[CRITIQUE] : The Irishman
Réalisateur : Martin Scorsese
Acteurs : Robert De Niro, Al Pacino, Joe Pesci, Harvey Keitel, Ray Romano, Bobby Cannavale,...
Distributeur : Netflix France
Budget : -
Genre : Thriller, Biopic.
Nationalité : Américain.
Durée : 3h29min.
Synopsis :
La vie de Frank "The Irishman" Sheeran, soupçonné d'avoir fait disparaitre le dirigeant syndicaliste Jimmy Hoffa en 1975.
Critique :
Moins définitif que #Goodfellas, #TheIrishman est un fantastique et mélancolique film de gangsters, une oeuvre vibrante sur le temps qui passe, la moralité et la mortalité, ou Scorsese converse avec son propre cinéma et laisse un casting 4☆ voler chacun à leur tours les scènes. pic.twitter.com/Vls1wiFaNh— FuckingCinephiles (@FuckCinephiles) October 18, 2019
Tout n'est qu'une question de temps dans The Irishman, celui que l'on conte avec une nostalgie certaine, celui que l'on filme avec une sérénité et une lenteur enivrante, celui qui nous échappe sans que l'on ne puisse rien y faire mais surtout celui qu'il nous reste face à la dure réalité de la vie, celui qui implique que l'on doit faire le point et se préparer à la fin de tout.
Les parallèles entre l'histoire et ceux qui l'animent sont donc légion, que ce soit devant ou derrière la caméra, une impression vite renforcée par l'explosion du quatrième mur et le renforcement d'une intimité rarement aussi palpable chez le papa de Taxi Driver, qui semble presque usé de l'histoire de Frank Sheeran pour parler de lui et de converser avec son propre cinéma, tant son dernier essai n'a aucune peine à s'inscrire aux côtés de ses grandes fresques mafieuses que sont Mean Street, Les Affranchis, Casino et Les Infiltrés.
Ce qu'il y a d'impressionnant, au-delà des modifications/rajeunissements numériques, c'est la force qu'à Scorsese de nous faire ressentir le poids des années à chacune de ses scènes, chaque année de carrière à travers les performances de ses comédiens au diapason, ou même dans sa propre mise en scène, plus contemplative qu'à l'accoutumée - voire même profondément méditative -, qui bascule habilement entre les époques, utilisant la voix de son héros (pas toujours fiable, gangster oblige) pour rendre ses sauts harmonieux.
En terrain connu et conquis, le film s'attache aussi bien à raconter la vie rocambolesque et corrompue de Sheeran, qu'à suivre les rythmes familiers des films de Scorsese : une plongée dans le destin bigger than life d'un " étranger " (ici irlandais), pris sous l'aile d'un associé italien de sang pur, qui va devenir un homme de main pondéré n'ayant aucun frémissement face à la mort (quand il faut la donner, mais pas l'accueillir), et qui connaîtra un succès dans le crime qui n'aura d'égale que sa chute désespérée.
On le sait depuis toujours, Marty s'est imposé par la force de sa caméra comme l'ange humanisant des gangsters et des hommes violents, des bourreaux magnifiés dans un tourbillon de balles, de sang et de codes d'honneur silencieux.
Et s'il n'a jamais eu peur de se laisser aller à une explosion de violence brutale et réaliste pour les iconiser, rarement il n'avait autant laissé son cinéma se balader vers un humour aussi ravageur (excepté pour le récent Le Loup de Wall Street), mais surtout vers une introspection poétique de la notion de moralité et, surtout, de la mort, conversant avec elle avec sincérité, et ajoutant dès lors une nouvelle couche intime et personnelle à une oeuvre déjà habillé pour l'hiver, et dont la durée conséquente - trois heures trente - passe à une vitesse folle, comme une vie sous le regard d'un homme au crépuscule de son existence.
Contre toute attente, The Irishman réussit la prouesse folle d'être autant un film de gangsters violent qu'un étonnant road movie comique et dramatique, à la richesse foisonnante, où l'histoire file à une vitesse folle, comme l'existence pour un homme au crépuscule de ses derniers jours.
Une véritable immersion dans la vie d'un vieil homme fascinant - aussi riche que celles que peut nous offrir un Clint Eastwood des grands jours -, façon peinture baroque d'une petite histoire dans la grande, l'intersection du crime et de la politique, de l'histoire de la mafia dans celle de l'Amérique, convoquant cinq décennies d'événements (de l'ascension de Castro à Cuba en passant par l'assassinat de JFK, les soulèvements populaires, les guerres,...).
Un brassage temporel tellement imposant qu'il semble tout dire tout en manquant cruellement de temps pour s'attacher pleinement à tous ses personnages, manquant de pellicule pour en développer certains (ceux de Keitel et Cannavale en tête) voire même étrangement de volonté pour d'autres (les figures féminines).
Un brassage temporel tellement imposant qu'il semble tout dire tout en manquant cruellement de temps pour s'attacher pleinement à tous ses personnages, manquant de pellicule pour en développer certains (ceux de Keitel et Cannavale en tête) voire même étrangement de volonté pour d'autres (les figures féminines).
Et c'est peut-être là, sans doute, le plus grand défaut de The Irishman, délaisser les épouses, les amies et les mères de cette immense fresque, là ou le cinéaste leur réservait un espace considérable et vitale par le passé, les transformant en véritables piliers narratifs aux performances indélébiles (Lorraine Bracco dans Les Affranchis et Sharon Stone dans Casino en tête).
Mais qui dit ultime tournée des grand ducs, dit indubitablement que tous les invités s'alignent face à l'importance de l'événement, pour réciter leurs plus belles prestations.
Si Al Pacino n'a plus été aussi habité depuis Any Given Sunday (soit... vingt ans), jouant de l'expressivité gargantuesque de son jeu avec une telle malice que son Jimmy Hoffa à des traits de ressemblances frappants avec Vincent Hanna (Heat forever), et que De Niro surnage en offrant une humanisation complète à une âme impitoyable, effrayé dans ses vieux jours par le silence sombre de la mort, c'est peut-être la performance étonnante de retenue de l'immense Joe Pesci, qui impressionne le plus.
Tout en contrôle, calme et patient là ou il était tout simplement odieux et nerveux dans Les Affranchis et Casino, il montre un versant qu'on ne lui connaissait pas, mais qui lui va à la perfection.
Tel le récent Once Upon a Time in... Hollywood, qui faisait lui aussi la part belle aux joutes verbales prenantes (le duo Sheeran/Hoffa peut se voir comme une version troisième âge du tandem Booth/Dalton), la péloche est mué par un profond respect du passé, où le souvenir est un trésor perdu pétri de regret, capté par un regard hautement contemplatif et nostalgique.
The Irishman ou un grand film sur l'âge, les péchés, la solitude et les regrets qui vont avec, ainsi que sur des criminels égoïstes que le cinéaste prend le temps de juger par lui-même, en laissant primer ses principes malgré les contraintes évidentes d'une grosse production friquée, soit la marque merveilleuse d'un auteur qui se bat éternellement pour créer des films vibrants.
Sans doute le seul à être encore capable de le faire aujourd'hui à Hollywood, avec Clint Eastwood.
Jonathan Chevrier
The Irishman. Certainement le film estampillé Netflix le plus attendu de l’année. Il faut dire que le projet agglomère en son sein quelques promesses aussi excitantes que mystérieuses. Chapeauté par Martin Scorsese, autrement dit l’un des plus grands réalisateurs de sa génération; comptant à son casting Robert De Niro, Joe Pesci et Al Pacino, le tout emballé dans une fresque sur plusieurs décennies aboutissant à l’utilisation d’une méthode de rajeunissement numérique. De quoi créer et entretenir bons nombre de débats au sein des cinéphiles qu’on pourrait résumer en une seule et même question : Scorsese a-t-il vendu son âme au diable ?
Oui. The Irishman est un beau coup pour Netflix, sans même évoquer l’épineux sujet des audiences, la plateforme peut se targuer d’avoir dans son catalogue le nouveau film de Martin Scorsese et ce n’est pas rien. Mais, The Irishman c’est aussi et avant tout la concrétisation de la vision d’un auteur, qui en s’éloignant du modèle traditionnel, a pu créer une œuvre follement ambitieuse, comme le cinéma américain en offre peu.
Le long-métrage s’inscrit dans une tradition scorsesienne, celle du film de mafia, Mean Streets, Les Affranchis et Casino constituer jusqu’à alors une trilogie, auquel The Irishman vient apporter ce qui ne peut être qu’une conclusion. Dès lors, la crainte était de voir le cinéaste refaire ce qu’il a fait, il y a de cela dans The Irishman, certaines scènes sont comme des réminiscences de ces précédentes œuvres; mais, au fil des 3 h 30 de pellicule, le film se craqueler, alors que les visages s’ornent du passage du temps, Scorsese lève le voile sur la thématique centrale de son récit : le regret.
Pour mener à cela, Scorsese prend le pari d’une narration éclatée, où les époques s’enchevêtrent, afin de parvenir, avec minutie, une chose grandement ardue cinématographiquement parlant, le temps qui passe. D’où le besoin de rajeunir ses acteurs, l’élément ayant fait hérisser les poils des productions hollywoodiennes face à la complexité - et le cout - du procédé. C’est ainsi que DeNiro se voit retrouver ses 20 ans, 30 ans, 40, 50 ans, avant de dépérir jusqu’à ses 80 ans. Si l’effet n’est pas parfait, les corps des acteurs trahissent le subterfuge, il ne pèse pas sur le récit, car, de manière assez habile, Scorsese rend cela secondaire en happant son spectateur dans une histoire.
Le long-métrage s’inscrit dans une tradition scorsesienne, celle du film de mafia, Mean Streets, Les Affranchis et Casino constituer jusqu’à alors une trilogie, auquel The Irishman vient apporter ce qui ne peut être qu’une conclusion. Dès lors, la crainte était de voir le cinéaste refaire ce qu’il a fait, il y a de cela dans The Irishman, certaines scènes sont comme des réminiscences de ces précédentes œuvres; mais, au fil des 3 h 30 de pellicule, le film se craqueler, alors que les visages s’ornent du passage du temps, Scorsese lève le voile sur la thématique centrale de son récit : le regret.
Pour mener à cela, Scorsese prend le pari d’une narration éclatée, où les époques s’enchevêtrent, afin de parvenir, avec minutie, une chose grandement ardue cinématographiquement parlant, le temps qui passe. D’où le besoin de rajeunir ses acteurs, l’élément ayant fait hérisser les poils des productions hollywoodiennes face à la complexité - et le cout - du procédé. C’est ainsi que DeNiro se voit retrouver ses 20 ans, 30 ans, 40, 50 ans, avant de dépérir jusqu’à ses 80 ans. Si l’effet n’est pas parfait, les corps des acteurs trahissent le subterfuge, il ne pèse pas sur le récit, car, de manière assez habile, Scorsese rend cela secondaire en happant son spectateur dans une histoire.
L’histoire que raconte le réalisateur est comme une succession d’annotation sur la frise de l’Histoire américaine, de la seconde guerre mondiale à l’Amérique post-11 septembre. Tout du long, l’écho des évènements vient se répercuter sur les personnages autour desquels orbite Frank Sheeran. Élection de Kennedy, crise des missiles à Cuba, assassinat de Kennedy, élection de Nixon, Watergate, Scorcese ne cesse d’ancrer le récit dans le temps afin de mieux en ressentir l’impact.
Progressivement, les thématiques chères au réalisateur viennent se mettre en place, loyauté, trahison et le non-choix de son destin imbibe le long-métrage qui finit par muter vers cette notion de regret que j’évoquais plus haut.
Le regret. Il est partout, car, cette histoire est racontée par un homme vieilli, affaibli et qui porte sur lui le poids de ses actions. Cette culpabilité vient emmitoufler toute la dernière partie du long-métrage, alors que l’entourage de Frank se réduit au fils du temps, que ses amis meurent, que ses enfants s’éloignent de lui; il devient un résidu d’une époque révolue, un vestige qui n’aura jamais l’absolution des siens et ne peut qu’attendre la mort comme une délivrance.
Cette force émotionnelle n’est possible que grâce à l’ampleur temporelle dont bénéficie Scorsese. Ici, on sent la liberté qu’a le réalisateur, celui qui avait dû couper son Gang of New York, peut s’offrir son œuvre, totale, pure, essentielle. Car, The Irishman ne sera pas juste un nouveau Scorsese, il est un requiem, un adieu au genre qui fout le vertige par l’épaisseur de la partition. Peut-être pas le meilleur film de son réalisateur, mais l’un de ses plus importants à n’en pas douter.
Progressivement, les thématiques chères au réalisateur viennent se mettre en place, loyauté, trahison et le non-choix de son destin imbibe le long-métrage qui finit par muter vers cette notion de regret que j’évoquais plus haut.
Le regret. Il est partout, car, cette histoire est racontée par un homme vieilli, affaibli et qui porte sur lui le poids de ses actions. Cette culpabilité vient emmitoufler toute la dernière partie du long-métrage, alors que l’entourage de Frank se réduit au fils du temps, que ses amis meurent, que ses enfants s’éloignent de lui; il devient un résidu d’une époque révolue, un vestige qui n’aura jamais l’absolution des siens et ne peut qu’attendre la mort comme une délivrance.
Cette force émotionnelle n’est possible que grâce à l’ampleur temporelle dont bénéficie Scorsese. Ici, on sent la liberté qu’a le réalisateur, celui qui avait dû couper son Gang of New York, peut s’offrir son œuvre, totale, pure, essentielle. Car, The Irishman ne sera pas juste un nouveau Scorsese, il est un requiem, un adieu au genre qui fout le vertige par l’épaisseur de la partition. Peut-être pas le meilleur film de son réalisateur, mais l’un de ses plus importants à n’en pas douter.