[CRITIQUE] : Les Brasiers de la Colère
Réalisateur : Scott Cooper
Acteurs : Christian Bale, Woody Harrelson, Casey Affleck, Willem Defoe, Zoé Saldana, Forest Whitaker, Sam Shepard,...
Distributeur : Metropolitan FilmExport
Budget : 22 000 000 $
Genre : Drame, Thriller.
Nationalité : Américain.
Durée : 1h56min.
Synopsis :
À Braddock, une banlieue ouvrière américaine, la seule chose dont on hérite de ses parents, c’est la misère. Comme son père, Russell Baze travaille à l’usine, mais son jeune frère Rodney a préféré s’engager dans l’armée, en espérant s’en sortir mieux. Pourtant, après quatre missions difficiles en Irak, Rodney revient brisé émotionnellement et physiquement. Lorsqu’un sale coup envoie Russell en prison, son frère cadet tente de survivre en pariant aux courses et en se vendant dans des combats de boxe. Endetté jusqu’au cou, Rodney se retrouve mêlé aux activités douteuses d’Harlan DeGroat, un caïd local sociopathe et vicieux. Peu après la libération de Russell, Rodney disparaît. Pour tenter de le sauver, Russell va devoir affronter DeGroat et sa bande. Il n’a pas peur. Il sait quoi faire. Et il va le faire, par amour pour son frère, pour sa famille, parce que c’est juste. Et tant pis si cela peut lui coûter la vie.
Critique :
Force est d'admettre qu'avec le somptueux Crazy Heart en 2009, l'acteur/réalisateur Scott Cooper s'imposait de facto avec son premier long-métrage derrière la caméra, comme un cinéaste à suivre de très, très près.
Offrant ni plus ni moins que l'un des meilleurs rôles de sa carrière à l'immense Jeff Bridges - c'est simple, il n'y a que chez les Coen qu'on l'a vu aussi merveilleux -, le bonhomme attirait surtout notre fibre cinéphile pour sa passion des personnages profonds et admirablement bien sculptés, tout autant que sa vision d'une Amérique white trash et épurée de son triomphalisme gerbant.
Radical et sans aucune concession, le voilà de retour cette semaine avec Les Brasiers de la Colère, promesse de longue date d'une œuvre aussi bouillante et noir que douloureuse, un riche drame familiale sur fond de revenge movie viscéral et déchirant.
Dès l'ouverture, Cooper annonce la couleur, son film sera violent, rude et d'une noirceur qui si elle ne vous met pas mal à l'aise, vous retourne littéralement les tripes tant celle-ci est aussi impitoyable que désintéressé.
Un couple se dispute dans un drive-in, devant Midnight Meat Train (un film d'horreur sanglant, ça met toujours bien dans l'ambiance), à propos d'un hot-dog mal consommé, et lorsque qu'un citoyen lambda intervient pour calmer l'homme qui s'en prend physiquement à sa petite amie, celui-ci se fait littéralement lynché, comme punit pour avoir voulu faire ce qui est juste.
En l'espace de deux toutes petites minutes, le cinéaste impose littéralement Harlan DeGorat comme un être détestable et à la folie imprévisible mais surtout, il met à mort une certaine vision idyllique de l'Amérique, en injectant la brutalité qui gangrène le pays dans l'une de ses images les plus populaires (les cinémas à ciel ouvert qu'on leur enviait tant).
Car tout du long ce qui intéressera le metteur en scène, c'est de rendre l'hommage le plus vibrant et puissant possible à l'Amérique profonde, la vraie, l'actuelle et souvent oubliée (volontairement on dira, tant elle paraît cruellement trop édifiante pour qu'Hollywood en fasse une peinture vendeuse), ouvrière, peuplée de familles aussi dysfonctionnelles que frappées par la dure loi d'une crise économique dévastatrice et d'un pays qui ne se soucie guère d'elles.
Très seventies dans son traitement frontal des rapports humains et sa grammaire cinématographique foutrement classique et naturel, le film de Scott Cooper cite autant l'âpreté des cinémas de Sam Peckinpah et Michael Cimino - Voyage au Bout de l'Enfer surtout - que la sobriété du cinéma de Clint Eastwood (et notamment ici, son superbe Mystic River).
Complètement à l'opposé de Crazy Heart - mélo musical gorgé d'espoir -, Les Brasiers de la Colère transpire de tous les pores le sang et la sueur mais surtout la rage, la rage face à un mal, face à un échec social qui chaque jour pèse de plus en plus lourd (l’économie agonisante, l'accumulation de guerres inutiles et incompréhensibles, la violence d'un peuple de moins en moins compris et soutenu par son gouvernement,...), et dont seule la révolte - furieuse et criante - semble paraître comme l'unique moyen de pleinement pouvoir subsister.
C'est ce que sera d'ailleurs obligé de faire le héros Russell, personnage central autour duquel tous les autres gravitent, acteur de la lente et bouleversante chute de sa famille et qui, pour défendre la justice, son honneur et celui de son frère, va devoir s'opposer au terrifiant Harlan DeGroat.
Prenant son temps pour raconter son histoire et usant des ellipses à la perfection, démarrant sur une première partie exposant la relation pleine d'amour et de complexité entre deux frères (très American History X dans l'idée) - l’aîné noble et droit, repentit de ses fautes frappé par les injustices, et le cadet, soldat de l'armée américaine, est traumatisé depuis son retour d'Irak - au milieu d'une cité d'ouvriers du fin fond de la Pennsylvanie, la péloche glisse peu à peu dans un redoutable et tragique conte noir à l'émotion palpable, qui si il ne renouvelle en rien le genre, est d'une maîtrise à toute épreuve.
Chaque coups que le cinéaste assène - que ce soit ceux que se donnent les corps meurtris des combattants clandestins ou même ses lourds plans caméra à l'épaule et aériens, appuyés par un score joliment pesant - sont percutants et font mouche jusqu'à un final jusqu'au-boutiste sublime, westernien, défiant toute morale et poussant fortement à la réflexion.
Esthétiquement remarquable et emplit de grâce et de pureté même dans sa brutalité la plus primaire, jouant autant sur la méticulosité de son récit, de ses dialogues et de la subtilité des émotions se dégageant de moments simples et réalistes (les retrouvailles entre deux amoureux, l'annonce de la perte d'un proche), Out of The Furnace prouve surtout et avant tout l'incroyable capacité de directeur d'acteurs de Scott Cooper, qui offre ici un écrin formidable à une pléthore de talents tout simplement au sommet de leur art.
D'une Zoé Saldana plus belle que jamais à un Willem Defoe impressionnant en petit parrain de la pègre locale, en passant par Sam Shepard charismatique, un Woody Harrelson dément et en complet contre-emploi (encore une fois, il est impeccable et prouve qu'il est l'un des meilleurs seconds-rôles du cinéma ricain) sans oublier un génial et indispensable Casey Affleck, touchant et animal; tous s'emploient à rendre le film beau à en crever, mais également à magnifier la composition bigger than life d'un Christian Bale exceptionnel et à la palette de jeu définitivement hors catégorie.
D'une détresse et d'une positivité poignante, tout en intériorité et en noblesse, et dont chaque regard est mille fois plus expressif que des mots, il livre ni plus ni moins que l'une de ses plus complexes et imposantes performances, qui vaut à elle seule le prix du billet en salles.
Futur classique en puissance de la part d'un désormais grand cinéaste ricain, portrait dramatique sombre et bouleversant sur une réalité américaine qui l'est tout autant, universel dans son propos mais également vraie péloche de " gueules " et de bonhommes comme on n'en voit que trop rarement, Les Brasiers de la Colère est de ces claques instantanés qui vous prends de tout son long par le cœur et les tripes, et dont on ne se lasse jamais d'admirer la beauté fulgurante.
Incontestablement l'un des indispensables d'un début d'année 2014, à la qualité savoureusement surprenante...
Jonathan Chevrier