosés, depuis le début du cinéma, et certainement jusqu’à sa fin.


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Même si Following n’est pas un des films les plus importants de son époque, il reflète la philosophie des années 1990 : un film fait sans énormément d’argent, mais assez de passion pour qu’une véritable identité cinématographique s’en dégage. Un film de références filmiques, ici le film noir, réfléchi par une bande de potes allant jusqu’au bout pour concrétiser une vision. Les années 1990 sont une époque où le numérique commence à pointer le bout de son nez, pour une accessibilité du médium bien plus large. Pourtant, lorsque l’argentique était encore la norme, des cinéastes indépendants parvenaient à produire des films percutants et personnels malgré la contrainte. Following est un de ces films, et quand on voit le contrôle que le réalisateur a maintenant sur ses productions actuelles, finalement la douleur n’en était que nécessaire.


Florian


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