[CRITIQUE/RETROSPECTIVE] : Rétrospective Max Ophüls en 3 films
Rétrospective Max Ophüls en 3 films : Sans lendemain (1940), Le Plaisir (1952) et Madame de... (1953).
Distribution : Les Acacias Distribution / Gaumont
Le cinéma - béni - de Max Ophüls, c'est le cinéma de l'éclat, de l'éblouissement, de l'émerveillement constant, fruit d'une caméra à l'élégance et à la grâce rares, sans nulle pareille, qui valse avec les âmes qui s'aventurent devant elle - à l'image de ses plans séquences, reconnaissables entre mille.
S'y plonger, instinctivement et sans réserve, c'est découvrir avec gourmandise ses œuvres, accumulation indécente de toiles réalistes en mouvement continu qui surlignent la beauté nostalgique de l'éphémère, sondent avec acuité la banalité de la vie bourgeoise, auscultent sans artifice les relations humaines, imposent l'amour comme un trésor à la fois palpable et inaccessible pour ses personnages.
Un immense et romantique faiseur de rêve (l'un des plus talentueux et influents cinéastes de l'histoire du septième art, aucun débat là-dessus) mais aussi et surtout, un cinéaste du monde (sa filmographie est marquée par la pluralité des cadres et des langues) et grand amoureux des femmes, sans doute le seul cinéaste de son temps, avec le grand Mikio Naruse, à avoir su capturer et refléter la psychologie féminine dans toute sa densité et sa complexité, dans tous ses tourments et dans toute sa/ses vérités.
Presque prophétique dans son titre (il est sorti à la veille de l'occupation nazie en France), autant que dans sa manière profondément métaphysique de jouer autour de la nécessité de rompre avec son propre passé - même au cœur d'un présent troublé -, Sans Lendemain pourrait presque avoir les faux airs d'un Ophüls mineur (et encore plus au cœur de cette mini-rétrospective), s'il n'embrassait pas avec une lucidité désarmante et grave, la désillusion tragique d'une existence sans optimisme et que l'on sait condamnée à la noirceur.
Romance tragique mêlant dans un ballet des sens le glamour et le sordide, à l'image du quotidien d’Evelyne (formidable Edwige Feuillère), ancienne femme de la haute société devenue entraineuse dans un cabaret parisien, qui doit s'effeuiller pour subvenir à son propre bien et à celui de son rejeton, à la suite d'un mariage loin d'être heureux.
Tout bascule (où, tout du moins, encore un peu plus) lorsqu'elle doit jongler à la fois avec le retour dans ses pattes du dit môme, fraîchement renvoyé de sa pension, mais aussi celui de Georges, un ancien amant éconduit dix ans plus tôt, et qu'elle n'a jamais cessé d'aimer.
De ce retour va naître un mensonge bien trop grand pour ses épaules, celui d'un orgueil trop imposant, d'un déni de la vérité aux yeux de celui qui fait battre son cœur, le soucis de maintenir les apparences et de ne jamais lui montrer sa déchéance et son déclassement social, dans une sorte de subterfuge romantique qui ne peut mener qu'au pire, et non un salut à la fois sentimental et familial pieusement souhaité.
Ophüls trouve dans cette tragédie folle la force de créer de la poésie, de la beauté dans la douleur intime et la noirceur obsédante d'Evelyn, pécheresse et martyre sacrificielle dans un même mouvement maladroit et insouciant, piégée dans un monde pétri de dilemmes et de contradictions insolubles.
Pessimiste, Max Ophüls ? Si peu...
Cette rétrospective se termine avec peut-être, sans doute, son plus beau chef-d'œuvre, Madame de..., cousin pas si éloigné du Madame Bovary de Flaubert (l'adaptation d'une nouvelle de Louise de Vilmorin), splendide mélodrame enlacé dans le désenchantement de La Belle Époque, vissé sur l'ennui profond d'une comtesse engoncée dans une union sans amour, tout en complaisance et en infidélité, mais aussi et surtout dans une vie de cours dont elle s'amuse autant qu'elle souffre de ses enfantillages et de ses artifices.
Elle n'est pas elle-même, elle n'est que dans la représentation tragique, futile, désenchantée.
Elle est tellement consciente de sa vacuité existentielle qu'elle en vient à un peu trop y succomber, plus que de raison même, au point de s'endetter et de dilapider sa propre bijouterie, en vendant une paire de boucles d’oreilles offertes au lendemain de leurs noces par son mari, qui deviendra le symbole de la valse des apparences dans laquelle elle a emporté tout le monde, alors que son amant, un diplomate italien pour lequel elle s'amourache fougueusement (une romance adultère tortueuse et, paradoxalement, pure dans sa passion), telle une adolescente impuissante, en fait un cadeau d'amour.
Distribution : Les Acacias Distribution / Gaumont
Le cinéma - béni - de Max Ophüls, c'est le cinéma de l'éclat, de l'éblouissement, de l'émerveillement constant, fruit d'une caméra à l'élégance et à la grâce rares, sans nulle pareille, qui valse avec les âmes qui s'aventurent devant elle - à l'image de ses plans séquences, reconnaissables entre mille.
S'y plonger, instinctivement et sans réserve, c'est découvrir avec gourmandise ses œuvres, accumulation indécente de toiles réalistes en mouvement continu qui surlignent la beauté nostalgique de l'éphémère, sondent avec acuité la banalité de la vie bourgeoise, auscultent sans artifice les relations humaines, imposent l'amour comme un trésor à la fois palpable et inaccessible pour ses personnages.
Un immense et romantique faiseur de rêve (l'un des plus talentueux et influents cinéastes de l'histoire du septième art, aucun débat là-dessus) mais aussi et surtout, un cinéaste du monde (sa filmographie est marquée par la pluralité des cadres et des langues) et grand amoureux des femmes, sans doute le seul cinéaste de son temps, avec le grand Mikio Naruse, à avoir su capturer et refléter la psychologie féminine dans toute sa densité et sa complexité, dans tous ses tourments et dans toute sa/ses vérités.
Deux ans après la ressortie, en version restaurée 4K, de son chef-d'œuvre Lettre à une inconnue, ce n'est pas un mais bien trois films en versions elles aussi restaurées, issus de sa période française - la plus merveilleusement baroque -, qui débarquent donc à nouveau dans nos salles obscures, sous la houlette du distributeur Les Acacias, qui a fait le (merveilleux) choix de nous gâter du début jusqu'à la fin de cette dense année ciné 2024 avec le très rare Sans lendemain (1940), Le Plaisir (1952) et Madame de... (1953) - considéré comme son plus grand effort.
Sans Lendemain ® 1940 Gaumont - Les Acacias (Les Acacias/Gaumont)/ |
Presque prophétique dans son titre (il est sorti à la veille de l'occupation nazie en France), autant que dans sa manière profondément métaphysique de jouer autour de la nécessité de rompre avec son propre passé - même au cœur d'un présent troublé -, Sans Lendemain pourrait presque avoir les faux airs d'un Ophüls mineur (et encore plus au cœur de cette mini-rétrospective), s'il n'embrassait pas avec une lucidité désarmante et grave, la désillusion tragique d'une existence sans optimisme et que l'on sait condamnée à la noirceur.
Romance tragique mêlant dans un ballet des sens le glamour et le sordide, à l'image du quotidien d’Evelyne (formidable Edwige Feuillère), ancienne femme de la haute société devenue entraineuse dans un cabaret parisien, qui doit s'effeuiller pour subvenir à son propre bien et à celui de son rejeton, à la suite d'un mariage loin d'être heureux.
Tout bascule (où, tout du moins, encore un peu plus) lorsqu'elle doit jongler à la fois avec le retour dans ses pattes du dit môme, fraîchement renvoyé de sa pension, mais aussi celui de Georges, un ancien amant éconduit dix ans plus tôt, et qu'elle n'a jamais cessé d'aimer.
De ce retour va naître un mensonge bien trop grand pour ses épaules, celui d'un orgueil trop imposant, d'un déni de la vérité aux yeux de celui qui fait battre son cœur, le soucis de maintenir les apparences et de ne jamais lui montrer sa déchéance et son déclassement social, dans une sorte de subterfuge romantique qui ne peut mener qu'au pire, et non un salut à la fois sentimental et familial pieusement souhaité.
Ophüls trouve dans cette tragédie folle la force de créer de la poésie, de la beauté dans la douleur intime et la noirceur obsédante d'Evelyn, pécheresse et martyre sacrificielle dans un même mouvement maladroit et insouciant, piégée dans un monde pétri de dilemmes et de contradictions insolubles.
Mélodrame à la lisière du film noir dans son esthétique comme dans ses thématiques, où les flashbacks sont si subtilement articulés qu'ils décuplent la puissance émotionnelle de la narration au présent, Sans Lendemain est de ces séances qui marquent la rétine pour ne plus jamais le quitter.
Tout comme Le Plaisir, où le cinéaste adapte et s'amuse avec l'œuvre de Maupassant - voire même avec l'auteur lui-même, tout en laissant de côté son cynisme un poil méprisant -, fait se nouer la maestria narrative de cette incroyable source littéraire avec sa propre maîtrise proverbiale du septième art et d'une caméra continuellement en mouvement, continuellement dans une expressivité extravagante et absolue.
Tout comme Le Plaisir, où le cinéaste adapte et s'amuse avec l'œuvre de Maupassant - voire même avec l'auteur lui-même, tout en laissant de côté son cynisme un poil méprisant -, fait se nouer la maestria narrative de cette incroyable source littéraire avec sa propre maîtrise proverbiale du septième art et d'une caméra continuellement en mouvement, continuellement dans une expressivité extravagante et absolue.
A l'instar de La Ronde qui se faisait l'adaptation une pièce d'Arthur Schnitzler, c'est une expérience épisodique scindée en trois parties comme autant de textes adaptés (Le Masque, La Maison Tellier aux accents Buñueliens et Le Modèle), où le " plaisir " vanté par le titre n'est in fine qu'une quête perdue pour l'obtenir, d'autant plus lorsqu'il se confronte aux dures lois de l'amour et de sa cage dorée, expression d'une loyauté plus perverse qu'elle n'en a l'air, comme si le bonheur n'était qu'une chimère fugace que l'on ne vit qu'une poignée de secondes, avant de frénétiquement et mélancoliquement se lancer à sa vaine et désespérée recherche.
Le plaisir n'est alors guère plus qu'un bien tragiquement consommable, superficiel, périssable.
Le plaisir n'est alors guère plus qu'un bien tragiquement consommable, superficiel, périssable.
Pessimiste, Max Ophüls ? Si peu...
Madame De... ® 1953 Gaumont - Rizzoli Film. (Rizzoli Films/Gaumont)/Les Acacias |
Cette rétrospective se termine avec peut-être, sans doute, son plus beau chef-d'œuvre, Madame de..., cousin pas si éloigné du Madame Bovary de Flaubert (l'adaptation d'une nouvelle de Louise de Vilmorin), splendide mélodrame enlacé dans le désenchantement de La Belle Époque, vissé sur l'ennui profond d'une comtesse engoncée dans une union sans amour, tout en complaisance et en infidélité, mais aussi et surtout dans une vie de cours dont elle s'amuse autant qu'elle souffre de ses enfantillages et de ses artifices.
Elle n'est pas elle-même, elle n'est que dans la représentation tragique, futile, désenchantée.
Elle est tellement consciente de sa vacuité existentielle qu'elle en vient à un peu trop y succomber, plus que de raison même, au point de s'endetter et de dilapider sa propre bijouterie, en vendant une paire de boucles d’oreilles offertes au lendemain de leurs noces par son mari, qui deviendra le symbole de la valse des apparences dans laquelle elle a emporté tout le monde, alors que son amant, un diplomate italien pour lequel elle s'amourache fougueusement (une romance adultère tortueuse et, paradoxalement, pure dans sa passion), telle une adolescente impuissante, en fait un cadeau d'amour.
Elle se fait le phare vulnérable et indécis (à une époque elle-même indécise) des deux facettes d'une société vide et sans âme puisque tout en convenances : les limites imposées par une société qui n'a de cesse de maintenir les apparences (son mariage), la quête vaine du bonheur et du libre arbitre (sa liaison).
Coutume contre amour, convenance (société) contre passion (humanité), deux facettes contraires hantées par l'immobilisme et appelées à se confronter, dans une valse mélancolique de perles et de balles.
Si vivre c'est avancer, la caméra pour Ophüls, ne doit jamais cesser de tourner sous peine de s'effondrer.
Quelle rétrospective, quels films, quel cinéaste...
Jonathan Chevrier
Coutume contre amour, convenance (société) contre passion (humanité), deux facettes contraires hantées par l'immobilisme et appelées à se confronter, dans une valse mélancolique de perles et de balles.
Si vivre c'est avancer, la caméra pour Ophüls, ne doit jamais cesser de tourner sous peine de s'effondrer.
Quelle rétrospective, quels films, quel cinéaste...
Jonathan Chevrier