[ENTRETIEN] : Entretien avec Emmanuel Mouret (Trois Amies)
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Réalisateur
d’une grande sensibilité, Emmanuel Mouret revient avec Trois
amies, histoires de culpabilités et de quêtes d’amour dans la veine de
sa filmographie. Nous avons eu l’occasion d’échanger quelques mots à ce sujet
avec lui.
J'avais cette trame, celle du personnage de Joan, interprété par India Hair, qui m'intéressait depuis quelques temps : l'histoire d'une femme qui, quelque part, souffre de ne pas être aussi amoureuse que son compagnon et, se sentant trop malhonnête, ne parvient plus à le cacher. - Emmanuel Mouret
D’où
est venue l’idée du film ?
Alors,
au départ vient toujours l'envie de faire un film. J'avais cette trame, celle du
personnage de Joan, interprété par India Hair, qui m'intéressait depuis
quelques temps : l'histoire d'une
femme qui, quelque part, souffre de ne pas être aussi amoureuse que son compagnon
et, se sentant trop malhonnête, ne parvient plus à le cacher. En lui avouant, elle
va dire indirectement une sorte de malheur, parce qu'il le prend très mal et en
disparaît. Ce personnage souffre ensuite d’avoir été honnête et a peur de faire
du mal. J'aime bien dans le film cette forme de conflit d'honnêteté, que c'est
quelqu'un à la fois de bien, qui aime beaucoup son compagnon, mais en même
temps qui va être honnête. Et comme je trouvais cette ligne assez
mélodramatique, je me suis dit que ce serait bien aussi des contre-points de
personnages qui épousent des idées différentes, et de là est né le personnage
d'Alice, interprété par Camille Cottin, qui pour le coup n'a pas du tout le
même rapport au couple. Elle lui avoue qu'elle n'est pas amoureuse, mais c'est
pour ça qu'elle est bien. Pour elle, être amoureuse, c'est l'enfer, elle donne
le change à son compagnon. Et le spectateur découvre que la troisième amie a
une liaison amoureuse avec ce compagnon. Ce qui m’intéressait, ce sont ces trois
amies qui ont une relation à l'amour et aux idées concernant le couple,
l'autre, et de soi différentes, mais qui sont quand même liées par une amitié.
Vous
avez utilisé le terme « mélodrame ». Le film trouve un équilibre justement
entre le mélodrame et une forme de marivaudage. Comment trouver cet équilibre
émotionnel pour garder cet affectif, cet aspect faussement léger avec ce drame
de fond ?
C'était
un peu l'ambition du film, de pouvoir passer du drame, à la fantaisie, à des
choses en effet plus légères et parfois plus graves, d'entremêler quelque part
tout ça. Je ne sais pas comment on a fait, en développant plusieurs récits qui
s'entrelacent, qui sont de natures différentes et qui ont des moments eux aussi
légers et graves, mais c'est quelque chose dont j'avais envie. C'est ce que
j'aime dans certains films qui m'ont marqué dans ma cinéphilie, comme La
garçonnière de Billy Wilder, c'est un film où on pleure et on rit à la
fois. Cela se retrouve aussi dans les films de Leo McCarey comme Elle et
lui, qui est plus dramatique, mais qui a aussi des moments assez drôles.
Et j'avais envie de travailler autour de cette valse d'émotions.
Pour
parler de l'introduction, il y a cette voix off par Victor qui crée une forme de
distanciation autant que de rapprochement.
Dans la structure dramatique, j'avais besoin au début qu'on ait un peu de la suite, parce que le récit commence et il se met à présenter un personnage qui n'est pas lui, mais qui le remplace. Le spectateur a un peu la pression, ce doute, qu'il va se passer quelque chose. Et en même temps, ça me permettait de présenter le personnage de Damien Bonnard. Et puis, j'aime beaucoup les récits, aussi avec les voix off. J'aime bien prendre cette idée de présenter des lieux, qu'on allait voir ensuite, tout ce qui peut rendre assez ludique la vision. J’aime beaucoup la voix off dans tout ce qu'elle permet. Il y avait, en tout cas, une idée de jouer avec le spectateur, de donner des éléments, d'en faire pressentir certains, de jouer avec l'image, de jouer avec le récit. J'avais envie de commencer avec ce ton amusé, d'autant plus ce personnage de narrateur qui n'est plus là, ce mort qui s'adresse à nous. Pour continuer sur ce personnage interprété par Vincent Macaigne, c'est quelqu’un qui, lorsqu'il est vivant, a un amour très possessif, paniqué, un peu à vif, et qui, une fois mort, aime d'un amour détaché, véritable, soucieux.
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Je
trouve aussi que c'est un très beau personnage qui fonctionne justement par ça.
J'aime bien ce que Vincent Macaigne arrive à apporter en bonhomie, sans savoir
si c’est le bon terme…
Tout
à fait, c'est un terme qui me plaît aussi, en tout cas qui résonne en moi. Je
me suis attaché à cet ensemble de personnages qui sont tous dans des situations
qu'on pourrait juger moralement discutables mais j'ai essayé qu'on puisse les
comprendre et qu'on puisse même les rendre attachants. Il y a quelque chose qui
m'intéresse au cinéma, ce sont les moments où on prend des personnages qui
veulent être des gens bien. C'est pour ça que les situations sont d'autant plus
cruelles lorsqu’il arrive des histoires entre des personnes qui essaient de
bien faire mais qu’elles font du mal malgré elles. Ce sont donc des personnages
qui essaient de respecter leur engagement mais veulent en même temps être
honnêtes avec eux-mêmes, leurs désirs, etc. Et donc, ce fait d’être honnête
avec soi et d'être quelqu'un de bien par rapport à leurs engagement à l’amour,
aux amis, à la société, fait qu’il y a quelque chose qui n'est pas possible. Et
on les prend sur des moments où on ne peut pas être honnête avec ce qu'on
ressent et avec ses engagements, un peu comme dans les films de gangsters. Ils sont
très honnêtes vis-à-vis de leur clan, ils en respectent toutes les règles. Mais
à un moment donné, on va leur demander d'aller tuer quelqu'un pour qui ils
ressentent quelque chose : de l’affection, de l’amitié, de l'amour, … C'est
pour ça que je dis qu’une comédie de couple est un peu une situation semblable à
un film de truands.
Pour
rebondir sur un point technique, si je ne me trompe pas, vous utilisez deux
fois un traveling avant sur le visage de Joan pour exprimer vraiment son
inquiétude.
Il
y a d'autres moments où il y a un travelling avant, comme le moment où elle est
derrière la porte et qu'elle est remuée par la rencontre avec Martin. Mais oui,
ce sont des petits moments où je me sers de ce travelling avant parce que c'est
quelqu'un qui est très intérieur, tout en retenue, qui retient beaucoup,
beaucoup de choses. Le fait de retenir est une figure qui me touche aussi
beaucoup au cinéma, parce qu’il y a des personnages qui vident leurs tripes, ceux
qui gardent, parce qu'ils veulent être bien et faire attention. Ils se
retiennent et il y a une sorte de dramatisation qui m’intéresse en tout cas.
J'ai
lu dans un article que vous aviez travaillé le montage pour rendre le film « hyper
narratif ». Est-ce qu'il y a moyen d'expliquer ?
Alors, ce n’est pas le montage mais davantage le scénario. Disons que j'aime bien les histoires et j'avais envie d'une histoire pleine d'histoire, d'une certaine manière. C'est en ça que je veux dire hyper narratif. Et au montage, le monteur s’amusait à dire que c’était une sorte de série en un seul épisode. Ce que j'aime du cinéma par rapport à la série, c'est cet aspect de conte. Quand on va avoir un film qui doit durer une heure et demie, on peut sortir de la salle et se refaire l'histoire. J’aime les histoires, j’aime les contes et j'aime sortir d'un film et qu’on ressente les histoires.
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Vous
collaborez continuellement avec Laurent Desmet à la photo. Comment sentez-vous
votre relation de travail avec lui, de quels plans avez-vous discuté par
rapport à la gestion de la lumière sur certaines images ? Je pense à ce
premier baiser où la lumière est vraiment accentuée.
La
lumière est souvent déjà amenée par les décors. On a travaillé avec des
lentilles, des optiques, avec des scopes très anciens, datant je crois des
années 30. Aujourd’hui, les caméras sont tellement précises. Donc Laurent
Desmet me dit qu’avec leur degré de précision et leurs optiques, c’est devenu
des caméras dermatologiques, au point qu'on voit tous les détails. L'idée,
c'est d'adoucir l'image et les visages, de ne pas être trop ultra chirurgical
dans la peau. C'est plutôt un travail autour des peaux qu'a essayé de mener Laurent
Desmet et en travaillant avec de vieilles optiques panavision dont certaines
quasiment sorties de musée pour avoir cette texture douce, parfois un peu laiteuse,
qui donne peut-être cette ambiance au film.
Est-ce
qu'il y a moyen de discuter de ce dernier plan ?
J’aimais
l’idée que Vincent Macaigne réapparaisse, que le cinéma permette les fantômes.
Et en permettant les fantômes, il permet la représentation d'une réalité
psychologique. Nous ne voyons pas les fantômes mais on vit avec nos proches qui
ont disparu, on garde un lien avec eux, on dialogue avec eux. Et quelque part, ce
que fait le cinéma, ce n’est pas quelque chose de tout à fait irréel mais
justement de bien réel, qu’on pense très souvent quelque part avec nos fantômes.
D’autant plus qu’un film, ce n'est pas tant la représentation de notre monde
extérieur, mais de notre monde intérieur. Tous les personnages sont des aspects
quelque part de nous-mêmes. Donc le fantôme revient une première fois, sans
savoir si c’est dans un rêve, mais c'est le seul moment, on les voit dialoguer.
Est-ce que c'est un rêve ? Est-ce c'est un dialogue qu'elle a en elle-même
avec lui ? Chacun se racontera son histoire. Mais je trouvais ça amusant
que nous, spectateurs, on le voie revenir, mais qu'il n'arrive plus à rentrer
en contact avec elle, que ce qui s'est produit une fois ne se reproduise plus
et que le fantôme se retrouve, comme nous, être humain, à ne pas plus pouvoir entrer
en contact avec les morts. Mais les spectateurs peuvent voir quelque chose de
cette réalité-là, que la vie sensible ne peut pas nous montrer. Et comme
Vincent Macaigne avait commencé l'histoire en tant que narrateur, je ne me
voyais pas finir avec une voix. Je trouve que c'était bien qu'on finisse cette
petite histoire sur India Hair, mais juste qu'on le voie, et que peut-être cette
nouvelle rencontre qu'elle fait lui permette aussi de s'éloigner et de la
laisser. Je trouve ça joli, ce geste qui la laisse vivre aussi sa propre vie,
lui qui était toujours sur elle.
Entretien réalisé par Liam Debruel.
Merci
à Maud Nicolas et Vertigo films pour cet entretien.