Breaking News

[ENTRETIEN] : Entretien avec Alain Guiraudie (Miséricorde)

© Hélène Bamberger // © Les Films du Losange


Pour son dernier long-métrage, Miséricorde, Alain Guiraudie nous plonge dans un film noir entre une forme surprenante de comédie et une part de thriller particulièrement sombre. Nous en avons discuté avec lui, malgré son appréciation mitigée de l’interview.


Je dirais que le film fonctionne aussi sur la non-expression avec beaucoup de non-dits. Disons que pour moi, c’est ce qui fait l’intérêt du film : d’avoir des gens qui réussissent à dire ce qu’ils ont à dire et que d’autres n’y arrivent pas. - Alain Guiraudie


Question simple pour entamer cet entretien : d’où vient l’idée de raconter Miséricorde ?

Alors la question est simple mais honnêtement, je n’en sais rien. Quand j’arrive au bout d’un film, je ne sais pas d’où ça vient. Après, je pense qu’il y a des trucs évidents, que je brasse des trucs personnels, de la prime jeunesse, des fantasmes personnels et puis des idées d'un ami de faire un polar pas comme tout le monde, de réinterroger la morale en vigueur. J'espère que tout ça se voit dans le film mais c'est très compliqué. Le problème, c'est que si je commence à expliquer, j’ai l’impression de banaliser le propos, d’aller en-dessous de ce que fait le film.

Je préfère quand même de demander ça parce qu'on sent quand même effectivement beaucoup de choses personnelles, notamment dans le traitement de l'aspect rural, comment ne pas être dans une forme de cliché du milieu et en même temps, sentir cet enfermement qui arrive avec le protagoniste.

Ah OK ! Alors, je dirais qu’on met cette affaire du mec qui a eu une forte passion pour son patron, qui reste chez la femme de son patron, qui tue son ami d'enfance. Après, vous avez raison sur cette vie au village mais c'est un truc que vous retrouvez dans L’inconnu du lac, ce côté huis clos en plein air avec le mec qui se retrouve un peu prisonnier dans une affaire. Il est alors un peu prisonnier du village, en tout cas entre Martine et le curé.

C’est vrai qu’en parlant de L'inconnu du lac, il y a aussi ce besoin d'expression relationnelle aussi bien dans le personnage que tout simplement certains non-dits d’autres protagonistes, une frustration dans ce blocage sentimental avec ces personnages qui cherchent ou non à s’exprimer.

Le curé l’exprime, les personnages s’expriment, … Je dirais que le film fonctionne aussi sur la non-expression avec beaucoup de non-dits. Disons que pour moi, c’est ce qui fait l’intérêt du film : d’avoir des gens qui réussissent à dire ce qu’ils ont à dire et que d’autres n’y arrivent pas. Je ne vois pas comment je peux rebondir car je crains qu’en allant dans une explication de tout ça, je rentre forcément dans des points précis du film. Le film est justement tout un équilibre entre ce qui se dit et ce qui ne se dit pas. Il se termine avec la promesse de quelque chose ou peut-être que le film donne à entrevoir quelque chose qui n’est pas montré. C’est le but du jeu : c’est que tout le désir qu’ils expriment ou n’expriment pas se ressent.

Copyright Les Films du Losange

La lumière du film a un côté très naturaliste et sec mais en même temps très expressif, notamment lors de la scène de l’assassinat.

On a fait au maximum avec la lumière naturelle sauf en intérieur où, de toute façon, partout dans le village et lors des repérages en juillet et août, les gens gardaient la lumière allumée à l'intérieur. Mais la discussion sur la lumière s’est surtout portée avec Claire sur le plan de travail. On faisait ça plutôt fin d'après-midi, au crépuscule commençant ou se finissant. Ce fut très compliqué sur la nuit, avec des mélanges entre nuit américaine, c'est-à-dire vraiment de tourner en plein jour avec le dioptre fermé, ou lorsque la nuit arrive. On n'est donc pas tout à fait dans la nuit, on garde du détail. Il y a parfois de la nuit mélangée avec tout ça car on a des lumières allumées quelque part comme les phares de bagnoles, la pleine lune ou la lampe du presbytère. On se mettait bien d’accord sur tout ce qu’on allait faire.

Comment avez-vous trouvé ce ton à l’écriture ?

Ça pareil, je ne sais pas comment expliquer… C’est plus intuitif que technique. Je cale toujours un peu. C’est un travail à l’écriture du scénario mais aussi avec les comédiens. Ils amènent quelque chose eux-mêmes, tout en gardant un œil à leur direction pour qu’ils ne prennent pas trop conscience de ce qu’ils sont en train de dire.

Comment vous sentez, au fur et à mesure de vos films, que vous évoluez en tant que metteur ?

On va dire que moi, je ne sais pas ce qui a une évolution déjà naturelle, on se sert des erreurs. Je trouve que même l’équipe de mes collaborateurs s’affine. Je pense que je sais mieux travailler avec eux et que je sais également mieux écrire. J’ai mis du temps à trouver le bon monteur et je l’ai maintenant depuis L'inconnu du lac. J’ai une vraie complicité avec Jean-Christophe Hym. Je trouve mes films bien mieux montés aujourd’hui du coup. C’est aussi plus cadré, plus dense, plus intense. Je fais encore des conneries mais je trouve que j’ai finalement moins de regrets à la fin du tournage par rapport à mes films précédents, même s’il y en a encore. Là où j’ai du mal à progresser selon moi, c’est dans mon rapport à la production. Je pense aussi que c’est moins flagrant que je fasse mes films les uns contre les autres. Effectivement, je sais que c’était quelque chose d’important jusqu’à présent et ça doit continuer comme ça, c’est que je me sers des regrets et frustrations que j’ai sur un film pour passer au suivant ou avoir envie d’en faire un autre, si possible avec le souvenir des erreurs passées.

Copyright Les Films du Losange

C'est intéressant, la manière dont vous parliez, que la façon dont vos films arrivent à rebondir sur ces regrets précédents, parce qu'il y a cette idée que je trouve très drôle et en même temps très symbolique du champignon qui pousse sur le corps et qui, finalement, renvoie votre personnage à sa culpabilité.

Disons que vous avez déjà un peu tout dit ! (rires) Est-ce que c’est sa culpabilité ? En tout cas, c’est ce qui pourrait le trahir. Apparemment, vous ne le savez pas trop en Belgique (NDR : l’interview a été enregistrée lors de la venue du réalisateur à Gand) mais les morilles ne poussent pas à l’automne donc c’est très curieux qu’elles soient là, comme le fait le remarquer le gendarme. J’aime bien cette idée de champignon qui serait l’émanation du corps en putréfaction sous terre.

Est-ce qu'il y a une question que vous auriez préféré entendre pendant cet interview ?

Fondamentalement, non. Je ne suis pas très demandeur de questions. Normalement, le film se suffit à lui-même. Après, j’y réponds parce que, contractuellement, je dois faire la promo du film et les gens sont friands de ça. Mais je ne ressens pas le besoin de m’exprimer au-delà du film. Je n’ai donc jamais de questions que je suis étonné qu’on ne me pose pas. D’ailleurs, c’est bien si les gens n’en ont pas trop, même si des questions se posent et que j’aime que le film interroge beaucoup. Je n’ai pas nécessairement la réponse à toutes les questions amenées par le film.


Propos recueillis par Liam Debruel.

Merci à Tinne Bral d’Imagine et à l’équipe du Film Fest Gent.